Il ne s'agit plus désormais de simples cafétérias, mais de diversification commerciale. La restauration intégrée, nouvelle génération, associée à des boutiques de mode, des grands magasins, des librairies, attire une large clientèle qui n'est pas forcément celle de l'enseigne. Incontestablement, un renforcement de la concurrence au sein de la restauration commerciale. Mise en bouche.
Dossier réalisé par Lydie Anastassion et Sylvie Soubes
Le Café Mauve (Eliance) est installé au 2e étage du magasin Franck
et Fils.
Au magasin Monoprix de la rue
de Rennes à Paris, le rayon ménage a cédé la place au M. Café. Depuis un an, cet
espace de 200 m2, situé au sous-sol du magasin, à côté de l'alimentation, enregistre
en moyenne un chiffre d'affaires de 900 000 francs par mois. De 9 heures à 21 heures, les
clients se suivent et ne se ressemblent pas. Les employés de bureau, les vendeurs des
boutiques voisines viennent y déjeuner ou boire, prendre un café le matin.
L'après-midi, les retraités, les riverains et les personnes disposant d'un peu de temps
s'y attardent davantage devant un thé ou un chocolat. Et lorsqu'à 21 heures, la
restauration s'arrête, il est encore possible de venir prendre un verre.
Ce M. Café, premier en test, est conçu en tant qu'unité propre mais avec des points
d'attraction que seule une enseigne à forte notoriété comme Monoprix peut apporter. Et
surtout, il bénéficie du savoir vendre du supermarché qui a mis en avant des
sous-espaces d'appel de même que l'on place des produits d'appel en tête des rayons. Le
M. Café mise sur le bio, le pain et la vente à emporter. Proposée par la marque Odji,
l'offre de plats biologiques se présente sous deux formes : les produits à emporter et
les plats du bar bio à consommer sur place et servis à table par le personnel du
restaurant. A l'autre bout, la boulangerie-pâtisserie, qui réalise un tiers du chiffre
d'affaires, renforce l'idée d'authenticité et de fraîcheur. Tout comme les sushis et
les légumes préparés au wok dans la partie cuisine ouverte, les poissons cuits à la
vapeur et les plats traditionnels en sauce.
"La cuisine du monde constitue la base de notre carte. Au bout de quelques mois,
nous avons dû faire quelques ajustements. Par exemple, nous avons supprimé quelques
assiettes tex-mex au profit de planches de charcuterie qui fonctionnent bien",
commente Dominique Chardin, le chef restauration du M. Café. Une carte actuelle, dans
l'air du temps et bien éloignée de l'offre traditionnelle de la restauration rapide
(salades, tartes ou hamburgers).
Selon Bernard Boutboul, directeur du cabinet Gira Sic Conseil, spécialisé dans le
marketing et le développement de la restauration, la restauration proposée dans un
magasin doit être rapide et française avec une large variété de produits. Cependant,
les hamburgers, les tartes, les salades ne sont pas recommandés. Le ticket moyen doit se
situer entre 50 et 60 francs. Le magasin doit aligner ses prix sur la restauration rapide
française pratiquée à l'extérieur. Pourtant au M. Café, l'addition est souvent
supérieure. "Nous étions partis sur un ticket moyen de 90 francs qui a, au fil
des mois, grimpé tout seul à 100-110 francs", nuance Pierre Carrus, directeur
du Monoprix de la rue de Rennes.
Au terme rapidité, associé à celui de fast-food, on peut préférer celui
d'efficacité. "Nous voulons servir le plus vite possible mais en assurant un
accueil de qualité. En fait, on prend une base de restauration traditionnelle, avec
service à table, à laquelle on associe l'efficacité maximale", poursuit
Dominique Chardin du M. Café où une table fait, en moyenne, une rotation et demie par
service. Au Café Celio, place de l'Opéra, le discours est identique : ne pas copier la
restauration rapide, mais proposer une restauration traditionnelle adaptée à la
conjoncture actuelle.
Le food in shop ou food in store relève des "circuits alimentaires
alternatifs", pour reprendre la définition de Bernard Boutboul.
Ce mode de restauration utilise un "circuit inhabituel" : il s'agit
d'une enseigne (Fnac, Carrefour, Celio...) qui propose un service supplémentaire à ses
clients. Il ne s'agit pas d'inventer un nouveau type de repas mais de poser des 'haltes
nourriture' sur le chemin des consommateurs. "C'est une erreur d'utiliser la
restauration pour prolonger le temps que le client passe dans le magasin, car justement,
il n'a pas de temp", poursuit Bernard Boutboul, avant d'ajouter : "Ce
mode de restauration ne peut prendre racine que si l'enseigne qui le supporte induit un
stationnement moyen ou long du consommateur dans le magasin."
