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du 11 septembre 2003
ACTUALITÉ JURIDIQUE

Du côté des prud'hommes

LA FAUTE GRAVE D'UN VEILLEUR DE NUIT

Il n'est pas toujours facile d'évaluer la gravité d'une faute commise par un salarié. Nous vous proposons un cas de faute grave commise par un veilleur de nuit et la façon dont l'employeur a apporté la preuve de cette faute.

L'affaire concerne un hôtel 3 étoiles à Paris. Sa situation exceptionnelle fait que tout Paris est à portée de main : la tour Eiffel, le parc des expositions de la porte de Versailles, le front de Seine, Montparnasse...
De fait, voyageurs d'affaires ou touristes apprécient particulièrement les 30 chambres qui le composent.
Un matin, la direction de cet hôtel apprend, par l'intermédiaire de deux femmes de chambre, qu'une chambre non louée a été occupée.
La femme de chambre qui s'apprêtait à passer simplement un coup de chiffon a en effet constaté avec surprise que le lit avait été refait à la va-vite, les draps souillés, des déchets dans la poubelle de la salle de bains, et que les serviettes de bain avaient été utilisées.
La femme de chambre a d'ailleurs pris soin de le faire remarquer et constater par sa collègue. Et pour cause, elle ne veut pas être incriminée : il lui a fallu prendre sur son temps de travail pour refaire cette chambre qui n'était pas sur son planning. Elle a donc décidé d'alerter sa direction qui mène immédiatement son enquête. Très rapidement, cette dernière confirme que la chambre n'avait pas été louée la veille au soir jusqu'au départ du dernier réceptionniste ; le tableau 'réservations' ne faisait état d'aucune location.
Une évidence s'impose à tous : c'est pendant la nuit que la chambre a été occupée. Cela n'a été possible que grâce à la complicité du veilleur de nuit. Celui-ci est immédiatement convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement. A cette occasion, il ne fournit aucune explication aux faits qui lui sont reprochés. Dès lors, la direction de l'hôtel décide de lui notifier son licenciement pour faute grave, au motif qu'il a laissé occuper une chambre pendant la nuit sans que cela ne soit déclaré à la direction, au mépris de la sécurité des biens et des personnes, ainsi que des intérêts financiers de l'hôtel.  

Le salarié nie les faits
Le salarié conteste immédiatement le licenciement pour faute grave dont il a fait l'objet et décide de saisir le conseil de prud'hommes.
Devant la formation de jugement du conseil de prud'hommes, le salarié, assisté de son avocat, affirme haut et fort être la victime d'une machination montée de consort par ses collègues et la direction. Il met tout d'abord en avant, les presque 10 années de service passées au sein de l'hôtel, au cours desquelles il n'a pas fait, selon lui, l'objet de reproches.
Puis, lorsqu'il est interrogé par le président d'audience sur les faits qui lui sont reprochés la nuit en cause, il répond ne pas avoir loué la chambre à qui que ce soit. Il n'a pas davantage laissé des personnes étrangères s'introduire dans l'hôtel. Pour lui, ce sont les femmes de chambre qui ont inventé ces clients imaginaires pour expliquer qu'elles n'avaient pas, les jours précédents, procédé au nettoyage de la chambre en cause.
Selon lui, la direction s'est empressée de se rallier à la version des femmes de chambre pour pouvoir se passer de ses services.
D'ailleurs, explique le salarié, il faut rappeler qu'il a pu, quelque temps avant son licenciement, demander à son employeur de respecter scrupuleusement les horaires prévus à son contrat de travail et lui payer les heures qui lui étaient dues. Le salarié en rajoute en produisant le témoignage d'un parent selon lequel la gérante lui aurait confié : "Cela fait longtemps que nous avons envie de le mettre à la porte." Voilà pour sa version des faits, et son avocat de conclure par un argument de poids. Les faits reprochés à son client ne sont en tout état de cause pas établis. Ce ne sont que des allégations. Or, il appartient à l'employeur, qui procède au licenciement d'un salarié pour faute grave, d'apporter la preuve de la réalité et de la gravité des faits reprochés : c'est à l'employeur de supporter la charge et le risque de la preuve (Cass. Soc. 05/03/1981 n° 78-41.806 et Cass. Soc. 11/12/1986 n° 84-41.395).

