Nouveaux étoilés : Paris en forme olympique

Cette année encore, l'Île-de-France se retrouve au cœur de l’excellence gastronomique. Avec 13 nouveaux étoilés (dont 12 à Paris), la région représente à elle seule un quart des tables distinguées en 2024. La recette du succès ? Un melting-pot savoureux où se mêlent des talents singuliers, des influences mondialisées et des institutions réinventées.

Publié le 09 avril 2024 à 12:23

Des personnalités affirmées

De l’ombre à la lumière. Le parcours des chef(fe)s nouvellement étoilé(e)s présente souvent une trajectoire commune, celle d’un talent qui a pris le temps de se former aux côtés des plus grands noms de la gastronomie avant d’affirmer une identité culinaire singulière. C’est le cas des personnalités qui ont connu le bonheur d’une première étoile en région parisienne cette année.

Avant d’ouvrir sa propre maison, Arthur Dubois a enchaîné quelques centaines de services qui méritent le “détour” (deux étoiles) ou même le “voyage” (trois étoiles), selon les termes consacrés du Michelin. Du Bistrot de la Marine (Cagnes-sur-Mer) de Jacques Maximin au Bristol d’Eric Fréchon, en passant par le Balzac de Pierre Gagnaire, le chef a passé douze années à tutoyer l’excellence. Ouverte l’an dernier, cette Maison Dubois est d’abord une adresse intimiste avec ses six tables rondes parfaitement nappées et ses deux menus uniques (200 € et 300 €). C’est également un lieu qui valorise les circuits courts avec des fruits et légumes issus d’agriculture raisonnée. “Nous voulons une cuisine où l’on retrouve bien le goût du produit, à travers différentes propositions”, affirme le chef. Chaque association proposée est le fruit d’une longue recherche comme le Bar de ligne poché servi avec un voile de coco et une crème de laitue ou le Gambero Rosso tiède accompagné d’une raviole d’ortie.

Côté rive gauche, la créativité est également au rendez-vous à l’intérieur des cuisines de Géosmine. Au sein de cet ancien atelier textile, Maxime Bouttier a réussi à créer un univers unique en son genre. Aucun hasard dans cette histoire quand on lit son CV long comme son bras tatoué : La Maison d’à côté, le Pressoir d’argent du Grand Hôtel de Bordeaux, L’Atelier de Jean-Luc Rabanel, Taillevent à Londres, Mensae… Le trentenaire a pris le temps d’apprendre avant d’ouvrir sa propre table en avril 2023. Le nom choisi, Géosmine, fait référence à la molécule émise par différents micro-organismes du sol. C’est elle qui donne l’odeur de la terre après la pluie. Ce parfum de caractère donne le ton d’une cuisine qui ne se fixe pas de limites. Son plat signature en est la parfaite démonstration : une Mamelle de vache fine et fondante posée comme une raviole et accompagnée d’un condiment aux algues et d’une crème réduite assaisonnée au caviar. Pochée durant plusieurs heures, cette mamelle au goût délicat de lait intègre quotidiennement le menu dégustation du chef qui évolue au rythme des saisons.

À 45 minutes de Paris, du côté de Villeneuve-Le-Comte, un autre chef a été récompensé pour sa personnalité culinaire bien affirmée. Nicolas Tissier a repris les rênes de La Vieille Auberge familiale après un long parcours en cuisine aux côtés de Christophe Pacheco, Christian Le Squer et Jean-François Piège, notamment. Sa cuisine, aussi lisible et technique, a séduit les inspecteurs du guide Michelin. “Un bon plat doit avant tout être facile à comprendre et procurer du plaisir avec des produits de qualité”, affirme le chef. Ses parents, Brigitte et Philippe, œuvrent en salle. La sœur et la grand-mère viennent en renfort si besoin. Une histoire de famille qui a de beaux jours devant elle…

