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du 3 novembre 2005
L'ÉVÉNEMENT

Les restaurants traditionnels

< DANS L'OUEST

Brigitte Delaunay, restauratrice et maître d'apprentissage à Saint-Malo (22)
"Que l'on fasse alors un autre CAP si c'est pour apprendre à réchauffer les plats !"


Benoît Jouneaux de l'Auberge de La Ville au Vent à Locminé, Brigitte Delaunay, restauratrice et maître d'apprentissage à Saint-Malo, et Pierre-Yves Le Moal, restaurateur dans les Côtes-d'Armor sont contre le nouveau CAP cuisine.

"Je suis titulaire d'un bac S scientifique et ce ne sont certainement pas mes études supérieures qui m'ont permis d'ouvrir le restaurant… Ou alors éventuellement pour rassurer les banques ! Je ne vois pas ce que la chimie vient faire en cuisine. C'est bel et bien grâce à nos CAP que mon mari et moi réussissons à remplir notre restaurant. D'accord, notre métier évolue, mais que l'on fasse alors un autre CAP si c'est pour apprendre à réchauffer les plats !" Président des Restaurateurs du Morbihan, Benoît Jouneaux, de l'Auberge de La Ville au Vent à Locminé, regrette que l'on "ne forme plus que des fournisseurs de produits élaborés. L'évolution de la société est-elle synonyme de malbouffe ? En cuisine, si l'on s'en donne un peu la peine, on peut se passer de nombreux produits finis. Je suis pour revenir à un CAP à 3 ans. Aujourd'hui, on ne fait que survoler le métier". Un avis partagé par son confrère des Côtes-d'Armor, Pierre-Yves Le Moal qui regrette que "la profession n'ait pas été consultée. Est-ce que l'on ne sonne pas ici le glas d'une profession ? Est-ce pour faire disparaître les cuisiniers ?"
Olivier Marie zzz22v zzz68v

Patrick Letellier, restaurants Jules et le 7ème Art à Amiens (80)
Pas la cuisine de papa


Hich-tech dans la nouvelle cuisine du 7ème Art. Le second de cuisine Frédéric Vanpuyvelde explique les avantages du vario-cooking.

À 500 mètres de distance, en plein centre d'Amiens, Patrick Letellier dirige 2 affaires importantes. La première, Jules, située dans un centre commercial, a 15 ans. C'est une brasserie de type parisien à grands volumes avec un ticket moyen de l'ordre de 40 E. Le 7ème Art vient d'ouvrir dans un multiplex Gaumont. Il vise près de 200 couverts, entre 20 et 25 E. La Brasserie Jules emploie 3 apprentis. Le 7ème Art a ouvert le 27 octobre avec une équipe jeune et un équipement high-tech. "C'est une responsabilité importante et un énorme travail que d'employer des apprentis", commente Patrick Letellier. C'est aussi une forme de devoir dans une maison qui accorde beaucoup d'importance à l'humain. Ce sont des cuisines de taille, plus de 10 personnes pour 200 couverts par jour et davantage, extrêmement attentives aux règles d'hygiène et à la productivité, donc très équipées. Mais en même temps, on y fait presque tout sur place, y compris préparer les légumes et fumer le saumon, à quelques exceptions importantes, comme les fonds, abandonnés. Patrick Letellier souhaite donc voir des jeunes formés aux bases permanentes de la cuisine, mais aussi aux dernières avancées.
"Malheureusement, les équipements font souvent défaut dans les CFA", reconnaît-il. C'est donc beaucoup chez Jules que les jeunes apprennent à se servir de matériels dernier cri, mais aussi à préparer vite dans une ambiance très organisée. En salle, "la découpe traditionnelle du canard ne sert plus à grand-chose. Nous voulons des gens aux bases solides, qui soient ouverts, sachent parler au client et l'écouter, sourient, vendent, soient prêts à apprendre". Jules est une école en soi. Est-elle complémentaire ou parallèle à la formation académique ? Sans doute les deux.    A. S.

