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L'histoire est incroyable... mais vraie, digne des contes chers à Daudet qui s'était inspiré de ce si joli petit village de Cucuron pour imaginer le Cucugnan des Lettres de mon Moulin. Michel Medhi a fait renaître, voici bientôt 2 ans, le passé gastronomique provençal du village à l'enseigne de son restaurant : La Petite Maison.
m Patricia Le Naour
Cucuron est de ces petits
villages incroyables comme il en existe encore au cur du Luberon. Un village quasi
millénaire où les habitants, chaque jour que Dieu fait, prennent encore et toujours le
temps de commenter les faits du jour sous l'ombrage des platanes centenaires de l'Etang.
Cet étang que l'on dit être la plus belle pièce d'eau de Provence, au bord duquel on
trouve La Petite Maison, cet étang où viennent encore boire aujourd'hui les bêtes, à
l'heure de la transhumance. Un cadre qui sied bien à Michel Medhi qui peut ainsi, toutes
portes de sa cuisine ouvertes sur l'extérieur, saluer ses voisins, aller, venir, sentir
son village, les ambiances, comprendre ses habitants. Si Michel n'est pas provençal de
naissance, il semble bien qu'aujourd'hui, de par la passion qu'il exprime dans la
découverte de la cuisine, de l'histoire de cette région, il soit devenu plus provençal
qu'un Provençal...
Michel Medhi est parisien. Après avoir travaillé plusieurs années dans la restauration,
comme directeur de salle dans le groupe Flo, il change de cap et, avec son épouse, une
très dynamique Provençale, quitte la capitale pour ouvrir, en 1994, un restaurant à
Bandol. Très vite les affaires marchent bien, mais l'activité est trop saisonnière pour
Michel. Il veut travailler davantage et toute l'année. Le couple se met en recherche
d'une nouvelle adresse, toujours dans le sud de la France et c'est à La Tour d'Aigues
qu'ils vont s'installer. Le rachat d'une épicerie leur permet de transformer les lieux en
un charmant restaurant. Michel et son épouse se démènent, tout marche très bien,
"il le fallait, se souvient Michel, on avait les crédits à rembourser, il
fallait faire bien et savoir rester humble". Rester humble pour Michel veut dire
savoir écouter les autres, savoir faire la conquête des gens du cru, de ses voisins, et
surtout des anciens, de ceux qui savent mais qui ne disent rien. Une manière pour Michel
de s'approprier en douceur les recettes, les tours de main, de s'imprégner de la
tradition, de faire renaître le patrimoine culinaire. Si le restaurant marche très bien,
ce n'est pas encore suffisant pour Michel "on plafonnait à 70 couverts par jour,
c'était trop peu". Alors Michel repart en quête de nouveaux horizons et pense
un moment revenir sur Paris pour y ouvrir un restaurant provençal. C'était sans compter
sur la visite d'une cliente, Lady Hamlyn... Le début du conte de fée.
C'est auprès des antiquaires de la région que le linge de table a été acheté.
"Il va vous arriver quelque
chose"
Cette cliente n'était autre que la propriétaire, entre autres, du château de Banyols en
Beaujolais. Parce qu'on lui avait vanté les qualités de cuisinier de Michel Medhi, Lady
Hamlyn s'est installée à la table du restaurant de La Tour d'Aigues en demandant à
manger "des plats d'ici". Il n'en fallait pas plus pour enchanter Michel
qui allait lui servir un festin de son cru : Civet de lièvre, pieds et paquets, des
cèpes. A la fin du repas, quelle ne fut pas la surprise de Lady Hamlyn quand elle apprit
qu'ils n'étaient que... 2 en cuisine pour réaliser un tel repas ! Elle partit enchantée
de sa découverte et, peu de temps après, lui demanda de venir chez elle, dans son
château, pour y réaliser un dîner. A la fin du service, quand Michel fut appelé par
ses hôtes, il découvrit qu'à table était installé Michel Guérard, entre autres
convives. Avec l'il espiègle qu'on lui connaît, Michel Guérard prévint
immédiatement Michel : "C'était formidable ce que vous nous avez préparé,
mais... sachez que vous n'allez pas vous en sortir comme ça..., il va vous arriver
quelque chose." Interloqué, Michel n'eut pas besoin d'attendre longtemps pour
savoir ce qui allait lui arriver. Lady Hamlyn vint lui rendre visite quelque temps plus
tard : "Je suis ravie de manger enfin dans cette région des plats authentiques
grâce à vous, alors j'ai décidé de vous offrir un restaurant", lui
expliqua-t-elle. A partir de là, la vie de Michel allait basculer... Il se mit en quête,
avec l'aide bien sûr des équipes de Lady Hamlyn, d'un lieu, et c'est à Cucuron qu'il
s'installa. Le lieu était magique, il avait longtemps été café-restaurant. Tout était
à refaire et tout fut refait. Un peu perdu au début bien sûr, Michel choisit des
équipements modestes, il pensait devoir investir dans la rénovation, il tire sur tout,
jusqu'à ce que Lady Hamlyn lui demande de tout changer et faire les meilleurs choix, elle
veut pour lui le meilleur outil de travail qui soit. Et il l'aura : si la cuisine est
minuscule, les lieux ne permettant pas de faire autrement, elle est conçue d'une façon
exemplaire : tout est carrelé et les 23 m2 ont l'air conditionné. En salle, la
décoration est raffinée, dans toute la région des portes anciennes, des meubles, mais
aussi du linge, des pièces de décoration, ont été chinés pour redonner au lieu son
authenticité, pour lui rendre la richesse de son passé. Si Lady Hamlyn prenait en charge
l'installation, Michel Medhi avait lui à investir dans le courant : la bureautique, les
stocks, la cave. Un investissement conséquent tout de même, les choix se devant d'être
en rapport avec le reste de la maison. Un financement qui fut loin d'être facile, les
banques ne voulant pas suivre, considérant que les autres investissements allaient situer
La Petite Maison à un niveau de prestation trop élevé et que les clients ne suivraient
pas... Il fallut beaucoup de patience à Michel Medhi pour convaincre et pour enfin
arriver à financer ses équipements.
