La transformation dans le maintien de la marge brute

Dans tout restaurant, la transformation des matières premières doit demeurer conforme à celle qui est prévue dans le prévisionnel, car tout écart par rapport à l’objectif fixé aurait des conséquences financières inévitables qui pourraient compromettre l’équilibre des comptes.

Publié le 09 mars 2021 à 17:39

 

La transformation des matières premières en plat est une étape de la production culinaire qui concerne toutes les formes de restauration, quelles que soient la taille de l’établissement et les prestations proposées.

Pendant cette étape, les aliments achetés à l’état brut, semi-élaboré ou sous forme de produit fini sont conditionnés pour être présentés aux clients. Ce processus peut être relativement simple, réalisé rapidement en une seule étape, ou plus complexe et réalisé en plusieurs étapes, dans un laps de temps plus long.

  • Les dérives dans la transformation

Il est évident que plus la chaîne de production est longue, plus il y a d’étapes, plus il y a de moments critiques où des dérives dans la transformation peuvent créer des coûts supplémentaires et compromettre le résultat final.

Pour mettre en évidence les risques inhérents aux dérives invisibles, considérons les exemples suivants :
- une entrecôte prévue à 200 g qui est servie à 230 g (impossible à contrôler quand elle est taillée dans le morceau, sans pesage) ;
- une portion de frites prévue à 200 g qui devient une portion à 230 g ;
- un foie gras prévu à 70 g mais servi à 80 g ;
- une portion de poisson prévue à 150 g qui dérive à 172,5 g ;
- un coulis prévu à 8 cl qui grandit à 9,2 cl.

Ici, les dénominateurs communs sont :
- les écarts sont à chaque fois de 15 % ;
- plus important, les écarts sont à chaque fois très difficiles, voire impossibles, à repérer à l’œil nu.

Si de telles erreurs sont répétées sur toute la production et tout au long de l’année, et que les marges ne sont pas contrôlées régulièrement dans un tableau de bord, les dérives resteront invisibles ou presque, se manifestant uniquement dans la dégradation lente et sournoise de la trésorerie qui ne sera ‘formalisée’ que lors de la sortie des comptes annuels, au mieux trois mois après la fin de l’exercice.
Dans les exemples précités, le pourcentage coût matières prévu à 30 % dans la théorie est passé à 34,50 % dans la réalité, soit une perte de marge de 4,50 %.
Dans ce cas de figure, si les prévisions d’achats avaient été de 200 000 € pour l’année, le montant réellement dépensé aurait atteint 230 000 €, soit une dépense supplémentaire de 30 000 € qui n’aurait servi qu’à dégrader le résultat final.
Concrètement,  si l’entreprise était ouverte onze services par semaine toute l’année, la perte aurait atteint plus de 50 € par service. Imaginez votre stupeur si quelqu’un vous demandait de mettre un billet de 50 € dans la poubelle avant chaque service, midi et soir, tout au long de l’année. Car dans cet exemple, 4,50 % c’est justement cela. L’enjeu est donc de taille !

  • Des étapes multiples 

Les établissements les plus exposés sont ceux qui ont des chaînes de transformation longues ou complexes et qui élaborent leurs plats en partant de matières premières brutes, c’est-à-dire les restaurants gastronomiques, traditionnels et artisanaux.
Naturellement, ces établissements dépendent des compétences techniques accrues et confirmées de leur personnel en cuisine ; néanmoins, la multitude d’étapes augmente les risques, toujours sournois, toujours invisibles.

Prenons l’exemple d’une entrecôte qui arrive non désossée dans l’établissement. Jusqu’à sa présentation devant le client, elle est très exposée, embarquée dans un trajet qui nécessite une attention de chaque instant.

Le cuisinier qui désosse ne devrait pas laisser trop de viandes sur les côtes, la conservation en chambre froide ne devrait pas occasionner trop de perte de poids en attendant la découpe en portion, la découpe devrait correspondre au grammage prévu dans la fiche technique s’il y en a une, et, finalement, la cuisson devrait être juste pour que le client ne retourne pas le steak en cuisine car trop cuit, nécessitant ainsi la cuisson d’un nouveau morceau de viande.
Parallèlement, il est nécessaire de s’assurer que la préparation de la garniture n’ait pas occasionnée trop de pertes, que l’épluchage ait été bien fait, qu’il n’y ait pas eu de garnitures pré-préparées et non utilisées, donc perdues en fin de service. Le tout peut même être couronné par un chef de cuisine généreux qui rajoute toujours un petit peu plus dans l’assiette pour ‘sur-garantir’ la ‘sur-satisfaction’ de son client. Parfois, il faut simplement regarder les assiettes qui reviennent de la salle, à moitié finies, pour se poser la question : ‘Est-ce que j’en ai trop servi ?’


À l’opposé, il y a les restaurants qui utilisent uniquement des produits finis de 5e gamme, qui sont essentiellement en processus soit d’assemblage, soit de service quasi direct. Tout comme ceux qui proposent des plats plus élaborés, ils ont cette même obligation de conformité dans la transformation, même si elle est minorée. Des erreurs dans les portions peuvent s’introduire à l’insu de tous.