< RÉGION NORD

Bernard et Nicolas Desnave, chef et second du Petit Bruxelles à Sainte-Marie-Cappelle (59)
"Au maître d'apprentissage de suppléer"


Bernard Desnave Au petit Bruxelles, près de Cassel. Le crabe a été détaillé à la main par la famille.

Bernard Desnave dirige un restaurant de campagne réputé au pied du mont Cassel dans le Nord. Auprès de lui, ses fils Nicolas, second, et Frank, en cuisine également, Michèle son épouse et sa fille Viviane en salle. 7 personnes, plus les extras, un ticket moyen de 50 à 60 E. "Nous ne travaillons que les produits frais. Nous faisons tout nous-mêmes, y compris nos fonds de veau, notre légumerie ou le détaillage de grandes quantités de crabe avec nos petites mains. Nous essayons de former les apprentis à toutes les préparations qui sont pour nous des bases, à la connaissance des beaux produits et de leur origine. C'est aussi une question de moyens. Par exemple, nous sommes acheteurs de turbots de petits bateaux depuis 23 ans, nous n'en manquons pas, les apprentis peuvent apprendre à les travailler. Ce n'est pas le cas des CFA. Je fais passer des examens, et je vois qu'on leur fait travailler des petits oignons surgelés. C'est aussi une question de doctrine. Une clarification, ça ne s'apprend plus. Et lorsqu'on a un polycuiseur programmable, pourquoi apprendre à maîtriser une cuisson ? Pourquoi se fatiguer à préparer une garniture aromatique sous une viande à braiser avec un fond ?". Nicolas surenchérit : "On ne nous a jamais appris à l'école à faire un fond de veau, à obtenir un goût personnel. La poudre est partout" Un brin nostalgique, le chef Desnave estime que du point de vue professionnel, le bac pro d'aujourd'hui ne vaut pas le CAP d'autrefois. "L'industrie, c'est vrai, mine nos métiers avec la complicité des enseignants." Il est d'autant plus fier de voir ses anciens apprentis prendre des responsabilités aujourd'hui.
Alain Simoneau

< RÉGION EST

Joël Roy, Meilleur ouvrier de France 1979 et Maître cuisinier de france, restaurant Le Prieuré de Flavigny-sur-Moselle (54)
"La réforme avec précaution"


Joël Roy : "L'idéal serait de pouvoir former les jeunes pendant 3 ans."

"J'ai un avis plutôt tranché sur la question de la réforme du CAP. J'y suis favorable à partir du moment où l'on arrive toujours à motiver les jeunes. Mais si c'est pour en faire des petits bras, ce n'est pas la peine. J'ai le sentiment que les élèves cuisiniers sont aujourd'hui un peu trop choyés. L'idéal serait de pouvoir former les jeunes pendant 3 ans. C'est le temps qu'il faut pour les bâtir. La réforme est à manier avec précaution. Il faudrait repartir sur des bases saines. Et ne pas oublier que les livres de chevet pour tous les cuisiniers restent ceux d'Auguste Escoffier." En parfait garant des valeurs d'une certaine cuisine, Joël Roy se verrait mal transmettre le flambeau à des jeunes qui ne seraient pas eux-mêmes imprégnés de cet état d'esprit.
JT/JBP

< DANS LE SUD-OUEST

Philippe Etchebest, chef étoilé à l'Hostellerie de Plaisance à Saint-Émilion (33)
"Une telle réforme est complètement débile"
"Une telle réforme est complètement débile, excusez l'expression. Mais on se bat sur la formation pour faire revenir des jeunes vers nos métiers, on leur apprend des savoirs techniques tout en leur inculquant des valeurs humaines, et voilà que l'on fait disparaître les apprentissages de base. Or, il faut en passer par là. Car on ne sait pas de quoi sera fait l'avenir. Certes pour la restauration collective, cette réforme peut être intéressante, mais en tant qu'établissement gastronomique, nous ne sommes pas sur le même créneau. À la limite, il aurait fallu 2 CAP, et encore…
Je trouve regrettable qu'un gamin ne sache pas faire un poulet au four bridé, réaliser ne serait-ce qu'une mayonnaise ou un beurre blanc, un braisage, un pochage. On ne peut pas être peintre sans savoir mélanger les couleurs. Il y a un minimum à savoir et ce CAP ne correspond pas à ce minimum."