Pour offrir de vraies haltes, les grands magasins et les concessionnaires songent à
placer sur les flux de passage des consommateurs des petits points de restauration,
cantonnés généralement sur les côtés des rayons. Des expériences ont déjà été
menées. Du mois d'août à octobre 2000, Eliance a créé à Paris, à l'occasion d'une
exposition portant sur la marque de vêtements Burberry's, une petite unité de
restauration au cur du Bon Marché. Une prestation clé en main pour le grand
magasin, avec une carte spéciale à base de produits anglais : cakes, ufs
brouillés..., réalisés dans les autres emplacements gérés par Eliance au sein du
magasin. Gérard Martinot, directeur des opérations chez Eliance, explique : "La
mise en place de points de restauration dans les flux de circulation nécessite des
agencements techniques. Ce sont souvent des emplacements stratégiques en termes de ventes
de produits pour le magasin. Y installer de la restauration signifie que la restauration
devient un produit de service au même titre qu'un autre."
Le McDo, ouvert au quatrième étage des Galeries Lafayette du boulevard Haussmann à
Paris, s'inscrit en partie dans cette mouvance.
Celui-ci s'adresse d'abord à la clientèle du rayon jouets qu'il côtoie directement. "Nous
devions créer un espace ouvert sur le magasin, tout en faisant en sorte que les gens
restent à l'intérieur de cette surface pendant la durée de consommation",
soulignent les architectes du cabinet Twin, chargés de l'agencement. Un pari auquel
s'ajoutaient les impératifs signalétiques de l'enseigne et la gestion des odeurs. Ce
dernier point, et non des moindres, a été résolu par une extraction surdimensionnée et
par un système de 'dépression'. Le flux des consommateurs est conditionné par une
entrée centrale surmontée de deux arches lumineuses qui servent de portail et forment le
M de McDonald's. Les consommateurs, munis de leur plateau, se dirigent ensuite de part et
d'autre du comptoir de ventes, vers des tables et des banquettes qui, placées de côté
(et non de dos ou de face par rapport aux rayonnages), donnent sur les jouets. Le client
ne repasse pas par l'entrée pour sortir, et des poubelles placées judicieusement à
l'intérieur de l'espace lui permettent de se débarrasser facilement de son plateau. La
décoration retenue par le cabinet Twin porte sur les jouets. "Des jouets que nous
avons patinés ou créés de toutes pièces." Le théâtre de marionnettes que
vous pensez ancien a été entièrement construit par Twin. Il y a aussi une voiture à
pédale, un bateau 'à baguette' comme en poussaient autrefois les bambins dans les
jardins publics, un landau, des nounours, de vieilles affiches... "Les Galeries
Lafayette du boulevard Haussmann reçoivent une clientèle internationale, et celle du
rayon jouets tourne entre 30 et 40 ans. Les enfants ne sont pas les premiers visiteurs du
lieu", précisent Alexandre et Frédérique Bouvrain. "Nous nous sommes
dès lors attachés à renouer avec des jouets du passé." Ouvert en 1998, ce
McDo a très vite rencontré le succès. De 72 places initialement prévues, il en
possède aujourd'hui 112. Cet espace donne également sur les 'couettes'. Pour éviter
tout contact alimentaire indésirable avec le rayon blanc, Twin a imaginé une baie
vitrée dans laquelle est incrusté le logo McDo, qui laisse toutefois le regard du
consommateur se promener bien au-delà de la séparation. En ce qui concerne le plafond,
celui-ci se rapproche d'un ciel couleur marine, ponctué de fibres optiques. Au sol, le
parquet traditionnel du grand magasin a été en partie conservé, associé notamment à
une mosaïque en 'casse de carreaux' dans laquelle on retrouve le logo de McDo. "Pour
ce type de chantier, il est important de s'adapter soit au site dans lequel on est, soit
de s'inspirer de l'architecture régionale. Il ne s'agit pas de faire de la copie, mais
donner aux gens des repères. Il faut aussi préserver l'identité de l'enseigne.
L'essentiel de notre travail consiste alors à trouver le juste équilibre",
terminent les responsables de l'agence Twin.
Autre concept de restauration intégrée offrant une diversification s'appuyant sur
l'environnement immédiat, le café-restaurant installé au sein du magasin de meubles
Habitat de la rue du Pont Neuf, toujours à Paris. S'il est le premier du genre dans
l'Hexagone, trois magasins Habitat de Londres ont déjà testé la formule avec succès.
