Mauro Colagreco : "Je fais ce métier parce que je l'aime, pas parce que je dois le faire"

Menton (06) Le chef du Mirazur, à Menton, a puisé dans ses multiples origines - argentine, italienne, basque - et dans le terroir local pour développer son propre univers culinaire. Si la révélation a été tardive - il a fait ses débuts en cuisine à 20 ans passés -, la passion ne l'a plus quitté depuis.

Publié le 05 septembre 2018 à 12:22

L'Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?

Mauro Colagreco : J'ai été élevé avec une grand-mère italienne et une grand-mère basque espagnole. Mon grand-père était italo-argentin. Toutes ces cultures ont en commun la cuisine et les grandes tablées festives. Pourtant, j'ai passé un baccalauréat littéraire en Argentine où j'ai étudié la littérature française, puis je suis entré à l'université en sciences économiques. Au bout de deux ans, je me suis rendu compte que cela ne me passionnait pas. C'est à ce moment-là qu'un ami qui venait d'ouvrir un restaurant à Buenos Aires m'a proposé de travailler avec lui. J'ai tout de suite senti que la cuisine me faisait vibrer. Pendant les deux années qui ont suivi, j'ai étudié à l'école Gato Dumas tout en travaillant dans le restaurant de mon ami, puis j'ai enchaîné des stages dans différentes maisons. Plus j'apprenais, plus je comprenais que la France était la référence. En fait, j'adorais déjà la France où j'étais venu quand j'avais 17 ans. La culture, les marchés, les produits et la façon de vivre.

 

Vous vous êtes formé en France, entre école hôtelière et grandes maisons. C'était impératif pour vous ?

C'était une évidence : il fallait que je vienne en France. J'ai postulé au lycée de La Rochelle pour un BTS. Le proviseur, Michel Gaillot, m'a encouragé à améliorer mon français, très limité à l'époque. Il m'a donné rendez-vous en juin, je suis arrivé en France en février pour suivre son conseil. Lors de l'entretien, il m'a dit que mon niveau n'était pas formidable mais que vu ma détermination, il m'intégrait en mise à niveau avec quatre mois de stage. J'ai envoyé des demandes dans toutes les grandes maisons. Particulièrement à La Côte d'Or de Bernard Loiseau, à Saulieu, que j'ai inondée de CV. J'y ai obtenu un stage, au terme duquel Bernard Loiseau m'a proposé un poste de commis. J'avais déjà 25 ans. J'ai alors décidé d'entrer dans la vie professionnelle. 

Ensuite, je voulais avoir une expérience à Paris. J'ai envoyé à nouveau des CV dans tous les 3 étoiles. Je suis rentré chez Alain Passard, à L'Arpège, car j'étais déjà très intéressé par son travail sur les légumes. Puis j'ai été chef de partie au Plaza Athénée avec Alain Ducasse, une expérience aussi très formatrice. J'avais déjà en tête l'idée de monter ma propre affaire. Je voulais voir d'autres formes de cuisine. J'ai passé un an auprès de Guy Martin tout en préparant mon projet. À Paris, les banques ne me suivaient pas. 

 

Comment s'est fait le choix du Mirazur, votre premier et actuel restaurant ?

Comme je n'avais que peu d'espoir dans la capitale, j'étais ouvert aux propositions. Des amis m'ont parlé du Mirazur, à Menton, alors fermé depuis quatre ans. Lors de la visite, j'ai eu un coup de foudre, mais cette maison face à la mer était tellement magnifique que je me suis dit que cela ne serait pas possible. Ma chance, ça a été que le propriétaire m'ait proposé un pari : "Je vous le loue pour un prix raisonnable avec une option de rachat à terme." Alain Kerlok, en salle à L'Arpège, est devenu mon associé à 50 %. On a dû verser 20 000 € de caution chacun, et on s'est lancés avec 2 000 € en fonds de caisse. Lorsque nous avons ouvert, le 1er avril 2006, nous étions trois en cuisine, deux en salle et un comptable. J'avoue que nous avons souffert au départ. On a fait des services à zéro couvert. Un article de François Simon dans Le Figaro nous a beaucoup aidés, puis en février 2007, la première étoile Michelin a été décisive. Alain Kerlok a cessé notre collaboration pour des raisons familiales. Il a fallu faire face aussi aux trois mois d'hiver où les clients se faisaient rares. J'ai décidé de fermer à cette période. Pendant ces trois mois, j'essayais de développer le consulting. C'était une question de survie.

 

Votre premier livre, où l'on découvre votre univers et votre cuisine, vient de sortir. Que représente ce livre pour vous ? Comment définiriez-vous votre cuisine ?

