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du 3 mai 2007
L'ÉVÉNEMENT

MISSION COSTES

LA PROFESSION ACCENTUE LA PRESSION

Thierry Costes, codirigeant des établissements Costes, a présenté au Premier ministre, Dominique de Villepin, un rapport sur les défis que l'hôtellerie et la restauration doivent se donner pour avancer et continuer d'exister. Pourquoi ce rapport ? Explications sous forme d'entretien croisé avec le président de l'Umih, André Daguin.
Propos recueillis par Sylvie Soubes


André Daguin et Thierry Costes.

André Daguin : J'ai vu d'un très bon oeil qu'un Premier ministre demande à quelqu'un d'extérieur à nos structures, mais très impliqué dans le métier, de jeter un oeil sur ce qui se passe. Tu es beaucoup plus libre que je ne l'aurais été. Je trouve que c'est une excellente idée d'essayer d'avoir le moyen de se voir dans le regard de l'autre. Surtout lorsque l'autre n'est pas un étranger et qu'il fait partie d'une famille qui réussit dans le secteur.

Thierry Costes : Avec toi André, comme avec les autres représentants syndicaux patronaux ou salariés, il n'y avait pas tellement de divergences de vue sur le métier, sur la façon dont il doit évoluer, sur son ampleur, sur son attractivité. On a tous un peu les mêmes réflexes et les mêmes positions, en fait. Néanmoins, on ne peut pas se priver aujourd'hui, dans tous les secteurs d'activité d'ailleurs, d'avoir des propositions différentes. Et tous ceux qui peuvent parler, tous ceux qui ont des idées, n'ont pas le droit de se taire. Ils doivent les faire partager.

A. D. : Je vais à la fois aller à ta rencontre et être un peu en désaccord. Il ne faut pas s'imaginer que n'importe qui peut l'ouvrir sur n'importe quoi ! Il faut que quelque chose de structuré sorte des débats. La politique du café du commerce, ça suffit. On ne peut plus se permettre ça.

T. C. : J'ai envie d'aborder ça autrement. Dans cette démarche, je ne me considère pas comme un porte-parole de la profession. C'est ton rôle, et tu le remplis de façon éminente. Ce que j'ai fait, je l'ai construit dans un état d'esprit différent du syndicalisme. J'ai pris un peu toutes les idées, je les ai concentrées, synthétisées et j'ai fait ressortir les plus convaincantes… Après, ce qui est bien, c'est que le Premier ministre se soit intéressé à notre secteur. Et au-delà du Premier ministre, que les institutions soient intéressées.

A. D. : Ça, c'est nouveau… mais on y travaille. Le rapport que j'ai fait au CES a réveillé un peu les esprits. Il faut que notre secteur soit pris pour ce qu'il est. C'est-à-dire pour un cheval. Si on mise sur lui, si on lui donne de bonnes conditions d'exploitation, il répondra favorablement, il créera des emplois, il paiera de l'impôt sur les bénéfices…

T. C. : Je trouve qu'on a tendance à dresser un constat toujours négatif de nos métiers alors qu'il y a beaucoup de points positifs. La première chose à faire, c'est de communiquer un peu autrement. On ne peut pas continuer d'entendre des réflexions comme font certains parents qui disent "passe ton bac avant, et on verra après", "de toute façon, les restaurateurs, ils parlent mal aux employés" ou "on ne gagne pas d'argent dans ce métier". C'est complètement faux et faut-il le dire, il y a beaucoup de choses qui sont très positives chez nous, et il faut mettre l'éclairage sur des aspects plus intéressants que ça et surtout vrais… Avant de parler de revalorisation du secteur, parlons tout simplement de ce qui existe et de ce qui est bien. Et comment le mettre en avant aux yeux des autres… Quant à la revalorisation, elle passe par 2 grands axes, et ce sont les leviers du rapport : l'éducation et la possibilité de créer son entreprise.

A. D. : À l'Umih, on dit que pour se retrouver chef d'entreprise, il faut passer par la formation. On dit la même chose que toi, mais avec d'autres mots.

T. C. : Quand j'ai démarré ce projet, la première personne que j'ai rencontrée, c'est toi. Il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus. Et je ne serais pas parti si je n'avais pas eu ton éclairage et ton soutien…

A. D. : Souviens-toi, je t'ai d'ailleurs dit que la pire des choses serait que tu sois esclave de l'Umih ou du syndicalisme.

T. C. : Les deux grandes convictions que j'avais au départ se sont révélées les 2 idées fortes : je pensais très concrètement que le système éducatif pouvait être amélioré, même si, globalement, il est bien. On forme des milliers d'élèves, des milliers d'apprentis. Les gens qui sortent des écoles hôtelières sont de très bons techniciens, il y a un très bon bagage géographique… Toutefois, nous devrions pouvoir attirer les élèves un peu mieux. Pourquoi n'arrive-t-on pas à séduire les 14/15 ans ? De la même manière, et a contrario, j'ai donné des cours dans les licences professionnelles, et j'ai découvert qu'il y avait une désillusion des gens vis-à-vis des filières longues. Dans nos métiers, on les a poussés vers des filières longues et une partie des sortants est aussi désabusée. Il y avait une certaine incompréhension pour les entrants et une inadaptation pour les sortants. Au milieu de ça, il y a un travail sur le contenu. On ne s'est pas assez tourné vers l'international, vers la transversalité, vers le monde en général au sein des écoles. On remarque que ces idées sont en train de prendre place avec des structures comme l'Institut Paul Bocuse, comme Savignac. Par des passerelles entre les universités et les écoles hôtelières. Ça commence à fonctionner. Il faut donner un éclairage sur ce qui marche, sur ce qui forme des mecs motivés qui sont aussi de bons étudiants.  

