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du 10 janvier 2008
GASTRONOMIQUE MOLÉCULAIRE

Peut-on moderniser la cuisine régionale ? Peut-il exister une cuisine moderne spécifiquement française, ou bien la modernité est-elle une sorte de grand chaudron diabolique où toutes les cultures seraient perdues parce que fondues ?
Hervé This, auteur du sujet interactif 'la gastronomie moléculaire' sur larestauration.fr zzz44r zzz44t

Pour donner du goût

Choisissez les meilleures façons de cuire les légumes et les fruits

Cinq fruits et légumes par jour ? Ou dix ? Peu importe : ce qui compte, c'est de consommer quotidiennement une quantité suffisante de vitamines, de minéraux, d'oligoéléments, d'agents antioxydants, de fibres variées… que nous apportent, entre autres, les fruits et légumes, crus ou cuits.


Cuite à l'anglaise, la carotte s'appauvrit en ses constituants sapides et odorants.

Les légumes font fréquemment l'objet d'une cuisson à l'anglaise laquelle présente de nombreux inconvénients. Ne suffit-il pas de chauffer des carottes dans de l'eau, même brièvement, pour s'apercevoir que l'eau prend du goût : n'est-ce pas ainsi, notamment, que l'on produit des bouillons ? Ce que l'on ignore, c'est que la carotte libère alors principalement des sucres, à savoir le glucose, le fructose et le saccharose. Le glucose ? C'est l'énergie de notre organisme, un sucre qui circule dans notre sang, mais qui se trouve également dans de nombreux fruits et légumes. Le fructose, comme son nom l'indique, est également présent dans les fruits et légumes, mais aussi dans le miel, par exemple. Le saccharose, enfin, en est progressivement parvenu à supplanter les autres, au point qu'on le nomme aujourd'hui LE sucre de table ; sa saveur sucrée est différente, d'une part, et son pouvoir sucrant supérieur.
Ce qu'il n'est pas inutile de savoir, c'est que la cuisson du saccharose, surtout quand le milieu est acide, dissocie ce sucre en ses deux constituants, le glucose et le fructose. Et voilà notamment pourquoi un bouillon de carottes (par exemple) prend une saveur sucrée différente quant on le cuit peu ou quand on prolonge sa cuisson. Son sucré puissant s'adoucit.
Toutefois, si la carotte perd son sucre dans le bouillon, elle s'appauvrit en ses constituants sapides, odorants… mais aussi en éléments nutritionnels. Mais, au fait, pourquoi cuit-on les légumes ? Pour la même raison que l'on cuit les viandes et les poissons : pour changer la consistance (une carotte entière est dure), assainir (tuer les micro-organismes pathogènes), donner du goût. D'où le chauffage qui, dans le cas des produits végétaux, a plusieurs actions.

La cuisson à l'anglaise appauvrit les légumes
D'abord, il faut savoir que les fruits et légumes sont faits de 'sacs' - les cellules - collés entre eux par un ciment dur : la paroi végétale. Celle-ci est faite de cellulose (pensons à du coton hydrophile puisqu'il s'agit de cellulose presque pure), d'hémicelluloses (des molécules analogues à la cellulose) et de pectines. Oui, de pectines : les mêmes molécules qui font prendre les confitures ! Lors du chauffage, les pectines, qui sont comme de minuscules arbres, sont lentement dégradées, libérant un sucre nommé acide galacturonique. Le ciment entre les cellules se dégradant, celles-ci peuvent se séparer : le tissu végétal s'attendrit. Simultanément, les micro-organismes sont tués…
Et le goût dans cette affaire ? D'abord, lors de cuissons de type 'à l'anglaise', une odeur s'élève au-dessus des casseroles : c'est autant de perdu pour l'assiette. En outre, les molécules sapides que sont les sucres, par exemple, disparaissent dans l'eau de cuisson. Bref, on ne récupère que des fruits et légumes bien appauvris. Alors, comment tirer un meilleur parti des légumes et des fruits cuits à l'anglaise ? En conservant précieusement les eaux de cuisson, qui renferment vitamines, minéraux, oligoéléments, sucres… pour les consommer en potages ou en faire des sauces… Évitons aussi les blanchiments, rarement indispensables. Bien rares, en effet, sont aujourd'hui les cas où il faille enlever beaucoup d'âcreté à un légume ou à un fruit lors d'un blanchiment préalable.

