Massimiliano Alajmo : "On doit raconter la vraie beauté de la nature"

Sarmeola di Rubano (Italie) Le chef fut le plus jeune 3 étoiles Michelin du monde, à 28 ans. En Italie, où l'on ne compte que dix restaurants triplement étoilés, il fait toujours figure d'ovni avec une créativité sans cesse renouvelée.

Publié le 02 janvier 2019 à 18:09

’Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?
Massimiliano Alajmo : J’avais 5 ans quand je me suis pris de passion pour la cuisine et que j’ai décidé que j’en ferai mon métier. Je suis issu d’une famille de restaurateurs. Notre restaurant Le Calandre remplace l’ancien restaurant-trattoria de mes grands-parents ouvert dans les années 1960. Mes parents ont pris la suite. Ma mère a obtenu une étoile en 1992. J’ai grandi dans les cuisines. J’étais la mascotte de la brigade. Ils me faisaient faire des pâtes, mais aussi des croissants, etc. J’aimais les parfums qui se dégageaient en cuisine et par-dessus tout, je voulais faire la cuisine. À 13 ans, je suis entré à l’école hôtelière de Albano Terme. Un jour, je suis tombé sur un magazine qui consacrait un article passionnant à Gualtiero Marchesi, avec une photo de lui en veste de cuisinier ultra élégant. J’ai compris qu’il y avait des cuisiniers connus. C’était une autre époque et ce n’est pas ce qui m’a motivé. Mais j’ai eu la chance, à 16 ans, que mes parents m’emmènent à Milan, chez Marchesi. Je me souviens de tous les plats. C’était un visionnaire à la cuisine conceptuelle authentique. Ses plats sont toujours autant d’actualité aujourd’hui. J’ai découvert tout un univers avec des sculptures, de la musique… Il avait tout compris.

Et votre relation à la France ?
Après Marchesi, je suis allé, toujours avec mes parents, mon frère Raffaele et ma sœur Laura, chez Paul Bocuse, à Collonges-au-Mont-d’Or et dans d’autres restaurants gastronomiques. J’ai fait aussi des stages, notamment chez Marc Veyrat quand j’avais 17 ans et Michel Guérard à 19 ans. J’ai été très imprégné par la cuisine française, ses techniques mais aussi le beurre et la crème. Aussi, grâce à mon père, j’ai commencé à m’interroger sur l’identité italienne, à emprunter une autre voie. Au même titre que je dois à ma mère la prise de conscience, très tôt, de l’importance des produits naturels et d’une extrême qualité.
Comment s’est passée la succession ?
Raffaele, Laura et moi devons beaucoup à nos parents, qui ont su nous ouvrir des horizons, nous aider à prendre confiance. Ils avaient confiance en nous et nous ont toujours soutenus avec bienveillance. Ils sont d’ailleurs toujours auprès de nous dans l’entreprise. J’avais 19 ans - j’étais en stage chez Michel Guérard - lorsque mon père m’a dit : “Tu vas devenir chef du Calandre [1 étoile Michelin à l’époque, NDLR] car ta mère et moi allons ouvrir un autre restaurant.” Mon frère aîné, Raffaele, aujourd’hui directeur général du groupe, était bien sûr avec moi. Ils nous confiaient les clés. Je lui ai répondu que j’avais besoin de continuer à me former et à faire des stages. Il m’a rétorqué : “Trop d’expériences tue la personnalité.” Ainsi, en 1994, je suis devenu chef exécutif et Raffaele directeur.

Comment définiriez-vous votre cuisine ?
La simplicité, c’est la complexité résolue. C’est une cuisine à l’esprit italien, simple, fluide, directe avec une recherche de profondeur des goûts et qui respecte la beauté du côté animal de la matière. On doit raconter la vraie beauté de la nature. C’est aussi un travail sur la pureté. Je suis persuadé que l’on ne peut pas améliorer un produit lorsqu’on y touche. Toucher la matière confère une grande responsabilité et demande du respect. Il vaut mieux se concentrer sur un détail.