Une cuisine de 23 m2 avec air conditionné...
Cuisine inventive autour de la
tradition
C'est à l'été 2000 qu'il ouvrit enfin La Petite Maison, avec 8 personnes. Sa femme
venait l'aider, tout en continuant à faire tourner le restaurant de la Tour d'Aigues.
Michel n'allait pas compter son temps, n'allait presque pas dormir au cours de la
première saison, "quelquefois un peu au bureau, dans l'après-midi", se
souvient-il. A peine ouvert, le restaurant allait se remplir, "il fallait que je
travaille très fort, le mois d'août, c'était pour moi le moyen de préparer ma
trésorerie pour l'hiver", précise-t-il. La période du gibier fut du même
acabit que l'été, puis vint la période des fêtes, il affichait complet deux semaines
avant Noël...
L'affaire était bien partie et Michel se sentait de plus en plus d'ici... de Cucuron.
Comme la cuisine qu'il fait à La Petite Maison. Et de pouvoir enfin se laisser aller à
vous parler de sa cuisine, de sa passion pour les produits, pour les manières de faire
que seuls les anciens protègent. Il vous parlera des parfums de la daube, du zeste
d'orange qu'il ne faut jamais oublier. Il vous expliquera comment il demande aux anciens
leurs recettes, l'angoisse qu'il a quand il leur fait goûter ce qu'il a préparé. Il
évoquera son rapport avec les produits, son besoin de faire partager sa passion pour la
cuisine avec ses clients mais aussi avec son personnel à qui il tient à tout faire
goûter "pour qu'ils sachent mieux en parler aux clients, pour qu'ils connaissent
tous ce qu'ils servent". Il dira combien il est attiré par le terroir de
Provence, combien il a envie d'écouter et de suivre les anciens auprès desquels il se
ressource, combien il aime aller jusqu'au bout de certains goûts, combien il est heureux
d'être chaque jour en cuisine. Vous vous demanderez peut-être comment cet homme-là
tient, comment il peut, presque nuit et jour, se consacrer à cette cuisine. A l'entendre,
vous comprendrez que justement cette cuisine est la passion de sa vie, qu'il en reste
avide, qu'il est un homme pressé qui veut encore et toujours en faire plus, encore et
toujours en découvrir plus, peut-être parce qu'il est tombé dans la marmite un peu plus
tard que les autres... Et vous vous laisserez aller à sa table, à sa carte des vins,
avec ses 250 références, ses riches choix de vins de la région pour une carte bien
récente pourtant. Et vous trouverez certainement que décidément Cucuron n'aura pas
inspiré que Daudet... et c'est très bien comme ça. n zzz22v
La Petite Maison Place de l'étang 84160 Cucuron Tél. : 04 90 77 18 60 Fax : 04 90 77 18 61 E-mail : la-petite-maison@wanadoo.fr |
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En chiffres |
Menus Formule déjeuner 140 francs (21,34 euros) Menu provençal 280 francs (42,69 euros) Carte entre 140 et 250 francs A la carte Rouget de Méditerranée en écaille de pomme ratte, vinaigrette aux olives de Luque et caviar d'aubergine Risotto d'Epeautre de Sault aux tellines Coloquinte farcie de caviar d'aubergine, basilic, pourpier rouge, basilic citronné, coulis de poivron rouge |
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L'Hôtellerie n° 2747 Magazine 6 Décembre 2001