Pourquoi les femmes plébiscitent le métier de cuisinier

Paris De nombreuses raisons expliquent le récent engouement féminin pour cette filière qui, il y a encore peu, n'attirait que les hommes.

Publié le 11 avril 2013 à 18:02


"Au début des années 1990, lorsque j'étais à l'école hôtelière de Grenoble, il y avait autant de filles que de garçons dans ma classe. Mais la règle était immuable quant au choix des options après l'année de tronc commun : c'était 100 % masculin en cuisine, presque 100 % féminin en hébergement et 50/50 en service. C'est un modèle que l'on retrouvait dans les autres écoles. Les quelques candidates à l'option cuisine étaient souvent des filles de restaurateur appelées à prendre la succession de leur père. Elles connaissaient bien l'environnement et maîtrisaient parfaitement les techniques dès leur arrivée. Les autres ne postulaient pas parce qu'elles ne le voulaient pas et certainement pas pour des raisons sexistes. Le métier était dur, les conditions de travail et les horaires difficiles. Une fille qui aurait été affectée dans la filière cuisine aurait vécue cela comme une sanction", explique François, ancien élève du lycée Lesdiguières. Aujourd'hui, c'est le contraire : "Si je n'accorde pas l'option cuisine à une élève, elle le vivra comme une terrible injustice ", affirme Philippe Giroux, le chef des travaux du lycée polyvalent Nicolas Appert d'Orvault (44).

 

Davantage représentées quand le niveau s'élève

Le changement se serait radicalisé depuis un peu moins de cinq ans selon Christian Badinand, proviseur au lycée des métiers de l'hôtellerie Jean Drouant à Paris (XVIIe) : "Si l'image du cuisinier homme reste dominante dans les faibles niveaux d'études, au fur et à mesure que le degré monte, les filles rentrent dans le système. Ainsi en classe de mise à niveau - où la compétition est redoutable et équivaut à des classes préparatoires -, nous avons 1 000 candidatures pour 75 places, 65 d'entres, elles sont pourvues par des femmes." Un changement que confirment tous les proviseurs dont Agnès Vaffier, du lycée hôtelier de Marseille et présidente de l'association française des lycées hôteliers et de tourisme (Aflyht) : "Un tiers de nos élèves sont aujourd'hui des filles en CAP et en seconde, et elles sont 50 % en BTS."

Pourtant, une certaine vision patriarcale perdure selon Arnaud Dubois, proviseur du lycée hôtelier François Rabelais à Dugny (93) : "Lorsqu'une élève a une bonne présentation, on aura tendance à l'orienter vers les métiers de la salle et le contact avec la clientèle. Mais si une postulante a un bon profil, elle obtiendra sans discussion la filière cuisine." Car selon les personnels pédagogiques, outre leur affluence soudaine, les femmes se révéleraient être de redoutables compétitrices et réussiraient autant voire mieux que les garçons : "Elles ont autant de compétences que les hommes pour des métiers qui ne leur étaient pas ouverts jadis. Elles mettent beaucoup d'affectif dans l'apprentissage. Si on demande de réaliser un plat créatif, elles prendront plus de risques que les garçons. Elles sont plus dans l'émotion, la passion. La virilité n'est plus la règle", pense Philippe Giroux.

"Elles se démotivent moins vite que l'autre sexe surtout quand le niveau est élevé", affirme Arnaud Dubois. "Elles pratiquent la cuisine dans la subtilité. Cela nous tire vers le haut", ajoute Christian Badinand. "En tenue, tous nos élèves sont les mêmes. On ne ressent pas de clivage. Mais si les femmes sont plus motivées, plus impliquées, elles réussissent comme les hommes. Ni plus, ni moins", tempère Agnès Vaffier.

Dans certaines classes comme en BTS option B, les femmes sont autant représentées que les garçons. Le retournement de situation est une évidence. Il correspondrait à l'avènement de grands programmes culinaires apparus au même moment à la télévision française. Alors les femmes seraient-elles attirées par la cuisine comme un papillon vers la lumière ? "Elles expriment un besoin de reconnaissance, de se réaliser", affirme Philippe Giroux. "La célébrité peut attirer", envisage Francis Kolb, proviseur du lycée hôtelier Paul Augier de Nice. Ce que nuance le proviseur du lycée parisien Jean Drouant : "La cuisine, grâce à la télévision, est aujourd'hui un moyen d'évolution sociale. La représentation que l'on a des choses est essentielle. Une image colle à certain métier, celle des enseignants, par exemple, s'est dégradée. Pour la cuisine, c'est l'inverse."

 

Les émissions culinaires font rêver les deux sexes

Ainsi, plutôt que vouloir être célèbres, les femmes ont été touchées par le changement d'image d'une profession réputée difficile et inaccessible car masculine. "La télévision a suscité des vocations chez les deux sexes. Ces programmes, avec leur mise en scène, ne correspondent pas à la réalité. Mais si les jeunes s'autorisent à rêver, ils ne sont pas si trompés que ça. Les femmes connaissent les contraintes et n'idéalisent pas la profession", s'amuse Agnès Vaffier. "Les filles sont attirées par la réussite des femmes chefs de cuisine", clame Francis Kolb. "Top Chef a popularisé une femme de caractère, Ghislaine Arabian, membre du jury aux côtés de Jean-François Piège, Christian Constant et Thierry Marx. MasterChef, pour sa part, met beaucoup en valeur les candidates", soutient Arnaud Dubois.

"On a aujourd'hui des femmes qui sont de grands chefs. Anne-Sophie Pic est, à ce titre, un exemple. Elle est modeste et montre que l'on peut réussir sans être brutale, sans devoir marcher sur les autres. Une femme peut réussir sans être dans un rapport de force ou de rivalité avec les hommes, juste avec son talent et sa finesse", analyse Christian Badinand. "Mais si les deux sexes se montrent attirés par la filière cuisine, c'est au détriment des métiers de salle. Les jeunes ont une image dévalorisée du service car ils pensent que n'importe qui peut faire ce métier contrairement à la cuisine", regrette Fabrice de Barros, proviseur du lycée des métiers de l'hôtellerie de Mazamet (81).


Publié par François Pont



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