Désormais encadré par une station- service, deux
sandwicheries, trois restaurants de chaîne et quatre boulangeries-salons de thé, j'ai le
choix entre fermer boutique ou rebondir. Si j'écoutais ma chère moitié, j'opterais pour
la première solution. Si je m'écoutais vraiment, c'est aussi ce que je ferais. Mais
voilà, si je mettais la clef sous la porte, j'aurais l'impression de démissionner, de
fuir, pire, de déserter. Conclusion, c'est décidé, je vais me battre. Oui, mais où,
quand, comment ? Après plusieurs mois d'attentisme, entrecoupés de coups de gueule, me
voici devant une évidence. La bataille porte sur l'heure du déjeuner. Oui mais que faire
? Que faire de plus, de moins, d'autres ? Accrocher le prix du menu bien en vue. C'est
déjà fait. Essayer de coller à la demande avec des plats variés, aussi. Utiliser des
produits moins chers à l'achat, vous l'aurez compris industriels, idem. Il doit bien y
avoir un moyen d'attirer ces Dames et ces Messieurs chez moi. Même si mon décor est un
tantinet vieillot - je sais ! - j'ai une belle terrasse qui fait la nique aux vendeurs de
baguettes. Tout de même !
Une fois n'est pas coutume, c'est un coup de malchance qui m'a montré la voie. Si, Si. Je
vous jure. Mon cuisto s'est pris les pieds dans l'escalier de la cave. Et patatras, me
voici obligé de relever les manches devant le micro-ondes.
Au bout d'une semaine, je me suis fait l'étrange réflexion suivante : ici, on n'est pas
très sympa avec les clients. Le moucheron dans la salade, d'accord ça fait salade
fraîche. Mais faut penser aux végétariens. Et puis, le poulet aux hormones, quand on a
vu ce qui s'est passé sur le dernier Tour de France, ça fait désordre. Sans parler du
grain de maïs et du thon en boîte. Bonjour l'esprit camping sans le plaisir des
brochettes. Bref, je me suis mis à étudier mon menu. Changement de plats, changement de
cuisto quand j'ai pu -un peu plus expérimenté, un peu mieux payé, un peu moins
ronronnant- changement réel en repensant (à la baisse) mes marges.
Pendant six mois, j'ai mis un cierge chaque matin pour que ma politique donne ses fruits.
Aujourd'hui, je commençe à voir la clientèle revenir. Ouf, j'y suis presque. Mieux, il
y a de nouvelles têtes. C'est vrai que je fais dans le copieux, un peu rustique et bon.
Mon souci désormais ? La tentation. La tentation de rogner sur la quantité pour
récupérer de la marge... Mais c'est humain, non ?
L'HÔTELLERIE n° 2578 Magazine 10 Septembre 1998