Actualités


Actualité

Paul Dubrule et Gérard Pélisson parlent du dossier Méridien

«Les politiques ont fait preuve
d'une naïveté coupable»

L'affrontement entre Forte et Accor a été long et douloureux au cours de l'année 1994. L'enjeu était de taille : Air France, contraint par de mauvais résultats à réaliser certains de ses actifs, vendait Méridien. L'Etat en étant l'actionnaire principal, c'était à lui de choisir à qui une chaîne de renommée internationale qui portait haut le pavillon de la qualité française, financée avec des deniers publics, allait être vendue. Le gouvernement français a choisi Rocco Forte qui, outre le fait qu'il n'a jamais payé la totalité du prix convenu, se voyait écarter de la présidence de son groupe un an après la reprise de Méridien. Aujourd'hui, Méridien ne bat plus le pavillon français, les Anglais rapatrient les équipes à Londres. Nous avons demandé à Paul Dubrule et Gérard Pélisson de nous donner leur sentiment sur cette opération, ses causes et ses conséquences.

L'Hôtellerie :

Vous avez mené un combat acharné pour acquérir Méridien en 1994. Le gouvernement français a préféré vendre la chaîne aux Anglais. Méridien a subi plusieurs plans sociaux, a changé de propriétaire et on annonce à court terme une disparition du siège parisien au bénéfice de Londres. Qu'en pensez-vous ?

Paul Dubrule :

«Sur cette affaire, il y a eu un comportement incroyable tant des médias que du monde politique. En règle générale, quand une entreprise étrangère veut prendre le contrôle d'une entreprise française, les médias prennent plutôt la défense des intérêts français, ce qui est normal, mais dans le cas de Méridien, on a assisté à une attitude très différente. Il y a eu une collusion des médias et des politiques pour trouver excellente l'idée que Méridien, une entreprise financée par l'Etat avec les deniers publics, avec nos impôts, soit vendue à l'étranger. Et là, il y a une responsabilité forte des politiques et des médias qui ont trouvé meilleur, pour je ne sais quelle raison, d'attaquer Accor et de tout faire pour mener une campagne d'intoxication qui amène à dire : Accor n'est pas bien et la vente de Méridien à l'étranger, c'est très bien comme ça.»

Gérard Pélisson :

«Là où il faut bien remettre les pendules à l'heure parce que ça n'a jamais été exprimé de façon très claire, c'est que Forte a proposé pour 1,9 milliard de cette affaire, nous, nous avions proposé 1,7 milliard en cash. Certains ont dit que nous ne proposions que du papier, c'est faux, c'était du cash, puisqu'on s'associait pour ce faire avec des financiers extérieurs. Or, il est clair que quand Forte a proposé 1,9 milliard, il l'a fait sachant très bien qu'il n'allait pas payer cette somme, mais seulement 1,7 milliard parce qu'il avait mis dans son contrat des conditions telles que le prix allait ensuite se réduire. Et d'ailleurs, aujourd'hui, Forte n'a pas payé un sou de plus que ce que nous aurions payé. Il fallait être d'une naïveté coupable pour croire que Forte allait payer 1,9 milliard ! Et les grands naïfs dans cette affaire sont Messieurs Alphandery et Bosson avec derrière Matignon» - «Monsieur Balladur», précise Paul Dubrule.

L'Hôtellerie :

Au-delà du prix, il y avait des promesses de maintien du siège social à Paris. Là encore, le contrat de départ n'a pas été respecté. Les promesses n'ont engagé que ceux qui les ont crues.

G.P. :

«Vous avez tout à fait raison. Et là encore, pour avoir cru que les Anglais allaient garder un état-major à Paris, il fallait être d'une naïveté imbécile...»

P.D. :

«Et comme je ne veux pas croire qu'ils puissent être ou naïfs ou imbéciles, je voudrais bien savoir pourquoi ?»

L'Hôtellerie :

Quelle arrière-pensée pouvaient avoir les politiques ?