L'employeur produit des attestations d'autres salariés
Evidemment, l'employeur s'insurge contre les affirmations du veilleur de nuit. Jamais il n'a fait part à la direction de la moindre réclamation concernant ses horaires de travail. A chaque fois qu'un aménagement de ses horaires est intervenu, il a été confirmé par un avenant écrit à son contrat de travail, signé des deux parties.
Quant aux bulletins de paie du salarié, ils attestent sans difficulté de la rémunération de l'ensemble de ses heures de travail, y compris des quelques heures supplémentaires qu'il a pu être amené à exécuter à l'occasion de son activité au sein de l'hôtel.
Les plannings de présence sont là pour confirmer sa durée de travail. En conséquence, il ne saurait y avoir d'insinuation du salarié quant à une mesure de rétorsion de la part de l'hôtel.
Par ailleurs, ce même employeur en profite pour rappeler que le salarié en cause n'est peut-être pas si innocent qu'il veut bien le prétendre. Il a fait l'objet de deux avertissements, auxquels il n'avait jamais apporté la moindre contestation.
Par suite et surtout, il n'est pas question de cabale montée contre le veilleur de nuit dans cette affaire. Les deux femmes de chambre ont effectivement constaté que la chambre en cause avait été occupée. Elles ont établi deux attestations sur l'honneur conformes aux dispositions de l'article 202 du Nouveau Code de procédure civile, aux termes desquelles elles retracent de façon précise les éléments matériels qui leur ont permis de conclure à l'occupation de cette chambre. Lit refait à la va-vite, draps souillés, etc. Or, poursuit l'employeur, la main courante de l'hôtel ne fait état d'aucune réservation de cette chambre la veille au soir. Le planning des femmes de chambre ne fait état d'aucune intervention dans celle-ci pour une éventuelle recouche ou une 'chambre en blanc', selon les expressions habituelles de la profession. Seule une visite de contrôle s'imposait, celle-là même qui a permis aux femmes de chambre de découvrir le pot aux roses.
Enfin, le dernier réceptionniste au soir est formel : à aucun moment il n'a loué cette chambre, lui ou l'un de ses collègues. Il témoigne sur l'honneur. Dès lors, la complicité du veilleur de nuit est incontestable. Il a laissé s'introduire des personnes étrangères à l'hôtel et leur a autorisé l'occupation de ladite chambre. Cela est une faute grave qui justifie pour l'employeur le licenciement immédiat du salarié, sans préavis, ni indemnité de licenciement.

Le jugement du conseil de prud'hommes
Après la plaidoirie des parties, le conseil de prud'hommes s'est retiré pour délibérer. Puis, il a rendu son jugement, déboutant le salarié de l'ensemble de ses demandes, confirmant ainsi la faute grave invoquée par l'hôtel.
Le conseil de prud'hommes relève dans son jugement que l'employeur, sur lequel repose la preuve de la faute grave, produit des documents établissant la réalité et la gravité de la faute : la main courante, d'une part, les attestations des salariés, d'autre part, permettent de prouver l'accusation du veilleur de nuit.
Puis, le conseil de prud'hommes considère que "le seul fait d'avoir laissé pénétrer des personnes dans l'hôtel, alors qu'il n'était pas prévu qu'il loue une chambre, et partant d'avoir permis l'occupation de ce fait illicite d'une chambre, constitue de la part 'du salarié' à un manquement certain à ses obligations contractuelles de nature à empêcher à lui seul la poursuite de son contrat de travail, même pendant la période limitée de son préavis, alors que ses fonctions de veilleur de nuit consistaient précisément à éviter de telles intrusions de personnes étrangères à l'hôtel". Cette décision du conseil de prud'hommes sera confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 23 janvier 2003. Voilà une décision de nature à rappeler aux veilleurs de nuit leurs responsabilités. Elle attire aussi l'attention de tout hôtelier sur l'obligation qui lui est faite de prouver la réalité et la gravité des faits reprochés lorsqu'il invoque la faute grave.
F. Trouet (Synhorcat) zzz60u

Modèle d'une attestation

ATTESTATION
(ARTICLE 202 DU NCPC)

Je soussigné(e) :

Nom, prénoms :

Date et lieu de naissance :

Domicile :

Profession :

(Indication, s'il y a lieu, du lien de parenté avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles)

Atteste les faits suivants (suivant le cas) auxquels j'ai assisté ou que j'ai personnellement constatés :

..........................................................................................................
..........................................................................................................
...........................................................................................................

Cette attestation est établie en vue de sa production en justice.

J'ai connaissance qu'une fausse attestation de ma part m'expose à des sanctions pénales.

A........................, le ................... (date)

Signature

(Attestation à écrire, dater et signer de la main de son auteur).

(Joindre obligatoirement la photocopie d'une pièce d'identité portant la signature).

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