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Témoignage

"Le couperet de la réduction du temps de travail"

Jean-François Boutet est un hôtelier-restaurateur jeune, dynamique et entreprenant. Installé à Beauvais, il a voulu anticiper la mise en place de la loi Aubry dans son établissement et il nous livre ses conclusions. Vous serez certainement nombreux à vous reconnaître en lui. Les pouvoirs publics sauront-ils vous entendre pour que des solutions propres à l'hôtellerie-restauration soient trouvées afin de vous permettre d'appliquer la loi sans mettre en péril vos entreprises et les emplois qu'elles génèrent ?

"Je ne suis pas un professionnel "toqué" de la restauration, mais un entrepreneur. J'ai construit un hôtel-restaurant il y a un peu plus de 7 ans. Je réalise un CA annuel de 5 MF, dont 50 % en restauration, avec un effectif de 9 personnes. J'ai démarré avec l'enseigne Resthôtel-Primevère qui avait abordé la restauration avec un certain professionnalisme. L'enseigne a été reprise par le groupe américain Choice Hotels qui s'est désintéressé des Primevère pour développer des hôtels Comfort-Inn sans restaurants positionnés dans un marché différent. Le réseau Primevère a fondu comme neige au soleil. Je l'ai quitté en 1998 en assignant le franchiseur sur le plan juridique. Pour essayer de ne pas déposer le bilan et retrouver une dynamique, je me suis franchisé avec l'enseigne Clarine.
Je reste profondément attaché à la qualité de nos établissements sur le plan culinaire. Ainsi, n'étant pas moi-même cuisinier, mon équipe de 9 personnes comporte 3 titulaires d'un CAP de cuisine. J'espère que nous n'aurons pas à devenir des réchauffeurs, mais la pression financière ne laissera bientôt plus de place aux états d'âme.
Je fais partie du Centre des jeunes dirigeants (association composée de 2 500 dirigeants, dont la vocation première est de concilier performance économique et performance sociale, en mettant l'entreprise au service de l'homme). Le CJD a proposé au gouvernement d'expérimenter la mise en place des 35 heures dans 470 entreprises pour vérifier la faisabilité, et mettre en évidence les problèmes qui pourraient se poser au regard de l'uniformité de la loi. Si certains ont pu déjà signer des accords de 35 heures dans leurs entreprises, mon projet en tant qu'hôtelier-restaurateur rencontre exactement les mêmes problèmes que ceux qui ont été mis en avant dans l'étude réalisée par le consultant lors de la réunion du 8 juin. Je sors d'une période de très fortes turbulences financières où, pour éviter le dépôt de bilan, j'ai dû procéder il y a 3 ans une réorganisation profonde de mon établissement avec licenciement économique et recherche de gains de productivité. Dans le projet de 35 heures que j'ai réalisé avec un consultant référencé par l'ARACT, et financé par la DDTE, nous avons été incapables de trouver de nouveaux gains de productivité, ce qui nous conduit à remplacer une heure de réduction de temps de travail par exactement une heure d'embauche. Ainsi le surcoût de masse salariale pour passer à 39 heures est de 149 kF, qui est partiellement allégé par les aides de la loi à hauteur de 73 kF la première année (dégressif ensuite). Il reste donc 76 kF à la charge de l'entreprise ce qui n'est pas réaliste avec un CA stagnant et même en légère régression (les implantations des Buffalo, Taverne de Maître Kanter, La Criée, et le projet de Léon de Bruxelles dans ma petite ville ne permettent pas de rêver à une augmentation du CA, même si nous avons commencé à développer nous-mêmes un nouveau concept : la cuisine aux herbes fraîches).
Quelques réflexions personnelles sur le déséquilibre entre les coûts à la charge de l'entreprise et les gains dégagés par les embauches pour l'Etat.
Le bilan de l'opération vue du côté de l'Etat, tous tiroirs confondus est remarquablement positif :
- économies liées au fait que l'Etat n'a plus à supporter un chômeur : 120 kF ;
- gains représentés par l'accroissement de charges sociales : 62 kF, soit un gain de 183 kF par an sur lequel l'Etat ne reverse que 73 kF la première année. Il reste donc une marge supérieure à 100 kF que l'Etat ne redistribue pas.
Autrement dit, le projet d'aménagement et de réduction du temps de travail est totalement utopique dans mon contexte actuel, alors qu'il me paraît aller dans le sens nécessaire pour faire évoluer notre profession qui est à la traîne sur le plan social. Mais l'asphyxie financière me conduit à devoir attendre jusqu'en 2002 avec la tête sur le billot et le couperet des 39 heures comme menace.
J'ai fais un procès à un franchiseur leader mondial en hôtellerie, avec tous les risques que cela comporte (déjà 1 an et demi de procédures). Je ne ferai pas de procès à l'Etat puisqu'il est garant de la loi ; mais comprendra-t-il que la loi des 39 heures détruira tout un pan de la profession si les bases n'en sont pas révisées ?"


L'HÔTELLERIE n° 2620 Hebdo 1er Juillet 1999

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