La Madeleine de Proust à Toulouse
Dans son restaurant, La Madeleine de Proust à Toulouse, Philippe Merle fait replonger la clientèle dans ses souvenirs d'enfance. Les jouets en désordre organisé plantent le décor, et dans l'assiette, des recettes de grand-mère mettent en vedette des légumes oubliés.
Philippe Merle était encore
élève à l'école hôtelière Saint-Joseph d'Angoulême en apprentissage cuisine
lorsqu'il se disait déjà : "A 30 ans, il te faudra ta petite affaire."
Sa détermination a eu raison, puisqu'il vient d'ouvrir pour son trentième anniversaire
son restaurant, La Madeleine de Proust, à Toulouse. Après une formation en
comptabilité-gestion au Cifas d'Angoulême, puis un stage de création d'entreprise avec
la chambre de commerce et d'industrie de Dordogne et l'association J'Ose Dordogne,
Philippe Merle décide que l'été 1998 sera sa dernière saison en tant qu'employé.
"Depuis que j'étais sorti de l'école, j'enchaînais les saisons. J'avais
toujours eu l'idée de me mettre à mon compte, mais le temps me manquait pour pouvoir y
réfléchir sérieusement. Finalement, je me suis donné comme ultimatum la saison d'été
98." Et là, Philippe Merle reconnaît qu'il a eu beaucoup de chance. Son stage
de création d'entreprise achevé, la CCI l'a mis
en relation avec un groupe de quatre étudiants de l'école hôtelière de Savignac qui
préparaient une maîtrise de management.
Projet empirique
Pour soutenir leur diplôme, ces quatre jeunes gens ont décidé de concevoir dans sa
globalité le restaurant de Philippe Merle pour ne découvrir le projet que le jour de
l'examen. La seule consigne que le restaurateur leur a donnée était de trouver une
thématique forte et originale. Les étudiants ont entamé des études de marché, de
marketing, l'élaboration du concept, puis après de nombreux contacts avec les CCI, les
offices de tourisme et les syndicats hôteliers de plusieurs départements du grand Sud,
ils ont porté leur choix définitif sur Toulouse et son quartier Saint-Aubin. Un ancien
restaurant allait bientôt fermer et libérerait un bel emplacement. A proximité
immédiate de grandes administrations et de nombreuses sociétés privées, à
l'extérieur du plein-centre, de petite capacité (30 couverts), bien ouvert sur la rue
avec 3 vitrines et sans concurrence par rapport à la thématique, l'endroit paraissait
idéal. Pendant tout le temps de la prospection, Philippe Merle a volontairement été
maintenu dans un flou absolu. Jusqu'au jour de l'examen oral, où il crut aussitôt au
projet que les étudiants lui ont présenté. Son restaurant s'appellerait La Madeleine de
Proust et aurait pour thème les souvenirs d'enfance. 285 000 francs de fonds propres ont
été investis et, pour lancer son affaire, Philippe Merle s'est associé avec son père
et une amie.
Des jouets prêtés par la clientèle
Comme dans le livre de Proust dont les étudiants se sont inspirés, Du côté de chez
Swann, chaque détail du décor, chaque bouchée éveille aussitôt l'émotionnel de
l'enfance. A l'intérieur, des poupées, des livres de contes, des tableaux de maîtres
d'école, un petit théâtre, des jouets en bois, des camions de pompiers, en désordre
organisé. Les jouets et la décoration sont régulièrement renouvelés grâce à des
échanges, des prêts et des ventes passés avec la clientèle et un magasin de jouets.
Les tables en bois, le buffet de grand-mère et la vaisselle à petits carreaux vert et
blanc ménagent un style campagnard et donnent l'impression que l'on est ici chez soi
attablé dans la cuisine. Tout de l'enfance refait soudain surface à tel point que
beaucoup de clients habitués ont demandé à ce que leur rond de serviette en bois soit
mis chaque jour sur la table. "La clientèle entre 40 et 50 ans vient ici chercher
le souvenir d'une époque lointaine qu'elle raconte toujours dans le livre d'or du
restaurant." "Les plus jeunes, au contraire, cherchent l'émotion d'une
époque qu'ils n'ont pas connue", commente Philippe Merle. Il apprécie la
spontanéité de ses clients qui automatiquement touchent à tout. "Dès que je
mets des crécelles sur la table, un petit camion ou un Trivial Poursuite, les gens jouent
avec. Ceux qui prêtent leurs jouets veulent faire partager leur générosité. On
échange aussi des recettes de grand-mère", remarque Philippe Merle qui ne veut
surtout pas que l'endroit ressemble à un musée sans vie. La cuisine sans prétention,
avec ses légumes anciens, ses produits frais du matin, ses confitures maison vendues sur
place, son pain d'épice et ses madeleines, a été remise au goût du jour sur la carte
au format d'un livre de contes.
Un fichier de 1 100 clients
Après six mois d'ouverture, le prévisionnel de Philippe Merle a été largement
dépassé. Plus de 5 000 couverts ont été servis et la clientèle du midi, surtout,
revient très régulièrement. Pour la fidéliser, une politique commerciale a été
rondement menée cette fois encore par une élève de l'Ecole de Savignac accueillie pour
un stage de trois mois. Les entreprises et administrations de proximité ont été
démarchées en direct ou par mailing et un fichier clientèle a été entièrement conçu
sur informatique. Une base de données qui compte aujourd'hui 400 noms de particuliers et
700 noms de sociétés parmi lesquels Airbus, Rolls Royce, Cegetel. La clientèle issue du
monde du spectacle est aussi bien représentée dans le quartier où existent plusieurs
salles de théâtre et des lieux culturels. Ainsi, le vendredi et le samedi soir, le
service est assuré plus tard - jusqu'à 23 h 30 - pour accueillir les gens après ou
avant le spectacle.
"Dès que je mets des crécelles sur
la table, un petit camion ou un Trivial Poursuite, les gens jouent avec."
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L'HÔTELLERIE n° 2675 Hebdo 20 Juillet 2000