Ce livre a pour but de faire découvrir notre univers et l'émotion que nous souhaitons partager au Mirazur. Nous sommes arrivés à une maturité qui permet de faire une sorte de bilan des dix dernières années. C'est une cuisine méditerranéenne qui parle d'un terroir précis mais libre, d'autant plus qu'il est situé sur la frontière franco-italienne, avec deux cultures riches et très différentes, à la conjonction de la Méditerranée et des Alpes. Une cuisine de spontanéité, sans barrière, et c'est pour cela que, très vite, j'ai décidé de ne pas avoir de menu. On ne sert pas les mêmes plats à toutes les tables. C'est en fonction des produits et des envies. Une cuisine vivante, en recherche constante, parce qu'on aime aussi prendre des risques. Nous avons des fiches personnalisées pour ne jamais servir le même plat à un client, à moins qu'il ne le demande. 

 

La création est un processus qui s'opère dans la souffrance ? Dans la spontanéité ? 

La création, chez nous, c'est la spontanéité ! Avec le temps, cela devient comme une habitude. De plus, au Mirazur, il s'agit d'un processus collaboratif avec mes chefs et comme il y a quatorze nationalités dans la brigade, les idées fusent !

 

Quel est votre plat best-seller ?

C'est la betterave, à laquelle on laisse deux cycles végétatifs. Au début de l'hiver, on les met dans le sable, dans la cave, puis on les replante et on les ressort au fur et à mesure jusqu'à obtenir des betteraves de 6 kg. Il y a surtout une telle concentration de saveurs encore démultipliée par la cuisson en croûte de sel que c'est prodigieux. Ensuite, on la coupe en carpaccio et on la sert avec une crème au caviar. C'est un plat hyper simple et équilibré avec un tel travail derrière. J'aime cette complexité cachée.

 

Quel est le plat de votre carte que vous préférez ?

Un pistou de coquillages. Couteaux, palourdes, moules, coques… y sont glacés au pistou. Cela donne une belle explosion en bouche avec des saveurs et textures différentes. Le pistou donne de la gourmandise. 

 

Quel repas récent en France ou à l'étranger vous a époustouflé ?

L'année dernière, à New York, j'ai fait un repas au Chef's Table at Brooklyn Fare, 3 étoiles Michelin. Le chef mexicain César Ramirez, passionné de cuisine française et japonaise, fait preuve d'une maîtrise époustouflante. Sa brioche aux oursins et yuzu est incroyable. C'est aussi le meilleur flan au chocolat de ma vie !

 

Vous êtes n° 3 dans le classement des 50 meilleurs restaurants du monde et le premier restaurant français. Qu'est que cela représente pour vous ?

Cela représente une fierté et cela fait du bien aux équipes. On le prend avec du recul, comme un classement de plus. Comment comparer ou classer les cuisines de Pierre Gagnaire et d'Alain Passard ? C'est le jeu de la société actuelle qui a besoin de chiffres, de classements… Mais cela fait aussi du bien à l'entreprise, puisque cela fait parler du Mirazur partout dans le monde. Cela apporte une clientèle internationale. Pour un restaurant en province, il est vital de se faire connaître. Les étoiles, les guides, les classements, la presse… c'est l'accumulation de tous ces facteurs qui nous aide.

La finale de MasterChef Grande-Bretagne a été tournée au Mirazur. Lors de sa diffusion, le 20 décembre dernier, nous avons enregistré plus de 450 réservations provenant d'Angleterre. Et la finale est ensuite rediffusée en Australie et aux États-Unis…

 

Vous avez toujours entretenu des liens étroits avec l'Argentine et plus généralement l'Amérique latine, avec des semaines gastronomiques, des festivals, des partenariats ou encore la chaîne de restauration Carne. Est-ce important pour votre entreprise ?

J'ai été suivi en Argentine car j'étais l'enfant du pays qui réussit à l'étranger. J'ai été sollicité sur place par la presse et par des marques. J'ai entretenu ces liens mais j'en ai aussi développé de nouveaux avec le Brésil et la Grande-Bretagne, qui sont deux marchés très importants pour la Côte d'Azur. Toujours pour une question de survie. Je suis associé à 50 % avec ma soeur et un ami financier dans la chaîne Carne que nous avons créée en 2016. Elle  compte trois restaurants à Buenos Aires et dans ses environs. Nous utilisons les meilleurs produits du pays dont une viande exceptionnelle. Sur place ou à emporter, il y a un hamburger classique, un hamburger en édition limitée et un végétarien. C'était important pour moi d'entrer dans un autre type de business sans que ma présence soit obligatoire. C'est bien d'avoir une porte de sortie. Je fais ce métier parce que je l'aime, pas parce que je dois le faire. Depuis Carne, je me sens plus serein.

 

Quels sont vos projets ?

Nous allons entamer une période de grands travaux entre novembre et février. Jusqu'ici, nous n'exploitions que la moitié de la surface du bâtiment. Ces travaux vont nous permettre de créer une cuisine de recherche et une cave à vins que l'on pourra visiter. L'artiste sculpteur et designer Pablo Reinoso travaille sur le projet. C'est la première fois que l'on entreprend un chantier de cette ampleur.

 

Un rêve à réaliser ?


Ces travaux, c'est notre rêve.



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Publié par Nadine LEMOINE



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