G.P. :

«Oh ! Je crois qu'il y a deux thèses : la thèse de Paul qui pense qu'il y a des raisons quelque peu machiavéliques, mais il y en a une autre qui est peut-être plus accablante, c'est tout simplement la bêtise de notre haute administration. Sachez qu'on a même dit en haut lieu que l'Etat aurait eu mauvaise conscience de privilégier un tant soit peu une entreprise française ! Il faut être tombé sur la tête pour avoir un tel raisonnement ! Quand vous voyez comment les Anglais privilégient les entreprises anglaises, les Allemands les entreprises allemandes ! Et nous, on allait avoir mauvaise conscience parce qu'à Bruxelles, on n'aurait pas été contents ! Cette histoire est un tel tissu d'absurdités qu'on peut se demander, c'est vrai, si derrière il n'y avait pas autre chose! Malheureusement pour l'économie française.»

L'Hôtellerie :

Qu'est-ce que l'économie française aurait gagné si Méridien était tombé dans le giron d'Accor ?

P.D. :

«Vous posez la vraie question. On n'a malheureusement pas en France l'habitude de poser ce genre de problème en terme économique et c'est une des raisons pour laquelle sur le plan politique, le tourisme est si peu et si mal pris en compte. Nous avions commandité une étude sur les exportations générées par les hôtels Méridien à l'étranger, il en était ressorti qu'il y avait un mouvement de l'ordre de 800 millions de francs par an d'exportations induites par l'existence de ces hôtels à l'étranger. Alors bien sûr, en plus de la perte du siège en France et des emplois correspondants, voilà ce que l'économie française a perdu en vendant Méridien aux Anglais. Une décision très grave quand on sait tous les efforts que l'on doit faire pour implanter une entreprise à l'étranger, pour exporter nos produits, nos cadres.»

L'Hôtellerie :

Pourquoi n'avez-vous pas mis ces chiffres plus en avant au moment des négociations.

P.D. :

«Mais nous l'avons fait et l'on nous rétorquait «ah oui, mais vos études, vous les mettez seulement en avant parce que vous voulez Méridien». Bien sûr que l'on voulait Méridien, mais le problème ne se posait pas en ces termes : il y a eu, de par la décision des politiques, un appauvrissement de l'économie française !»

G.P. :

«Aujourd'hui, il est clair que les redevances que payent les hôtels étrangers ne vont pas à Paris, mais à Londres ! C'est ça aussi les 800 millions dont on parle comme les vins et tous les produits français que l'on servait dans les hôtels Méridien. Aujourd'hui, même s'il reste quelques vins français, la motivation et la culture ne sont plus les mêmes et il y a de plus en plus de produits locaux maintenant, c'est la même chose pour les équipements, les matériaux. Ne parlons pas des expatriés et des conséquences pour l'emploi. Quand on est une chaîne française, on envoie des chefs français, des directeurs français dans ses hôtels. Eux-mêmes sur place font venir les produits de France, c'est une chaîne très importante. Eh bien, tout cela a été délibérément perdu pour l'économie française.»

L'Hôtellerie :

Vous en éprouvez une réelle amertume.

P.D. :

«Oui, parce que l'on ne demandait aucun avantage particulier ! Nous avons construit notre groupe sans aucune aide, nous n'avons jamais rien demandé à l'Etat. Nous avons bénéficié au début dans les années 70 des fonds du FDES, mais qui étaient valables pour tout le monde ! On a payé des impôts, on a toujours fait des bénéfices, créé des emplois ! On ne demandait pas d'être aidés.»

G.P. :

«On avait même, en 1994, signé avec M. Balladur un plan emploi-formation pour 1.200 jeunes, plan que nous avions réussi à dépasser et dans l'année qui suit, on ne trouve rien de mieux à faire que de vendre Méridien aux Anglais ! Du coup, près de 150 emplois de salariés français ont été perdus.»

P.D. :

«Pour être un peu politique, je ne peux pas penser que les hommes politiques soient aussi bêtes.»

L'Hôtellerie :

«Il y avait donc une arrière-pensée dans le choix de Forte. Ne pensez-vous pas que les politiques préféraient se débarrasser d'un des dossiers Air France d'une manière plus définitive en le faisant traverser la Manche qu'en le laissant entre les mains d'un groupe français ?

P.D. :

«La question mérite d'être posée...»

Propos recueillis

par PLN

Paul Dubrule et Gérard Pélisson : «Il y a eu,
de par la décision des politiques, un appauvrissement de l'économie française !».



L'HÔTELLERIE n° 2501 HEBDO 13 mars 1997

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
Articles les plus lus...
 1.
 2.
 3.
 4.
 5.
Le journal L'Hôtellerie Restauration

Le magazine L'Hôtellerie Restauration