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à la une Jacques et Laurent Pourcel

Un très beau coup double

Il était une fois deux frères jumeaux dans une famille du Languedoc rouge de la viticulture. Un jour qu'ils dormaient sagement, la fée Gastronomie apparut et, se penchant sur leur berceau de sarments de vigne, leur prédit un bel avenir de cuisinier, métier auquel rien ni personne ne les prédestinait. Et
si l'histoire des frères Pourcel commençait comme un conte...

Philippe Lamboley

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Pour patienter avant de passer à table, un salon très moderne accueille le client du Jardin des Sens à Montpellier.

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JacquesEtLaurentPourcel.JPG (6382 octets)Nés en septembre 1964 sous le signe de la Vierge, Jacques et Laurent Pourcel sont les derniers d'une famille de quatre garçons. Autant dire que chez les Pourcel, les tablées sont sérieuses et qu'il ne s'agit pas de mollir dans la préparation des repas. Laurent se souvient : "On mangeait bien à la maison. Notre mère avait le souci du bon produit. Nos parents se donnaient du mal pour trouver le meilleur de chaque chose." Les jumeaux grandissent dans une famille tournée vers les plaisirs simples de la table. Avec des revenus modestes, il s'agit de régaler tout ce petit monde. Aline Pourcel, la maman, cultive un jardin ; elle y entraîne nos deux futurs cuisiniers qui ne détestent pas semer eux-mêmes leurs haricots ou planter leur petit coin de fraisiers. Lorsque la grand-mère revient des vignes, elle rapporte toujours quelque chose dans son tablier : mourguettes (escargots de vigne), jeunes poireaux ou asperges sauvages... Jacques insiste sur tous ces plaisirs peu communs de petits garçons : "Très gourmands, un peu timides mais très déterminés, plutôt que de courir dans les rues avec les gamins du quartier, nous préférions rester à la maison et faire de la pâtisserie." A l'âge de 12 ans, leur maman tombe malade, et pour ne pas 'mourir de faim', ils prennent en main les rênes de la cuisine familiale. Les dés sont jetés, ils ne quitteront plus les casseroles.

Un plus un font trois
Laurent entre à l'école hôtelière en 1978 ; Jacques, trop malheureux d'avoir perdu son frère, le suit un an plus tard. Les stages s'enchaînent alors chez les cuisiniers les plus créatifs du moment. L'un ira chez Michel Bras, Alain Chapel..., l'autre, chez Michel Trama, Marc Meneau et Pierre Gagnaire. A deux, ils accumulent une somme d'expériences qu'un seul cuisinier n'aurait jamais pu acquérir. C'est à deux qu'ils vont rentrer dans la vie active. Mais bientôt, ils croisent un troisième larron, Olivier Château. Ils ne se quitteront plus. En 1988, Jacques, Laurent et Olivier ouvrent Le Jardin des Sens à Montpellier. Les jumeaux ont alors 24 ans, Olivier, 21. Les tâches sont immédiatement partagées. Laurent s'occupera du salé, Jacques de la pâtisserie et Olivier de la sommellerie. L'entente est parfaite. En quelques mois, Le Jardin des Sens devient la coqueluche des gastronomes montpelliérains, qui, il faut bien le reconnaître, n'avaient jusque-là pas grand-chose à se mettre sous la dent. Le restaurant affiche complet midi et soir. Les événements s'accélèrent et tout s'enchaîne très vite : 1re étoile au Michelin en 1990 et la 2e en 1992. Consacrés Cuisiniers de l'année par GaultMillau en 1997, ils obtiennent un an plus tard le très convoité 3e macaron. Dans le milieu, certains n'en reviennent pas. Eux non plus !
En accordant cette 3e étoile, le Michelin a fait plus que de consacrer une des plus belles tables de l'Hexagone, il a reconnu une nouvelle idée de la gastronomie et peut-être même du luxe. Le Jardin des Sens a été et reste un laboratoire de la restauration française du nouveau millénaire. Il règne en ces lieux un esprit neuf, celui de la jeunesse conquérante. Le lieu mérite déjà qu'on s'y attarde. L'architecte, Bruno Barrione, a voulu immédiatement marquer les esprits : "Au-dehors, un mur, presque un obstacle. Au-dedans, quelque chose du théâtre. Peintures, objets, nature, tout est mis en scène." C'est le premier choix : une installation loin du quartier chic de la ville, mais pourtant pas dans un château à la campagne, presque en banlieue. Le mur est là comme pour empêcher toute provocation, il faut entrer pour découvrir Le Jardin... Jacques, Laurent et Olivier jouent avec leur époque, ouvrent leur salon aux artistes contemporains, et obligent le client à laisser ses préjugés au vestiaire. Pour les habitués du style rustique-cossu-vieilles poutres-tapisseries, la salle du restaurant est pour le moins déconcertante ! Salle-amphitéâtre : sur les gradins, les tables, la blancheur des nappes, le ballet du service... le spectacle est dans la salle. Mais le regard est invinciblement attiré vers la 'scène', le minuscule jardin derrière de larges baies vitrées. "A l'abri de la rue, à légère distance de la ville, parenthèse initiatique. Révélation d'un monde. Ici, de l'extérieur ou de l'intérieur, du jardin ou des convives, on ne sait plus qui regarde l'autre. Et il y a dans cet échange comme un risque, un inconfort délicieux." C'est ainsi que les jumeaux et Olivier écrivent leur restaurant. 