Sautez, braisez, rôtissez… les légumes et les fruits
Pourquoi ne pas chauffer les légumes autrement qu'à l'anglaise ? Oui, la cuisson à sec risque de faire attacher, mais, alors, pourquoi ne pas ajouter un corps gras ? Ce sont alors des légumes sautés, par exemple, où la matière grasse dissout bien des molécules odorantes. Le procédé peut se raisonner davantage, quand on observe que des légumes à l'anglaise sont comme une viande bouillie.
Le rôtissage donne bien plus de goût, notamment grâce aux réactions chimiques
découvertes par le chimiste nancéien Louis-Camille Maillard, qui font intervenir des sucres et des acides aminés. Or, si les légumes libèrent des sucres, ils ne sont pas riches en acides aminés : pourquoi ne pas en ajouter ?
Oui, mais comment faire ? Tout simplement en ajoutant des protéines, molécules composées d'acides aminés. Lors de leur chauffage, les protéines se dégradent et les acides aminés sont ainsi libérés. Pourquoi ne pas, alors, chauffer les légumes en compagnie d'une glace de viande, ou d'une viande très riche en tissu collagénique, longuement, à feu modéré, afin de donner du temps aux protéines de libérer les acides aminés qui iront réagir avec les sucres des légumes ? Je propose de nommer le produit obtenu une 'demi-glace de légume'. Bien d'autres possibilités s'offrent à l'esprit systématique qui considère que les cuissons 'pures' sont au nombre de 12 environ : par contact avec un solide chaud, un liquide chaud (eau, huile) , un gaz chaud (air, vapeur), par exposition à des rayonnements (infrarouge, micro-ondes…), par application de composés chimiques (sucres, sels, acides…). Les 'doubles cuissons' sont alors les 144 possibilités que l'on obtient quand on effectue, comme dans le braisage, une opération, puis une autre : le braisage classique, c'est d'abord un brunissement de surface par contact avec de l'air très chaud, puis une cuisson longue par contact avec de la vapeur moins chaude, dans l'enceinte fermée de la braisière. 144 possibilités, dont beaucoup sont inconnues : je vous laisse vous amuser avec des légumes, heureux que nous ne soyons pas condamnés à la cuisson à l'anglaise. n zzz44t zzz44g

CUIRE EN CROÛTE DE SUCRE ET FRIRE EN SUCRES
2 NOUVELLES FAÇONS DE CUIRE LES LÉGUMES ET LES FRUITS
Toujours soucieux du goût des fruits et des légumes lors de leur cuisson, réfléchissons à la cuisson en milieu clos : cocotte lutée, papillote, tourte et… croûte de sel. Du sel ? Mais quel autre ingrédient pourrions-nous utiliser pour cuire en croûte ? Voici les réflexions que j'ai transmises à mon ami Pierre Gagnaire, comme je le fais chaque mois, et qu'il illustre avec des recettes. Notre travail commun est présenté sur le site de Pierre : pierregagnaire.com/francais/cdthis.htm

"Tout dépend évidemment de l'objectif, mais je m'étonne que le sucre ait été délaissé. Il n'a pas la stabilité thermique du sel, mais quand même, on peut le cuire sans qu'il caramélise trop : le sucre chauffé longuement ne caramélise qu'au-delà de 140 degrés. Comme l'objectif des cuissons en milieu clos est souvent de produire un volume où la température reste douce, rien ne sert d'enfourner l'objet en croûte de sucre à plus de 140 °C. C'est ainsi que l'on conserve une croûte bien blanche… de sucre. Cela étant, l'objet que l'on cuira ainsi restera peu sucré, tout comme le poisson en croûte de sel n'est pas salé (d'autant que la peau, dans ce cas, prévient le passage du sel vers la chair). Quels ingrédients enfouiras-tu ainsi ? D'ailleurs, la caramélisation n'est peut-être pas à rejeter comme pestiférée ! Pourquoi éviter, de même, la cuisson en croûte de caramel ? Si elle est maîtrisée, tu obtiendras le fumage de l'aliment encroûté par les molécules odorantes du caramel.

Des fritures en sucre
Évidemment, cette proposition ne serait pas close sans que je ne parle de fritures en sucres. Oui, en sucres au pluriel, parce que le sucre de table, le 'saccharose', n'est pas le seul que tu puisses utiliser. Il y a aussi le glucose, le fructose, le lactose… bien des possibilités, bien des goûts…
Il y a de très nombreuses années que j'avais imaginé faire des fritures en sirop de sucre. Je sais que je n'aurais pas de prix Nobel avec cela, puisque c'est une pratique des pâtissiers ou des confiseurs, mais pourquoi les cuisiniers n'utilisent-ils pas ce type de procédé ? Parce que le sucre est trop sucré ?
C'était la raison pour laquelle j'avais proposé des fritures dans des sirops de glucose ou de fructose, qui sucrent bien différemment. Je ne parle pas d'autres sucres, qui sucrent encore moins, mais qui restent plus difficiles à trouver. Et puis, si tu veux bloquer la saveur sucrée, il y a aussi quelques molécules, telle le lactisol, qui feront un effet étonnant. Bref, la cuisine a bien des possibilités. Laquelle testeras-tu ?" Et, c'est ainsi que Pierre a imaginé deux recettes : la Pomme en croûte de sucre et le Poivron rouge en croûte de sucre. Deux recettes à découvrir sur son site.

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L'Hôtellerie Restauration n° 3063 Magazine 10 janvier 2008 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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