Brigitte Ducasse

"Certes, pour la restauration collective, cette réforme peut être intéressante, mais en tant qu'établissement gastronomique, nous ne sommes pas sur le même créneau", s'exclame Philippe Etchebest.

< RÉGION PACA

Dominique Frérard, Maître cuisinier de France, restaurant Les Trois Forts à Marseille (13)
"Il faut savoir vivre avec son temps"


Dominique Frérard : "Il faut surtout apprendre aux jeunes à faire de la cuisine."

"Il faut savoir vivre avec son temps, utiliser les nouvelles technologies et les enseigner aux jeunes. Mais il faut surtout leur apprendre à faire de la cuisine. Pour ma part, j'utilise des produits comme les échalotes épluchées ou le col vert sauvage plein et plumé. Je préfère payer mon chef de partie à faire de la cuisine plutôt que d'éplucher 5 kg d'échalotes. J'économise son temps. Même si je ne les utilise pas chez moi, j'ai été surpris par certains produits de l'industrie agroalimentaire, caviar d'aubergines par exemple. Le savoir d'un chef réside dans la manière de les choisir et de les utiliser. C'est ce qu'il faut apprendre à nos apprentis." 
Dominique Fonsèque-Nathan

< RÉGION PARISIENNE

Gilles Granjean, restaurant Rech, Paris (xvIIe)
"Rien ne différencie le professionnel qualifié du stakhanoviste du micro-ondes et du ciseau"
Pourquoi ne pas informer, pourquoi ne pas afficher la réalité culinaire : "Ici, pour votre sécurité, nous ne cuisinons pas, nous réchauffons, n'assemblons et ne servons que des produits sous vide, stérilisés, surgelés, industriels… Aucun produit frais ne vient contaminer nos laboratoires d'envoi…" ? […]
À l'heure où l'État se soucie tant des consommateurs, rien n'est fait pour lui dans la restauration. Qui peut aujourd'hui donner la définition d'un restaurant ? Un géant de la restauration rapide dit avoir ouvert 120 unités cette année, on parle de restaurant scolaire, de restaurant d'entreprise, la sandwicherie s'appelle restaurant untel, l'auberge, la pizzeria, le bistrot sont des restaurants et le boulanger s'adjoint quelques tables dans le coin restaurant. […]
Au fin fond de la France profonde, dans un routier de grande nationale, comme dans une
auberge de campagne, dans une brasserie 'de luxe' où un bistrot de quartier parisien, rien ne différencie le professionnel qualifié du stakhanoviste du micro-ondes et du ciseau. Les uns levés tôt coupent, cisèlent, mijotent, goûtent puis rectifient, seuls ou avec l'aide de vrais cuisiniers. Les autres, livrés avant 11 heures, allument le bain-marie et affûtent leur outil de coiffeur devant la télé culinaire qui réchauffe plus vite que son ombre. Les premiers perpétuent la cuisine. Ce sont des pros, il faut les payer, continuer de les former. Les seconds ont moins de charge, moins de frais de personnels. […]
C'est là un vrai combat de professionnel, de cuisinier, de restaurateurs. Si nous échouons ? J'entends déjà s'esclaffer les fossoyeurs du CAP cuisine : "Ils vont fermer leurs restaurants faute de personnel car nous avons cassé la filière de formation."
L. A.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2949 Hebdo 3 novembre 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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