Isolement, débrouille et solidarité : le menu des étudiants depuis un an

Paris (75) Ils ont une vingtaine d'années. Ils sont étudiants et se destinent à travailler dans l'hôtellerie-restauration. Mais les stages et alternance se font rares en pleine crise sanitaire. Difficile aussi de se projeter. Entre aide psychologique, soutien des profs et des camarades de promo, ils font tout pour garder le moral. Enquête.

Publié le 15 mars 2021 à 15:48

“J’ai eu le Covid voilà trois mois. Depuis, je n’ai toujours pas retrouvé le goût.” Elisa Bonnefemme est étudiante en 2e année de BTS Management hôtellerie-restauration (MHR) au lycée Guillaume Tirel, à Paris (XIVe). Son option, c’est la cuisine. Comme elle ne peut plus tester ses préparations, cette fan de pâtisserie se cale sur les textures et les couleurs de ses créations pour ajuster des accords. C’est la débrouille aussi pour rattraper les cours quand on a été malade. Testé positif, puis cas contact, Augustin Rebiffe, dans la même promo qu’Elisa Bonnefemme, a fait le calcul : “À cause du virus, j’ai manqué un mois et demi de cours. Et à Guillaume Tirel, les cours ne sont pas assurés en distanciel, que du présentiel. Un TD loupé ne se remplace par rien. Au lycée Albert de Mun (VIIe), les jeunes de la licence pro Encadrement et exploitation en hôtellerie et restauration de luxe (EEHRL), cursus commun au lycée parisien et à l’université Paris Nanterre (Hauts-de-Seine) ont découvert Zoom et Teams. Mais ces plateformes collaboratives ont leurs limites : problèmes de connexion, spontanéité toute relative des interactions entre jeunes et enseignants, sans oublier la tentation de l’absentéisme.

 

Perte de confiance, inquiétude pour l’avenir et stages introuvables

Un étudiant sur deux a souffert de solitude ou d’isolement pendant le premier confinement. C’est ce que révèle l’enquête 2020 de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE). Autre constat : 31 % ont présenté “les signes d’une détresse psychologique”. C’est le cas de Clémence Thomas, en 2e année de BTS MHR, option hébergement, à Guillaume Tirel. Elle a bénéficié du dispositif Santé psy étudiants, mis en place par le Gouvernement. En pratique, les jeunes peuvent accéder à trois consultations auprès d’un psychologue, sans avance de frais. Et ces séances peuvent être renouvelées une fois. Mais, pour Clémence Thomas, c’est insuffisant pour se confier. Résultat : ses parents doivent financer des séances supplémentaires. Quant à Nina Le Ray, étudiante au sein de la licence pro EEHRL, elle aussi a consulté. Elle n’arrivait plus à se projeter. Elle s’interrogeait : cette licence était-elle le bon cursus pour trouver du travail ? Perte de confiance, inquiétude pour l’avenir, stages et alternances introuvables sont autant de sources de stress.

 

“Dans les projets, j’ai des étudiants acteurs et créatifs en face de moi”

“Ces dix derniers jours, une vingtaine de jeunes nous ont sollicitées pour avoir de l’aide”, confie Philippine Freiman. “Certains ne savent plus quoi faire… Ils sont dépités”, renchérit Estrella Maillet. Le duo vient de créer la société Talent Developer, destinée à “trouver le bon profil de jeune pour le bon stage ou le bon contrat d’apprentissage”. Et ce n’est pas une mince affaire avec des hôtels aux taux de fréquentation en berne et des restaurants qui fonctionnent au gré du click & collect. Alors elles font jouer leur carnet d’adresses. Tout comme les enseignants. C’est comme ça que Julien Cortot, en 2e année de BTS MHR, option cuisine, à Guillaume Tirel, a trouvé un stage chez Peppe Pizzeria dans le XXe arrondissement. À l’origine, il visait une table gastronomique, mais travailler aux côtés de Peppe Cutraro, ancien chef de Big Mamma et champion du monde de la pizza, n’a pas déplu à l’étudiant. “Dans ce contexte de crise sanitaire, les jeunes n’ont pas de vie sociale, ils ne peuvent pas se rassembler à plus de six personnes. Or, ils ont un âge où l’on se construit, où l’on a besoin des autres pour exister”, observe Colette Geneste. Professeur de marketing à Guillaume Tirel, elle multiplie les rencontres entre jeunes et professionnels, ainsi que les projets : “J’ai des étudiants acteurs et créatifs en face de moi.” Le projet tuteuré auquel participe Nina Le Ray, au lycée Albert de Mun, lui a redonné du baume au cœur. Baptisé Luxury Zoom, il consiste à créer une chaîne YouTube pour promouvoir la licence EEHRL. Ce qui a été l’occasion, pour les cinq jeunes engagés dans l’aventure, de rencontrer enseignants, professionnels, anciens étudiants et d’enrichir carnets d’adresses et réseaux sociaux.

 

“Après sept ans en lycée hôtelier, je ne m’attendais pas à faire des pizzas”

Enfin, les étudiants parlent beaucoup d’entraide. Quand l’un ne peut plus payer son loyer, il débarque dans la colocation d’un autre. Quand l’une perd un petit job, un autre lui trouve une solution de dépannage. Les jeunes s’adaptent et cultivent la polyvalence. En licence pro Métiers des arts culinaires et des arts de la table (Macat) à l’université d’Angers (Maine-et-Loire), Guillaume Biauce devait effectuer un stage en lien avec le travail du sucre. Mais le projet est tombé à l’eau. Résultat : l’étudiant va découvrir les épices à Cancale (Ille-et-Vilaine), aux côtés d’Emmanuel Tessier, ancien second d’Olivier Roellinger. Quant à son argent de poche, faute d’extras en restaurants, Guillaume Biauce a travaillé dans une poissonnerie et s’apprête à rejoindre une équipe de Domino’s pizza à Rennes (Ille-et-Vilaine) : “Après sept ans en lycée hôtelier, je ne m’attendais pas à faire des pizzas. Mais je vais beaucoup apprendre de cette expérience.” À l’instar de Julien Cortot, qui vient de décrocher une proposition d’embauche chez Peppe Pizzeria.

 

#Étudiants# crise Covid19


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Publié par Anne EVEILLARD



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