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Jacques et Laurent investissent régulièrement dans l'art et achètent de nombreuses œuvres d'artistes du Grand Sud.

Du plus modeste au plus riche
Tout cela après tout n'est que jeu d'architecte, mise en scène de cuisiniers. Que se passe-t-il derrière dans les cuisines, derrière dans leur tête ? Car la spacieuse cuisine est en effet à l'arrière, à l'abri des regards de la clientèle, cachée. Si le spectacle est dans la salle, le piano n'est pas sur scène. Discrétion et retenue sont les mots-clés du code des Pourcel.
"Notre cuisine doit être accessible à tout le monde. Le mot 'accessible' doit prendre tout son sens ! Nous voulons que tous puissent se faire plaisir chez nous, du plus modeste au plus riche." Jacques résume ainsi la philosophie des trois hommes et du lieu. Les mots viennent du fond du cœur, naturellement, sans frime.
Un menu à 43 euros dans un 3 étoiles ? : "Une évidence : il est essentiel que les jeunes puissent découvrir la gastronomie française. L'argent ne doit pas être un barrage !"
La cravate, le costume : "Chacun s'habille comme il l'entend, l'important est de se sentir bien pour prendre du plaisir en goûtant notre cuisine." Même la carte des vins est représentative de cette démarche ; Olivier Château y tient beaucoup : "Nous jouons à fond les valeurs de notre région. On y vinifie des vins fabuleux à des prix incroyablement modestes !" La carte s'ouvre aux vignerons créatifs, souvent jeunes. Bien sûr, on y trouvera les références incontournables d'un restaurant haut de gamme, mais peu de bouteilles dépassent les 450 euros. Olivier ne mise pas sur les très vieux millésimes inabordables : "Le rêve doit être dans la bouteille, pas sur l'étiquette..."
A l'évidence, ce discours n'est pas classique et n'attire pas que des sympathies à ces jeunes entrepreneurs qui refusent de rentrer dans le moule. Mais pourtant, le soufflé ne retombe pas et les projets s'enchaînent à un rythme soutenu.  

En chiffres

Chiffre d'affaires global annuel HT 2001

w Le Jardin des Sens et hôtel

4 878 792 euros

w Maison Blanche

6 708 339 euros

w La Compagnie des Comptoirs

2 286 933 euros

w Il faut ajouter la SA Château Pourcel qui englobe les activités de consultants, les contrats publicitaires