Prenons l’exemple d’un gâteau acheté soit frais, soit surgelé, prévu pour être découpé en 10 parts, et servi avec une crème anglais prête à verser au moment du service. Le processus semble simple et anodin, presque hermétique en termes de gestion, sans enjeux majeurs et à la portée de tous. Cependant, il peut y avoir des erreurs si la personne chargée de la transformation n’exécute pas ses taches de façon conforme, c’est-à-dire en découpant le gâteau en portions égales et sans surdoser la crème anglaise.
Et si, par mégarde, la dernière portion du gâteau est devenue trop petite - donc invendable -parce que la découpe a été aléatoire, elle sera soit jetée, soit mangée par un employé. De surcroit, la consommation de la sauce peut être supérieure à ce qui était prévu, car celle-ci est versée rapidement dans le feu de l’action. Ces deux dérives cumulées impliquent inévitablement une baisse de la rentabilité de l’entreprise.


Le pesage et le dosage ne sont qu’un aspect de la transformation car il y a, parallèlement, un deuxième volet pour une transformation réussie, à savoir la possibilité de s’appuyer, en toute confiance, sur les compétences techniques du personnel dans les préparations.
Si le personnel n’est pas formé, impliqué, responsabilisé, contrôlé voire recadré si nécessaire, il est utopique d’imaginer que la transformation sera juste.

  • Le challenge et les solutions

Le défi auquel sont confrontées toutes les entreprises est celui d’instaurer des procédures de transformation qui écartent au maximum des possibilités de dérives. Le point de départ est toujours la volonté de prendre le temps de contrôler. Quand les effectifs sont réduits et la charge de travail est importante, il est tentant de se convaincre qu’on n’a pas le temps de contrôler. C’est justement pendant ces moments de coup de feu que le travail préparatoire, réalisé pendant les périodes plus calmes, se révèle payant.

Si la volonté de contrôler la production et les moyens de l’effectuer sont mis en place, les bonnes procédures rentreront dans les habitudes du personnel.

• Pour commencer, il est nécessaire de réaliser la rédaction de fiches techniques pour tous les plats qui seront proposés. Sans fiches techniques ni indication claire de ce qui est voulu pour une portion ou un plat, il est impossible que l’employé puisse travailler en conformité avec les prévisions.
Ce travail, en amont, est un peu fastidieux mais avec la tendance actuelle des cartes courtes, le nombre de fiches à établir est relativement restreint. Les fiches seront rédigées par l’exploitant ou le chef de cuisine.

• Ensuite, la rigueur de production s’impose :
- pesage régulier, voire systématique, pour permettre de confirmer la conformité demandée ou de corriger les portions (celles-ci ont tendance à croître mais rarement à diminuer…). Par exemple, pesage des pâtons pour les pizzas, des steaks et des portions de poissons… ;
- mise en place et utilisation systématique d’aides à la production : doseurs, ronds ou ramequins (pour le riz, le tian de légumes…), louches (toujours les mêmes), ou tout simplement définition de la quantité de tel ou tel produit dans un plat : nombre d’olives ou d’anchois sur une pizza, de tomates séchées ou de quarts d’œuf dur dans une salade…

Les mêmes principes s’appliquent également pour les boissons :
- respect du trait sur le verre à bière (juste au-dessus = marge réduite) ;
- respect des quantités pour les vins au verre : trait sur le verre ou verre témoin (rempli de sable de couleur, sur le bar ou dans l’office) ;
- dosages justes dans les cocktails et les alcools (utilisation de doseurs)

Pour conforter l’ensemble de la production a posteriori, il est essentiel de procéder chaque mois au contrôle chiffré de la marge. Pour ce faire, un tableau de bord simple s’impose. Il devrait :
- être facile et rapide d’utilisation ;
- indiquer la marge théorique voulue ;
- indiquer la marge réelle obtenue ;
- indiquer la valeur des dérives éventuelles (le montant qui a été jeté à la poubelle).

Là aussi, la préparation est essentielle : des consignes doivent être données au comptable pour qu’il fournisse les chiffres permettant de faciliter le remplissage du tableau.

  • À retenir

- La transformation est une étape cruciale dans la rentabilité de l’entreprise.
- Comme les dérives sont souvent ‘mineures’, elles sont sournoises. Cependant, cumulées, elles représentent potentiellement un gouffre.
- Une fois les procédures en place, les résultats sont immédiats et pérennes.
- Reprenons l’exemple d’un coût matières qui dérive de 30 % à 34,50 %, impliquant une dépense supplémentaire de 30 000 €. Pour la compenser par la production dans un restaurant où le ticket moyen de 20 € HT, il serait nécessaire de réaliser 2 290 repas, soit quatre couverts supplémentaires par service, à chaque service et tout au long de l’année.

Il est plus facile de récupérer les 4,5 % par des procédures de contrôle que d’espérer gagner des nouveaux clients, et surtout cela sera moins stressant et moins fatiguant. Travailler avec la tête et non pas avec les jambes devrait être l’ordre du jour
Il est plus souhaitable de travailler mieux pour gagner plus, que de travailler plus pour revenir à son point de départ.

 


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Publié par Christopher TERLESKI



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