Autre belle histoire, celle de Matan Zaken à la tête de Nhome. Né en Israël et arrivé en France à l’âge de 13 ans, le chef - passé par le George V (Christian Le Squer) et Saturne (Sven Chartier) - a réussi à créer quelque chose d’unique. Installés en salle à la grande - et seule - table, les clients dégustent un menu unique en neuf étapes. Les mets, tantôt cuits à basse température ou au binchotan (charbon de bois japonais), tantôt fermentés ou saumurés, mettent en valeur la technique hors pair du chef. “Nous sommes une équipe de douze personnes pour 24 couverts. L’idée est de proposer à nos clients une expérience unique et personnalisée”, confie Matan Zaken, qui avoue avoir vécu “un ascenseur émotionnel” au moment de la cérémonie du guide Michelin. L’arrivée de cette première étoile, fruit “d’un an et demi de travail acharné”, a entraîné “270 réservations en 4 jours”. Un “choc” qui engendre malgré tout “beaucoup de confiance pour les prochains mois”.

La cuisine japonaise toujours plébiscitée 

Une nouvelle cuvée du guide rouge ne peut se faire sans l’émergence ou la consécration de talentueux chefs japonais. Cette année encore, trois cuisiniers ont triomphé à Paris - chacun dans un style différent - et cela révèle toute la diversité de la cuisine nippone. L’étoile la plus singulière est peut-être celle décrochée par Yuichiro Akiyoshi avec son restaurant Chakaiseki Akiyoshi. À la tête d’un élégant comptoir de 16 couverts, l’ancien chef des cuisines de l’Ambassadeur du Japon à l’OCDE a réussi à transmettre son goût pour la tradition. En l’occurrence, celui pour le chakaiseki, à mi-chemin entre une cérémonie du thé et un moment de partage. Chaque service - réalisé en même temps pour les convives présents - dispose d’un même rituel. Il débute par le “kumidashi”, une tasse d’eau chaude dans laquelle on infuse un bourgeon de shiso ou une graine de riz soufflé. Et se termine par l’“ousu”, un matcha accompagné d’un gâteau généralement à base de haricots rouges azuki ou blancs. Au moment de recevoir sa première étoile, le chef s’est dit “très honoré par cette distinction”.

Tomoyuki Yoshinaga, le chef de Sushi Yoshinaga, l’a été tout autant. Celui qui a affiné ses couteaux durant cinq ans aux côtés de Toru Okuda, maître de la cuisine kaiseki, a ouvert son comptoir de dix places en juillet 2023. Deux services par soir, un menu unique à 330 € : l’omakase du chef s’articule autour d’une découverte des produits de saison, issus de la pêche du jour. Son atout est de savoir maturer certains poissons comme nul autre, de l’anguille au thon en passant par le homard, lequel est préparé plusieurs jours dans un miso blanc. Optimiser le goût et la texture reste l’objectif principal du chef japonais qui propose ses mets dans des plats en céramique conçus par l’artiste Masanobu Ando.

Au rayon dextérité et réussite express, Shinichi Sato n’est pas en reste. Arrivé en France il y a une vingtaine d’années et auréolé de deux étoiles au Passage 53 (Paris), le Japonais n’a mis que cinq mois pour conquérir une première étoile au restaurant Blanc, avec une différence de taille, puisque celui-ci est son restaurant. Situé rue de Longchamp (Paris XVIe), l’établissement au décor minimaliste fait déjà l’unanimité. Au cœur de ses deux menus du soir - Perle à 260 € et Blanc à 360 €  -, Shinichi Sato propose une cuisine française revisitée assez différente de celle proposée au Passage 53. Terminé la fameuse assiette blanche, son monochrome signature autour de la seiche et du chou-fleur, place à des créations renouvelées comme la Poularde de Bresse servie en deux cuissons - poitrine rôtie, cuisses confites et effilochées - et arrosée d’une sauce au vin jaune et comté. L’omakase du chef est accordé avec des vins de qualité, notamment des bourgognes d’exception. Nul doute que le natif de Hokkaido a déjà un deuxième objectif en tête…

 