Le groupe Alajmo comprend aujourd’hui dix restaurants, qui couvrent tous les segments, dont un à Paris. Quelles différences voyez-vous entre vos établissements italiens et la France ?
Chaque restaurant a une identité et une clientèle différentes. Ce qui m’intéresse, c’est de voir que telle assiette fonctionne mieux à Paris qu’à Padoue ou Venise, par exemple. Il y a bien sûr la culture, mais aussi le goût. Le premier goût, c’est le lait maternel. Quand on s’approche de sa consistance, on envoie un message qui rassure les clients. Je pense que le succès international de la cuisine française repose en partie sur ce message grâce à l’emploi du beurre et de la crème. Nous travaillons à retrouver cette consistance aussi avec l’huile d’olive, tout en préservant la légèreté avec l’eau. On peut la retrouver aussi dans d’autres produits comme les poissons. À Paris, en tout cas, les clients veulent retrouver notre identité italienne telle qu’ils l’imaginent, même s’ils savent que ce sont des versions personnelles. Il y a deux plats que nous avons beaucoup de mal à enlever : la carbonara à l’huile d’olive et le cappuccino à la bolognaise.

Quel est votre plat best-seller ?
Le risotto au safran à la réglisse. Chaque année, je pense à des variations. L’année dernière, nous en avons même réalisé dix versions pour un événement. Il y a même eu un risotto dédié à la mémoire du chef Gualtiero Marchesi.

Vous aimez décliner les plats ?
Dans notre menu classique, je donne le choix au client entre deux versions autour de la seiche noire et de la pomme de terre : soit le capuccino de seiche noire, soit la Murrina, en référence aux verres très colorés de Venise, qui est plus ‘étalée’, avec beaucoup de couleurs et une huître. J’aime aussi les références à l’Italie. Les clients peuvent opter pour les cannelloni croquants à la ricotta di buffalo, mozarella, pesto et sauce tomate, qui étonnent par leur légèreté, ou pour ma conception de Naples ‘Napul’é’, en partant d’une spécialité de pizza frite napolitaine. On retrouve Naples tout en légèreté.
 
Quels sont vos projets ?
Nous avons deux ouvertures prévues en 2019 qui sont passionnantes. La première, en mars, à Milan où nous allons ouvrir un concept innovant qui allie grande qualité et prix abordables. Dans cette ville, centre de la mode où la gastronomie bouillonne, ce projet sera directement testé dans un milieu très concurrentiel. Si ça marche à Milan, cela permettra d’imaginer d’autres ouvertures. Le second est un restaurant gastronomique mais toujours décontracté, comme nous aimons, qui s’intégrera dans le Royal Mansour de Marrakech au Maroc. Nous sommes en pleine réflexion.
 
Un rêve à réaliser ?
Il y a sept ans maintenant, nous avons participé à l’élaboration d’un programme d’étude du master de cuisine italienne qui se déroule à Vicence. Des grands chefs et pâtissiers italiens participent à ce master. Il y a aussi des cours de physique-chimie des aliments, des leçons des arts esthétiques, l’histoire de la gastronomie, la littérature culinaire, la parfumerie, le team building, etc. Il comprend 800 heures de formation et quatre mois de stage. Vingt jeunes suivent ce programme chaque année. C’est la formation que j’aurais voulu faire à la fin de l’école hôtelière. Tu en sors avec une telle ouverture que mon rêve serait d’apporter ma pierre à la création d’une université culinaire pour aller encore plus loin dans les connexions entre les différents domaines.

 

 

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Massimiliano Alajmo en dates

6 mai 1974 : naissance à Padoue (Italie)

1993 : arrivée au Calandre

1994 : devient chef exécutif du Calandre

1997 : 2e étoile Michelin

2002 : 3e étoile Michelin

2006 : In.Gredienti, premier livre

2011 : ouverture à Venise de Quadri Ristorante, Quadrino et Grancaffè Quadri

2012 : 1 étoile pour Quadri

2013 : Fluidità, 2e livre

2014 : ouverture du Caffè Stern à Paris

2016 : ouverture de Amo, à Venise

2018 : création de Mamma Rita Lab à Sarmeola di Rubano, centre de recherche et création, couplé à un laboratoire de production.

#alajmo# #lecalandre# #quadri#


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Publié par Nadine LEMOINE



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