Paris
A l'annonce de la reprise de l'établissement par le groupe Flo, une association loi 1901, "Les Amis du Balzar", se constitue aussitôt. Elle revendique 800 membres, des clients, des habitués. "Des universitaires, des comédiens, des journalistes, des personnalités, des gens du quartier, c'est une clientèle stable", déclare Lorenzo Valentin, président de l'association. Une association qui parle haut et fort et qui alerte les médias. Les Amis du Balzar entendent "défendre" leur brasserie et comme toute action de lobbying, transparaît en filigrane la menace du boycott de l'établissement. "Ce n'est pas une attaque contre le groupe Flo, tient à préciser Lorenzo Valentin. Les méthodes qu'il applique dans ses brasseries ne nous regardent pas. Mais le type de restauration que l'on y retrouve nous semble impersonnel et la cuisine un peu uniforme. Au-delà de la cuisine, c'est un type de rapport avec le personnel qui est efficient mais pas personnalisé. Il ne faut pas appliquer cette recette au Balzar. Le Balzar est un endroit authentique, une institution, que nous souhaitons préserver. Nous disons seulement : attention ! L'esprit du lieu repose sur un fragile équilibre. Nos revendications : l'indépendance de la cuisine, la liberté de ton et la chaleur dans le service et une autonomie de gestion garantie."
Incompréhension
Côté Flo, ces revendications ont été entendues et le groupe tente de rassurer
l'association expliquant qu'il est bien dans ses intentions de conserver les atouts du
Balzar : son cadre au charme d'antan, la convivialité du service et la qualité de la
cuisine. Pourquoi changer une recette qui fonctionne ? Ce sont d'ailleurs ces atouts qui
ont conduit Jean-Paul Bucher à se porter acquéreur. Cette levée de boucliers, ce
procès d'intention... Chez Flo, on ne comprend pas. De même qu'on apprécie modérément
les critiques concernant la qualité de la cuisine et du service exprimées par les
membres de l'association et reprises dans la presse. Une publicité dont il se passerait
volontiers d'autant que ces déclarations sont perçues comme totalement injustes et sans
fondements.
Quant au Balzar lui-même, Jean-Paul Bucher s'est engagé en personne à conserver le lieu
tel qu'il est. "Nous n'avons rien changé, confirme Jean-Luc Delouche, nouveau
directeur de la brasserie. Même cuisine, mêmes fournisseurs". Le chef, M. Sauvet,
fait le même constat : "Cela fait 25 ans que je travaille au Balzar. J'ai toujours
les mêmes fournisseurs pour faire les mêmes plats dans la même cuisine. Il n'y a aucun
changement". Version différente d'un autre cuisinier, Gérald Barthélémy :
"Il y a eu quelques petits changements en cuisine. Certains produits sont
différents. On avait des responsabilités, on n'en a plus. On ne correspond pas à
l'image du groupe Flo".
Pour Jean-Marie Prost, directeur des brasseries du groupe Flo : "Toute la cuisine est
réalisée sur place. Pour la pâtisserie, nous aurions pu nous fournir auprès de notre
labo pâtisserie, mais nous avons conservé le pâtissier attitré du Balzar. Le seul
changement, qui va dans le sens de la qualité, ce sont les glaces qui viennent désormais
de Flo Prestige. On peut organiser une dégustation tout de suite, les clients verront
qu'ils sont gagnants."
Revendications
Pour le personnel, le changement se traduit tout d'abord par l'arrivée d'un
directeur, Jean-Luc Delouche. Un directeur qui assure également le service. Aussi, la
répartition du tronc, c'est-à-dire les 15 % de service payés sur chaque addition et
reversés au personnel, inclut désormais le nouveau directeur. Les serveurs et maîtres
d'hôtel évoquent donc une perte de salaire qu'ils n'acceptent pas et ont engagé une
action en référé. Ils refusent aussi le passage de 6 à 5 jours de travail hebdomadaire
qui entraînerait une nouvelle perte de pouvoir d'achat. "Ces questions entrent dans
le cadre de la loi, elles seront réglées dans ce cadre, nous ne faisons qu'appliquer la
convention collective", dit Jean-Marie Prost.
La liste des revendications du personnel est encore longue : mise en place d'une mutuelle,
l'augmentation des salariés mensualisés (plonge, cuisine) avec salaire minimum de 8 500
F nets, maintien de l'augmentation annuelle des salaires, un 13e mois et l'arrêt de la
pression sur le service. Cette dernière revendication vise le nouveau directeur du
Balzar, Jean-Luc Delouche. Celui-ci nie cette accusation. En tant que directeur, il donne
ses directives, rien de plus. Quant aux revendications salariales, Jean-Luc Delouche ne
fera qu'un commentaire : "Les employés du Balzar gagnent en moyenne 30 % de plus que
le marché."
Grève
"On nous répète que nous gagnons 30 % de plus, mais nous voulons seulement
conserver nos acquis sociaux. Nous ne voulons pas que le contrat avec l'ancien employeur
soit modifié, déclare Claude Blanchet, délégué du personnel. Nous n'avons pas
l'impression de correspondre à l'image de Flo. C'est vrai, nous avons peur de perdre nos
emplois." Une crainte qui n'a pourtant pas empêché, jeudi dernier, la grande
majorité du personnel de faire grève. Depuis, le travail a repris. Mais le malaise
subsiste et de nouvelles actions du personnel peuvent éclater à tout moment.
Chez Flo, on ne comprend toujours pas pourquoi ce rachat a cristallisé autant
d'inquiétude et de peur. Et quand un rachat devient une affaire dont s'empare la presse
et qui nuit aux affaires... Jean-Marie Prost l'exprime très clairement : "Je leur
dis : vous gagnez bien, vous avez des clients, il faut défendre l'entreprise. Votre
attitude est suicidaire. Je peux vous dire que notre stratégie est décidée. On ne
mettra pas en péril notre outil de travail."
N. Lemoine
Jean-Marie Prost, directeur des brasseries du groupe Flo et Jean-Luc Delouche,
nouveau directeur du Balzar.
L'HÔTELLERIE n° 2583 Hebdo 15 Octobre 1998