Félicien Balesi
A presque 60 ans, sa simplicité, sa générosité mais aussi sa passion et son professionnalisme en ont fait une "figure" incontournable de la gastronomie et de l'hôtellerie corses. Et pourtant, rien ne le destinait à ce parcours aujourd'hui envié... Au milieu des années 60, lorsque son père, Charles Balesi, lance la construction d'un petit hôtel à Quenza, en Corse du Sud, il s'agit d'un investissement à l'avenir plus qu'incertain. Quenza est une petite commune rurale et montagnarde, un peu isolée même si son histoire est riche, même si elle est cernée par un cirque de montagnes parmi les plus belles de Corse : les aiguilles de Bavella, la vallée de l'Asinao, le sommet de l'Incudine et le plateau du Coscione... Si aujourd'hui, avec la "mode" du tourisme vert, l'existence d'un tel établissement semble logique, à l'époque, sa création relevait d'un défi. D'autant plus qu'en 1968, lorsque l'hôtel peut ouvrir, Felicien n'a que 27 ans : il vient de terminer un cursus universitaire qui en a fait un... ingénieur analyste ! Il accepte de prendre en main la gestion de l'hôtel. Le jeune homme d'alors découvre un métier qui devient très vite une passion. "J'étais seul et loin de tout, mais l'amour du contact m'a très vite amené à tout faire pour tenter de satisfaire ceux qui trouvaient et s'arrêtaient par hasard dans mon établissement", se souvient-il. Et le jeune homme a de la chance : "Je n'ai jamais eu besoin de faire de la publicité. Dès la première année, j'ai eu le bonheur d'accueillir un écrivain anglais, Garry Hogg, dont l'épouse était journaliste au Guardian. Entre les articles de sa femme et son superbe livre paru en 1972 (Corsica, the Fragrant Island), j'ai tout de suite profité d'une importante clientèle anglaise. En 1973, la BBC est venue réaliser un film sur la Corse dans lequel Sole e Monti était référencé..." Mais à cette époque, Félicien a une autre grande passion : le sport automobile. Pendant quelques années, il participe en tant que pilote au rallye Tour de Corse, qui se déroule alors en novembre (les épreuves ne sont programmées au printemps que depuis 1982). "Dès le début, des amis pilotes comme Vic Alford, AAlatonen ou Toïvonen ont pris l'habitude de s'arrêter chez nous. Par la suite, toutes les grandes écuries ont fait de Sole e Monti, la maison du rallye", se souvient Félicien : Jean-Claude Andruet, Jean-Pierre Nicolas, Gérard Larousse, Jean Vinatier, Sandro Munari, Guy Pio puis Bernard Darniche et tous les pilotes officiels du championnat du monde des rallyes. "Ils appréciaient l'accueil qu'avec mon père, ma mère et toute la famille, nous leur réservions. A tel point que Quenza a accueilli durant de longues années l'un des parcs fermés du tour."
De l'accueil à la cuisine
La fréquentation de l'établissement par les pilotes, les organisateurs, les suiveurs du
Tour de Corse a été un support publicitaire très important pour Sole e Monti.
Aujourd'hui, des écrivains, des journalistes, des acteurs, des animateurs viennent
toujours plus nombreux chez Felicien qui les accueille avec naturel et simplicité. Sole e
Monti a une salle de restaurant de 150 m2 (80 à 100 couverts), un café-bar, à la
décoration chaleureuse et raffinée, deux étages de 10 chambres entièrement
équipées... La décoration, l'organisation, tout dans ce petit hôtel-restaurant de deux
étoiles tourne autour de la personnalité de son propriétaire. Le personnel - composé
en pleine saison de 15 à 20 personnes - est proche du chef. Paul Olivesi, le maître
d'hôtel, Dany Bozzi, le chef barman, Gisèle Borgomano à l'accueil, mais aussi Gérard
Mosiniak, chef de cuisine qui est venu rejoindre son ami Félicien cette année, tous
chaleureux et professionnels, relaient et prolongent la relation que Felicien peut
développer avec ses clients. C'est ainsi que Sole e Monti est cité dans au moins une
dizaine de romans, que les guides, les magazines le référencent spontanément... Car
rapidement Felicien, qui sait si bien accueillir naturellement, a multiplié les efforts
pour que le bonheur de ses "amis-clients" se retrouve dans leur assiette :
"J'ai commencé à apprendre à cuisiner avec ma mère, puis je me suis
documenté, j'ai lu les livres des plus grands chefs, je suis allé voir ce qui se faisait
ailleurs, j'ai comparé, testé, créé, innové, découvrant avec bonheur la créativité
de la cuisine, son côté artiste !", explique le chef. La table de Felicien est
donc aussi très appréciée : il a su allier les saveurs du terroir tout en les
préservant, en faire des plats de grande qualité : "J'aime à dire que la plus
grande difficulté en cuisine, c'est la simplicité." Felicien est devenu l'un
des plus fervents ambassadeurs de la gastronomie corse. Il est incollable et intarissable
sur les produits de sa région : la charcuterie de Quenza, séchée sans être fumée, les
miels, bruccio, figatelli... mais sa curiosité lui permet aussi de rester ouvert : "On
ne peut pas seulement proposer des produits du terroir, souligne-t-il, ce serait
par trop limitatif. Je mets un point d'honneur à ce qu'on puisse chez moi déguster de la
volaille de Bresse autant qu'un cabri rôti, du Charolais comme un cochon de lait."
Le poids de "l'administratif"
Malgré tout, si ce métier lui apporte de grands bonheurs, Félicien s'angoisse aussi
beaucoup. "Grâce à ma clientèle fidélisée et personnalisée, j'ai
certainement moins souffert que d'autres de la crise qui a touché notre secteur ces
dernières années, reconnaît-il. Malgré tout, depuis 5 ans, je n'ouvre plus que
5 à 6 mois dans l'année !" Des périodes hivernales dont il a su profiter pour
mener des travaux de rénovation et de mise en conformité. Il possède aujourd'hui une
superbe cuisine entièrement rénovée, il a refait l'an dernier sa réception et cette
année, il s'engage dans un vaste programme de rénovation des chambres qui seront moins
nombreuses, mais plus spacieuses et plus modernes. Comme tous les professionnels du
tourisme dans l'île, il profite aussi pour la troisième année consécutive du retour
des touristes : "Les réservations se sont prolongées jusqu'à la fin octobre",
annonce-t-il satisfait. Pourtant, "comme tous les collègues, je ne peux que
déplorer l'évolution de notre métier ! La gestion au quotidien est de plus en plus
compliquée, il y a trop d'administration. Heureusement, la passion est toujours là,
sinon...!"
L. Peretti
"J'ai commencé à apprendre à cuisiner avec ma mère, puis je me suis
documenté, j'ai lu les livres des plus grands chefs"
L'HÔTELLERIE n° 2639 Hebdo 11 Novembre 1999