• Le respect de la tradition : Les adeptes de la nappe se trouvent du côté des grandes brasseries parisiennes. À l’instar du Select, à Montparnasse (VIe), où dès que l’on commande du salé, un garçon revient avec une nappe de coton blanc et des serviettes assorties. « C’est la tradition », dit-on. Tradition aussi chez de nombreux chefs étoilés. Si Alain Passard ne sert plus que du végétal à L’Arpège (VIIe), il a maintenu les nappes. « Une nappe rassure et procure une sensation de bien-être au client. Elle envoie un message aussi fort que le bouquet de fleurs fraîches posé sur une table », selon Christophe Cosme, à la tête du restaurant Au Rendez-vous des pêcheurs, à Blois (Loir-et-Cher), où il a été étoilé durant 15 ans. Il s’est tout de même interrogé sur la pertinence de remplacer le nappage par des sets, « pour faire des économies de nettoyage ». Mais cela nécessiterait l’achat de « belles tables en chêne ou en marbre » et « celles-ci ont un coût ». Alors il se satisfait du contrat passé avec son blanchisseur. Changement de décor dans le « routier » parisien Aux bons crus (XIe). Ici, la famille Dumant, gérante de l’établissement depuis 2018, mise sur les nappes à carreaux rouge et blanc, dont les clients raffolent et sur lesquelles sont posés des sets en papier du même motif, qu’il suffit de remplacer après chaque repas. Ce n’est pas forcément plus économique – coût du papier oblige -, mais c’est plus pratique et cela évite de laver les nappes à chaque service. Quant au papier, certes il se jette, mais il se recycle.
• Une question de génération : Des nouveaux concepts de restauration aux tables bistronomiques, en passant par l’arrivée des jeunes chefs sur la scène gourmande, il est de bon ton de « faire simple ». Attention : il ne s’agit pas de tirer un trait sur les arts de la table, car les clients y sont sensibles, mais plutôt d’aller à « l’essentiel ». Question de génération. « La nappe a un côté suranné. Cela ne me correspond pas », confie Valentin Barbera, 31 ans, chef du restaurant Osma, situé à Sargé-sur-Braye (Loir-et-Cher) et auréolé d’une étoile verte au Michelin. « Je laisse la nappe aux restaurants gastronomiques, dit-il. Pour ma part, j’ai opté pour des tables dotées d’un plateau en chêne de récupération et lorsque je pose des assiettes en verre transparent dessus, les clients peuvent apprécier la beauté de ce bois à l’état brut. ». Même détachement vis-à-vis de la nappe pour Ambroise Voreux, 29 ans, chef de la Cabane à matelot, à Bréhémont (Indre-et-Loire) : il lui préfère des sets enduits, moins pompeux et plus faciles à nettoyer.
• Un décor dans la déco : Certains chefs étoilés boudent la nappe, eux aussi. Un pas de côté assumé, car contrebalancé par un effet « déco », comme au restaurant Onor de Thierry Marx, à Paris (VIIIe). Ici, l’artiste et designer Mathilde de l’Écotais a tout dessiné, du sol au plafond, « en partant d’une photo de carapace de crabe bleu de Thaïlande que j’avais prise en 2006 », détaille-t-elle. Le motif est donc repris sur les murs, en cuisine et jusque sur les tables « grâce à une impression sur cuir ». Ce qui en fait un revêtement à la fois esthétique, résistant et doux au toucher. Quant à Christophe Dufossé, au Château de Beaulieu à Busnes (Pas-de-Calais), dans sa salle à manger, où il cuisine en direct, la table – sans nappe - dispose d’un plateau tournant – clin d’œil aux voyages du chef en Chine –, afin de de partager pain et plats.
• L’œil de l’expert : « La nappe est une manière d’habiller la table », explique Olivier Etcheverria, maître de conférences à l’Université d’Angers – UFR ESTHUA Tourisme et Culture – (Maine-et-Loire) et responsable pédagogique de la licence professionnelle « Métiers des arts culinaires et des arts de la table ». Il poursuit : « Un restaurant doit activer les cinq sens et la nappe invite au toucher, tout en amortissant le bruit des assiettes, verres et couverts que l’on pose. Par ailleurs, l’expression ‘dresser une table’ sous-entend que celle-ci a son propre dressing, composé de nappes, serviettes, tissus, matières… à harmoniser entre elles. » L’enseignant reconnaît que l’on voit « de moins en moins de nappes dans les restaurants ». « Toutefois, nuance-t-il, j’ai l’impression qu’elle revient dans quelques maisons ». À l’instar de la découpe en salle, perçue comme un spectacle par la clientèle.

Publié par Anne EVEILLARD

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