533 617 euros

Nombre de salariés 246

w Le Jardin des Sens

62

w La Compagnie des Comptoirs de Montpellier et d'Avignon

99

w Maison Blanche 65
w Administratif, cave, domaines viticoles 20

Nombre de couverts/an

w Le Jardin des Sens

35 000

w La Compagnie des Comptoirs de Montpellier

25 000

w Maison Blanche

65 000

La marque Pourcel se développe
Laurent a posé ses valises en cuisine, il veille à bien doser créativité, terroir, produits, à ce que l'orchestre joue la partition sans fausse note. Jacques et Olivier ont besoin de plus de mouvement, de projets à réaliser. A peine remis d'un nouvel investissement, ils explorent déjà les voies d'un prochain développement. Pour consolider leur position à Montpellier, la création d'un hôtel leur était apparue comme une nécessité. Les premières chambres ouvrirent en 1996. Deux ans plus tard, elles obtenaient la griffe Relais & Châteaux. "Pour une nuit écrite par la cuisine. C'est-à-dire, induite par le même talent. On est loin des conventions du luxe. On est tout simplement chez quelqu'un. Dans une maison qui a quelque chose à raconter. De là vient le plaisir." Régis Bulot, fin stratège, a bien compris qu'il fallait jouer cette nouvelle manière de décliner le luxe, celle du routard arrivé, jouant ainsi la diversité. C'est alors que tout s'enchaîne. Après avoir codifié leur cuisine et la vision de leur monde dans un livre qui fera date dans l'édition culinaire (Cuisine en duo aux éditions Hachette), ils abattent les cartes avec jubilation : création d'une collection de couverts et d'objets de table, ouverture d'une cave à vins au centre de Montpellier, ouverture de la première table de La Compagnie des Comptoirs, toujours dans leur ville d'adoption, reprise de la Maison Blanche à Paris. Leur appétit est entier, il n'est plus question de s'arrêter en chemin. L'idée d'un groupe Pourcel pointe aujourd'hui son nez : ouverture d'une deuxième Compagnie des Comptoirs à Avignon, ouverture d'une boulangerie-pâtisserie à Montpellier, ouverture d'un Jardin des Sens à Tokyo... Lorsqu'on demande à Jacques si ce développement tous azimuts n'est pas une fuite en avant, il répond sereinement : "La marque Pourcel peut encore créer de nombreux projets dans la restauration. Si nous ne les menons pas à bien, d'autres le feront !"

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La féerie du Jardin des Sens a été complétée par la création d'une piscine en juin 2001.

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Ligne de couverts 'Jardin des Sens' créée par 'Tous les Trois', jeunes désigners lyonnais et distribuée par Roux-Marquiart.

Une dynamique mise au service des autres
Le monde des affaires n'empêche pas les trois mousquetaires de s'engager dans des actions syndicales, associatives et caritatives. Jacques vient de prendre la tête de la chambre syndicale de la Haute Cuisine française avec de vrais objectifs : augmenter de façon significative les adhésions en ouvrant la chambre aux 500 étoilés du Guide Rouge, et peut-être, au-delà, réorienter l'action vers moins de syndicalisme et plus de promotion pour la cuisine française. Décentraliser les réunions : dès 2002, il est prévu d'organiser des tournées dans les régions pour se rapprocher de la base. Jacques évoque également des thèmes de réflexion qui, jusqu'à présent, n'ont pas mobilisé les chefs : "Je voudrais créer un label Haute Cuisine française en développant des tests consommateurs. J'aimerais également que nous soyons beaucoup plus présents sur les débats de société : alimentation des animaux de boucherie, élevage du poisson, agriculture..." Il ajoute : "Nous devons participer à certaines opérations caritatives." La présidence de la Haute Cuisine française n'est que la partie visible de l'iceberg Pourcel. Jacques mène une action originale en collaboration avec le ministère de l'Education nationale. Tous les 15 jours, il se rend dans une école de la banlieue parisienne. Accompagné d'un artiste, il veut faire découvrir des produits inconnus aux jeunes défavorisés. Lors de sa dernière intervention, il avait apporté sur ses épaules un sac de 12 kg de moules. Parmi les gamins qu'il venait de rencontrer, 95 % n'en avaient jamais mangé, et... 100 % n'avaient jamais vu la mer !
Laurent réalise des recettes à base de légumes et de fruits. Elles sont destinées à la publication d'un calendrier qui est vendu au profit de la Ligue contre le cancer. Avec le musée des Arts modestes de Sète, les deux frères étudient la cuisine des petites gens, des gens modestes, une cuisine simple mais goûteuse. Une façon de rendre hommage à leur maman qui régalait toute la famille pour quatre francs six sous. Enfin, il est impossible de parler des frères Pourcel sans évoquer une fois encore leur implication dans le vignoble languedocien. Reconnaissance envers cette terre qui les a nourris, attachement à leurs racines, poursuite d'un combat pour que la terre du Languedoc produise enfin des vins reconnus. Leurs motivations sont multiples. Non contents de faire la promotion des appellations dans leurs restaurants, ils ont acquis deux domaines qui les rapprochent un peu plus encore du monde viticole, et qui leur permettront de produire des vins qui leur ressemblent. D'ambassadeurs, ils deviennent acteurs, et ne se gênent pas pour donner leur point de vue : "Il y a en Languedoc une nouvelle surproduction. Tout le monde a planté du chardonnay, du sauvignon, et maintenant, nous ne savons plus comment écouler ces vins durement concurrencés. On assiste à une seconde crise qui va encore laisser beaucoup de monde sur le bord de la route", nous dit Jacques. Et d'ajouter : "L'avenir du Languedoc se situe dans la réduction drastique des rendements, et dans l'élaboration de vins conceptuels adoptés par une clientèle informée et non assoiffée." n zzz22v