Ici, un escalier de verre, qui mène du rez-de-chaussée au premier étage, se divise en
deux à mi-palier. La partie gauche conduit vers les arts de la table et la partie droite
au restaurant. Sur les 3 000 m2 dont bénéficie l'enseigne au sein des locaux de
l'ancienne Belle Jardinière, 220 m2 ont été consacrés à l'implantation du point de
restauration. Pas d'association d'enseigne. Le restaurant et café porte volontairement le
nom de Habitat. Yves Cambier, directeur de la communication de Habitat, revient sur
l'historique : "Cet Habitat a été inauguré fin 1997 et le restaurant début
1998. Nous avions lancé un concours auprès de quatre architectes et c'est Antonio
Chiterio qui a remporté le budget. Le cahier des charges intégrait la modernité,
l'esprit Habitat jouait sur la lumière et le choix des matériaux. C'est aussi Antonio
Chiterio qui a créé l'escalier en verre."
Derrière le comptoir au design résolument contemporain, un large passe retient l'attention sur le travail des cuisiniers. L'espace est vaste et clair, grâce, notamment, au maintien des grandes baies vitrées qui donnent sur la rue et ont été revêtues de voilages puisés dans la gamme Habitat. L'aménagement se compose de deux tables d'hôte et d'une série de petites tables. L'ensemble est modulable à l'infini. Dans sa partie droite, à l'opposé du bar, on distingue une grande paroi de verre qui abrite des expositions de tableaux, se transforme un temps en salon, met l'accent sur des promotions, présente de nouvelles collections de meubles... Les tables ont été dessinées et confectionnées par le designer. Sinon, tous les objets du décor comme ceux du service proviennent de la gamme Habitat. L'élaboration de la carte et la restauration pure ont cependant été confiées au groupe Flo. "La cuisine n'est pas notre métier et nous voulions offrir une prestation à la fois contemporaine, accessible et de bon niveau. D'où notre choix." L'établissement reçoit une clientèle davantage féminine en dehors du déjeuner, mixte à l'heure du repas. Les clients ne sont pas uniquement ceux du magasin mais sont également des personnes provenant de l'extérieur. Pêle-mêle, les copines font une halte pendant leur shopping, des hommes d'affaires y finalisent un dossier, avec, le samedi, une clientèle plus familiale. "Notre objectif, confirme Yves Cambier, est d'offrir un service supplémentaire. Nous faisons 60 couverts en moyenne, avec des pointes récemment à 130 couverts le week-end. Ce que nous recherchons aussi, c'est la valorisation du consommateur. Quand il vient manger ou prendre une consommation, ici, nous voulons qu'il se sente valorisé par le cadre et la prestation."
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"Nous étions partis sur un ticket moyen de 90 francs qui, au fil des mois, a
grimpé tout seul à 100-110 francs"
Au fil des enseignes
M. Café Ouverture : décembre 1999 Capacité : 55 places assises (salle et bars) Superficie : 200 m2 Ticket moyen : 100-110 francs Effectif : 18 personnes (cuisine, salle et boulangerie) Restauration pure, un bar bio (Odji) et un bar non-bio Vente à emporter : Menu Express, boulangerie-pâtisserie, produits bio Cuisine centrale : non CA mensuel : 900 000 francs dont un tiers pour la boulangerie Investissements : 3,5 millions de francs |
Toupary - Samaritaine Concessionnaire : Eliance Capacité : 270 places assises Ticket moyen : 150 francs le midi, 280 francs le soir |
Le Sand's - Samaritaine Concessionnaire : Eliance Capacité : 100 places assises Ticket moyen : 40 francs |
Côté Jardin - Bon Marché
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Columbus Café - Fnac et Vivendi Vente à emporter : limitée Offre : sucré, salades, sushis, soupes Superficie : 30 à 60 m2 Ticket moyen : 25 F Effectif : 5 personnes en moyenne Chiffre d'affaires : 1,8 million/an HT |
McDo - Galeries Lafayette Restauration : McDo Capacité : 112 places assises Vente à emporter : réduite |
Café Celio Ouverture : 1996 Capacité : 114 places assises Superficie : 140 m2 Ticket moyen : 95 francs Effectif : 12 personnes Restauration pure + café Vente à emporter : non Cuisine centrale : non |
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L'HÔTELLERIE n° 2699 Magazine 04 Janvier 2001