Installé dans son charmant Hôtel de Carantec, Patrick Jeffroy est un voyageur dans l'âme. Dans son Finistère natal, il délivre une cuisine à son image, ouverte sur le monde.
m Olivier Marie
Des hauteurs de son Hôtel de
Carantec, Patrick Jeffroy, contemple la baie de Morlaix. "C'est formidable, non ?
Je ne m'en lasse jamais." Ce coin du Finistère, le restaurateur le connaît
mieux que quiconque. Morlaisien d'origine, Patrick Jeffroy vit à Locquénolé depuis 22
ans et travaille désormais à Carantec. Trois communes reliées par une corniche d'une
dizaine de kilomètres. Le chef de 49 ans et ce terroir sont liés par une passionnelle
histoire d'amour. Et ses escapades aux quatre coins de la planète n'apparaissent pas
comme une trahison au pays, mais bien comme un enrichissement. A chaque retour, le chef
aux semelles de vent ouvre son Finistère sur le monde en distillant dans sa cuisine des
idées rapportées de l'ancien Cipangu, du continent noir ou des Amériques. Les filets de
rouget épousent alors la mangue et le soja, le turbot se pane de bacon, poissons et
viandes se cuisent à l'indienne sur des galets du Guerzit...
Depuis un an, Patrick Jeffroy s'est lancé dans une nouvelle aventure. Exit les douze
années passées à l'auberge costarmoricaine de Plounérin, voici L'Hôtel de
Carantec. Une maison de caractère fondée en 1936 et dans laquelle il retrouve donc
l'étoile acquise à Plounérin. Dans les chambres comme dans la salle du restaurant, les
influences japonaises et indiennes se marient naturellement à l'esprit celtique grâce au
travail de Jean-Pierre Kergoat. Une ambiance embrassant les passions du maître des lieux.
Les clients, charmés, répondent présent et, comble de bonheur pour le chef, "viennent
me voir en me disant 'Monsieur Jeffroy, on est content pour vous'. C'est un grand
compliment et un encouragement". Pratiquement l'ensemble de l'équipe de
Plounérin l'a suivi ici, à commencer par Christine Tollemer, son assistante depuis douze
ans.
Comment évoquer la cuisine de Patrick Jeffroy sans prendre ses valises puisqu'elle
résulte d'une alchimie constante entre horizons proches et lointains ? Dans ses
assiettes, il mêle les souvenirs d'une enfance passée aux côtés d'une grand-mère
cantinière et d'une mère excellente cuisinière auprès desquelles il grandit "dans
ce monde de nourriture, ce respect de la nature". Une cuisine aux bases
classiques inculquées à l'Hôtel Porspol et qui prend son envol à l'hôtel morlaisien
de l'Europe. "Là-bas, je tentais une foule de choses. La nouvelle cuisine avait
fait son chemin et déjà connu ses erreurs. J'ai pu en garder le meilleur."
Cuisine d'ici et d'ailleurs
Mais bien qu'elle puise ses racines dans la terre bretonne, la cuisine de Patrick Jeffroy
ne serait rien sans l'exotisme de la Côte d'Ivoire où il réside deux ans. Et même si
les projets de voyages à San Francisco et à Caracas ne se concrétisent pas, le Japon,
où il retourne trois fois, lui fournira son premier coup de foudre. "Je suis
resté ébahi devant les jardins secs réalisés par des moines bouddhistes."
Admiratif de la culture japonaise, il voue un profond respect à cette cuisine. "Elle
me donne l'impression de me laver." L'autre coup de foudre de Patrick Jeffroy se
nomme Monument Valley. Passionné de culture indienne il crée, à partir d'une lecture de
Lévi-Strauss, une recette inspirée par un mode de cuisson indien. "Ils faisaient
sécher leur viande au soleil sur des rochers", et il n'en faut pas plus à ce
collectionneur de vieux livres de cuisine pour proposer dans son restaurant des viandes et
poissons à cuire à table sur des galets préalablement passés au four. "J'aime
la cuisine primitive et ses différents modes de cuisson." Il pense alors aux
viandes touaregs cuites dans l'argile, au saumon canadien dont les lamelles enveloppent un
bout de bois frais et humide sorti du feu... Pour lui, la gastronomie n'a pas de
frontières, les recettes voyagent. "La cuisine française n'est qu'un patchwork
de la cuisine du monde ! Ananas, haricot, tomate, chocolat, vanille... n'ont rien de
français."
Ambassadeur de Bretagne
Pas question pour autant de renier la cuisine hexagonale en général et bretonne en
particulier. "Je défends mon pays, et si je pouvais porter une veste de cuisine
aux couleurs de la Bretagne, je le ferais volontiers." Ses indispensables restent
d'ailleurs le sarrasin et la bouillie d'avoine qu'il délivre aujourd'hui en amuse-bouche.
Ses Saint-Jacques à la compote d'oignons de Roscoff accompagnées de bouillie d'avoine et
de galettes de sarrasin s'ancrent elles aussi définitivement dans ce terroir
finistérien.
Issu de l'école de la vie, Patrick Jeffroy souhaite encore la croquer à pleines dents,
même s'il reconnaît avoir exagéré en "vivant un peu trop mon métier".
Pour autant, il arrive à se détacher de la cuisine... "en partant à
l'étranger. Mais là encore, je vais sur les marchés", lâche-t-il dans un rire
franc et massif. Il lui reste tant à découvrir. "Il faudra un jour que j'aille
sentir l'Amérique du Sud. Je veux aussi manger la cuisine marocaine au Maroc... Et si
demain, on me dit d'aller cuisiner en Amazonie, je pars sur le champ ! On vit sur une
boule et mon plus grand plaisir est de la découvrir." n
Restaurant Patrick Jeffroy L'Hôtel de Carantec 20, rue Kelenn 29660 Carantec Tél. : 02 98 67 00 47 Fax : 02 98 67 08 25 Web : www.hoteldecarantec.com |
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En chiffres |
Investissements 9,1 MF HT (achat + travaux) Nombre de couverts 60 Prix moyen 420 F Prix menu/carte 150 à 380 F Chiffre d'affaires 4,6 MF HT Effectif 10 personnes |
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L'HÔTELLERIE n° 2716 Magazine 3 Mai 2001