Les femmes et les hommes

Jacques n'a de cesse de rappeler qu'un groupe ne se constitue qu'à condition de faire confiance à ses collaborateurs, de former et de déléguer.
Un des nouveaux projets pour 2002 : l'ouverture d'une école de cuisine pour former, entre autres, des chefs auxquels les nouvelles ouvertures seront confiées. Aperçu de l'organigramme.

Associés :
Jacques et Laurent Pourcel,
Olivier Château, Bernard Chauvin

Direction :
Jacques et Laurent Pourcel,
Olivier Château

Directeur du Jardin des Sens :
Philippe Martinet

Directrice de l'hôtel :
Marie Lamy

Directeur de La Compagnie de Montpellier :
Frédéric Château

Directeur de La Compagnie d'Avignon :
Barthélémy Bruni

Chef de cuisine au Jardin :
Pascal Ginoux

Chef de cuisine à La Compagnie de Montpellier :
Denis Durand

Chef de cuisine à La Compagnie d'Avignon :
Patrick Bannelier

Chef de cuisine à la Maison Blanche :
Julien Gleize

Responsables des vignobles :
Gérard Bru et Gilles Pourcel

n La Compagnie des Comptoirs

CompagnieDesComptoirs.JPG (3340 octets)C'est un peu le bébé du troisième homme, Olivier Château. Une gigantesque porte mauresque, dénichée en plein cœur du Pakistan par un antiquaire provençal, ouvre sur un jardin orné d'un bassin.
On passe sous une vaste tente marocaine avant de pénétrer dans un monde imaginé par l'architecte Imaad Rahmouni. Association de couleurs vert anis, bleu clair et de formes contemporaines.
Mélange de styles des pays chauds, mobilier d'osier colonial, chaises en bambou, une vaste bibliothèque garnie de vieux ouvrages. Des cartes accrochées aux murs évoquent la magie du commerce des épices et des bois précieux. Tout est fait pour préparer le client à un voyage au pays d'une nouvelle cuisine des frères Pourcel.
Les épices sont reines, les plats proposés embaument les parfums d'Orient. Les recettes typées trouvent leur inspiration auprès des cuisines d'Espagne, d'Italie, du Maghreb, de l'Inde ou encore de l'Asie. Résolument tourné vers les jeunes, ce nouveau restaurant propose une carte unique où la douceur des tarifs attire une nouvelle clientèle.
La Compagnie des Comptoirs doit servir de tête de pont à un développement important du concept Pourcel. Le test sur Montpellier est positif et Avignon accueille la deuxième adresse. Alors que les chefs français n'ont d'yeux que pour l'Amérique, Olivier Château nous dévoile les plans pour les années à venir : "Nous sommes en discussion avec des investisseurs pour installer La Compagnie autour de la Méditerranée. Les pays arabes nous intéressent beaucoup. Il n'y a aucune raison pour que la cuisine française, et particulièrement celle des Pourcel, ne s'y illustre pas !"

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L'Hôtellerie n° 2750 Magazine 3 Janvier 2002

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