La puissance des grandes institutions

Des objectifs, William Bequin n’en manque pas non plus. Au 7e étage du Cheval Blanc Paris - l’hôtel de luxe situé dans l’ancien bâtiment de la Samaritaine -, le chef excelle à la tête de cette brasserie de luxe dénommée Le Tout-Paris. Passé notamment par le Ritz (Paris) ou La Vague d’or (Saint-Tropez), le trentenaire bénéficie du soutien hautement précieux du grand chef d’orchestre culinaire des lieux : Arnaud Donckele. Ce dernier chapeaute les quatre restaurants et bars de l’établissement et maintient depuis deux ans les 3 étoiles décrochées avec Plénitude. “J’ai commencé en 2013 à ses côtés. J’ai énormément évolué. Il fourmille d’idées et pousse l’équipe à l’excellence”, confie le chef.

Dans cet écrin lumineux et chaleureux qui s’inspire des anciens bistrots Art déco, les recettes classiques revisitées sont de sortie. La gratinée à l’oignon et topinambour ou les Saint-Jacques marinées à cru, brocolettis rôtis et vinaigrette mandarine garnissent une carte gourmande et saisonnière qui contente toutes les envies. “Le travail des sauces et des vinaigrettes est clé dans chaque plat”, précise William Bequin. Le Tout-Paris, ouvert 7/7, mobilise près de 80 personnes. “La boulangerie et la pâtisserie sont par exemple réalisées sur place, cela permet de multiplier les possibilités créatives.” Devant la vue panoramique imprenable sur Paris, le client ne peut qu’apprécier. 

Une autre grande institution parisienne a retrouvé les “onor” du Michelin. La Marée, institution marine fondée en 1960 qui a égayé durant plus d’un demi-siècle les gourmets de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, a été reprise l’an dernier par l’incontournable Thierry Marx. L’ancien chef doublement étoilé du Mandarin Oriental s’est appuyé sur Ricardo Silva, déjà présent à ses côtés depuis une décennie, pour ouvrir Onor. Si le lieu respecte le décor marin d’origine avec ses motifs bleutés et argentés, la partition culinaire est bien différente, à la fois moderne et respectueuse de son impact social et environnemental. L’identité ‘marxienne’ est au rendez-vous des assiettes, comme la Raviole en bras croisés, un classique du chef qui marie tourteau, beurre battu au cidre et citron caviar. On peut également évoquer le Risotto de soja, autre création qui confirme, s’il était utile de le faire, l’inépuisable créativité de cette talentueuse brigade. À noter qu’Onor est composé à 20 % de personnes issues des écoles fondées par Thierry Marx.

Enfin, au rayon des groupes devenus des acteurs incontournables de la gastronomie francilienne, appelons Éclore. Après Substance, Contraste, Maison Rostang, Bistrot Flaubert, Liquide et Granite, Stéphane Manigold, le président du groupe, s’est lancé en 2023 dans une huitième aventure gastronomique - en moins de six ans – dénommée Hémicycle. En quelques mois, le restaurant - porté par le tandem italien (en cuisine comme en ville) Flavio Lucarini et Aurora Storari - a fait des miracoli.

Après avoir fait ses gammes auprès de Giovanni Passerini et affiné sa technique aux côtés de Jérôme Banctel à La Réserve, le chef a rejoint le groupe Éclore. D’abord au Bistrot Flaubert comme chef de cuisine puis au sein d’Hémicycle. Ce dernier a pris le relais de Loiseau Rive Gauche, la table qui ravissait les députés et conseillers politiques œuvrant à l’Assemblée nationale. Cette clientèle d’affaires ne perd pas au change, à commencer par le déjeuner composé de trois plats et servi en une heure chrono (49 €). Les créations de Flavio Lucarini mettent à l’honneur une cuisine française moderne aux goûts et alliances harmonieuses. Les desserts d’Aurora Storari sont tout aussi distingués et souvent détonants comme le Soufflé au topinambour rôti servi avec une terrine de poire et sapin et une glace beurre noisette. L’étoile est désormais au sommet de l’Hémicyle...


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Publié par Stéphane POCIDALO



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