A. D. : La campagne 'Des Métiers Un Avenir' a donné de bons résultats. Elle a également permis de montrer qu'on pouvait de nos jours encore transmettre un savoir-faire, des passions, un partage.

T. C. : Je crois qu'il est important - et c'est ce que tu défends - qu'on donne aux gens la possibilité de faire leur métier, de réaliser leur rêve, de monter leur boîte. Moi, je constate que les banques ne suivent pas. On a un taux de sinistralité qui ne nous permet pas d'accéder correctement au crédit. En plus, l'entraide existe peu ou plus. Qu'est-ce qui existe aujourd'hui dans l'environnement financier qui permet à quelqu'un qui a une bonne idée de démarrer ? Pas grand-chose. Si l'on aborde la transmission, je pense que l'entreprise doit pouvoir être rachetée par quelqu'un qui partage les mêmes valeurs et les mêmes idées. La 3e idée forte qui est apparue, c'est bien que les gouvernements et les administrations nous considèrent comme une filière industrielle, et pas seulement comme 80 000 petits artisans dans notre coin, qui ne veulent pas avancer, qui ne voulons pas payer nos salariés. Ça n'est pas vrai. Nous représentons une filière qui veut se développer, nous représentons des gens qui veulent créer de l'emploi, qui veulent payer de l'impôt. Je salue d'ailleurs notre nouvelle convention collective qui va dans le bon sens.

A. D. : Quand je vois tous ces jeunes qui veulent créer leur entreprise, ça me fait vraiment plaisir. C'est essentiel pour le secteur du tourisme. Des drapeaux, on en a… Mais si l'on perd le gros du peloton, si en France on ne peut plus aller dans les villages et les petites villes pour bien manger, bien dormir, bien boire un coup, c'est foutu le tourisme. Parce que les étrangers ne viendront plus… s'ils ne peuvent plus casser la croûte ! Ça fait partie de notre patrimoine. Et les produits agricoles ne seront plus mis en scène ou en valeur dans leur région.

T. C. : Il faut dire le discours ambiant qui consiste à sauver la poste, sauver la mairie, je trouve ça bien. Mais la poste et la mairie n'ont jamais fait vernir les touristes. Il faut sauver les restaurants, les bistrots, les hôtels, tout ce qui fait que les jeunes restent dans leur village. Chez moi, dans l'Aveyron, si les jeunes s'en vont, ce n'est pas parce que la poste ferme, mais parce que c'est le bistrot qui se casse. Ça, c'est une réalité, il ne faut pas avoir la honte de le dire. Les lieux de vie, les lieux d'amusement, c'est quand même pour ça qu'on essaie de vivre. Au sein d'une région, il y a suffisamment de gens qui ont un petit pécule et qui pourraient, au lieu de le placer sur un compte à 3 %, s'impliquer dans le financement. Pourquoi ne pas créer un réseau, auquel participerait aussi bien l'agriculture que l'industrie, dans lequel chacun investirait un peu pour que des jeunes reprennent des lieux de vie ? Cet apport permettrait d'aller voir les banques, de discuter autrement avec eux. Et si en plus la région s'y mettait, les sommes recueillies pourraient créer une réelle dynamique…

A. D. : Ton rapport est plein de bon sens. Et maintenant ?

T. C. : Je te le confie, je te confie mon bébé car il a besoin d'être lu et compris.

A. D. : D'accord.

Repères

Après la signature du contrat de croissance entre l'État et les organisations professionnelles de l'hôtellerie et la restauration, puis d'une convention collective du secteur par les partenaires sociaux, le Premier ministre a souhaité mettre en oeuvre une réflexion de plus long terme dégageant des perspectives de valorisation du secteur de l'hôtellerie-restauration - un des premiers employeurs du pays -, contribuant largement au rayonnement de la France dans le monde. Il a demandé à Thierry Costes, codirigeant des établissements Costes, avec l'appui du Centre d'analyse stratégique, d'engager cette réflexion. D'où le lancement, en janvier 2007, d'une mission réunissant une petite dizaine d'experts sur le sujet. Les conclusions du rapport ont été remises le 30 mars au Premier ministre, M. Dominique de Villepin. Elles reposent sur une conviction profonde : l'hôtellerie-restauration, secteur de passion et de création, doit encourager l'innovation et donner aux entrepreneurs qui ont un projet solide les moyens d'exercer leur métier et de réaliser leur rêve. Pour Thierry Costes, président de la mission, "les Français n'ont jamais autant fréquenté les restaurants ; ils ne se sont jamais autant passionnés pour la cuisine, l'art de vivre… Ne serait-ce pas le moment de donner une nouvelle dynamique au secteur ?" 3 axes de réforme ont été envisagés par les experts de la mission : rénover et enrichir le système de formation des professionnels, faciliter le financement de la création d'entreprise dans le secteur, et mettre en place une communication positive. Les réformes suggérées pourraient, pour davantage d'efficacité, être portées par un pôle de compétitivité de l'hôtellerie-restauration. "Le défi de l'innovation doit être relevé par les professionnels, avec l'appui des administrations compétentes. De ce partenariat dépendent, en partie, le maintien du label France et la santé économique du secteur", conclut le président de la mission.

Rapport consultable sur www.strategie.gouv.fr

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L'Hôtellerie Restauration n° 3027 Hebdo 3 mai 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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