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L'événement
Renégociation de ses prêts
Les banques ont en tendu Veyrat

En octobre, la fermeture de l'Auberge de l'Eridan n'a été que provisoire. Le temps pour Marc Veyrat et son équipe de souffler un peu. Les longues transactions avec les banques viennent enfin d'aboutir. Et à Veyrier-du-Lac, l'avenir s'annonce plus serein pour un chef qui, en exclusivité pour L'Hôtellerie, parle d'avenir et donne sa réponse à la Chambre syndicale de la haute cuisine.

«Il va neiger sur La Croix Fry», pronostique Marc Veyrat. Son flair de montagnard ne le trompe pas, et quelques flocons voltigent devant sa maison à 1.800 m d'altitude. Là, il se sent bien. Au point qu'il a failli s'y retirer quand les négociations avec les banquiers achoppaient pour quelques points en moins sur ses taux d'intérêt.

«Je ne suis pas désabusé, mais tellement las de ce système que je me sens aujourd'hui tout à fait capable d'arrêter», confiait-il le 5 septembre dernier à L'Hôtellerie.

Info ou intox ? Marc Veyrat affirme aujourd'hui qu'il ne s'agissait nullement d'un coup de bluff ou d'un quelconque chantage auprès des banques. Sa colère, parfaitement relayée par les médias, lui a pourtant permis d'arriver à ses fins avec une renégociation bancaire telle qu'il la souhaitait...

«Je viens de signer le dernier contrat le 8 novembre et cet accord avec l'ensemble des banques me permet d'affirmer que la boucle est bouclée. Il est primordial de souligner que, contrairement à ce qui a pu être dit par certains, je reste propriétaire à 100% de ma maison... J'ai toujours remboursé ma dette et j'en suis fier. Les transactions ont été très longues et je suis forcé de constater que la BNP, supposée la plus commerciale, s'est montrée la plus réticente et la moins conciliante... à l'inverse des banques de proximité. Dès lors, si je devais donner un conseil à mes jeunes collègues, ce serait de faire confiance à ces banques de proximité et à ces hommes qui vivent dans leur région et sont plus sensibles à leurs problèmes. J'ai souvent eu l'impression que l'on se préoccupait très peu que je puisse faire un jour un infarctus... puisque j'avais une bonne Assurance Vie ! Je n'ai pas peur de dire qu'aujourd'hui, sans la Banque Populaire et le Crédit Agricole, Marc Veyrat n'existerait plus. Ces deux banques ont été les premières à signer un accord tandis que la BNP a signé en se faisant tirer l'oreille et n'a reculé qu'à cause du fracas des médias.»

L'Hôtellerie :

Justement, tout n'a-t-il pas en définitive abouti parce qu'il s'agissait d'un gros coup médiatique autour de Marc Veyrat ? Et comment un petit restaurateur aujourd'hui en difficulté peut-il se sentir concerné ?

Marc Veyrat :

«C'est vrai que les journalistes aiment les bonnes tables et je ne peux que m'en réjouir (rire). Plus sérieusement, je pense que mon appel au secours pouvait rendre service à tous les cuisiniers, y compris dans des petites structures. Je suis satisfait de l'aboutissement des négociations, mais je n'ai pas eu de véritable cadeau et je continue à rembourser ma dette. Il n'y a donc pas un cas Marc Veyrat. Même si les banquiers jouent un peu trop sur l'argent et pas assez sur les hommes, il ne faut pas hésiter à aller les voir pour renégocier à des taux qui ont cours aujourd'hui. Et je continue à affirmer que c'est possible.»

L'Hôtellerie :

Vous avez parlé de trente mois de négociations. N'est-ce pas trop long et trop usant ?

M. V. :

«Sans doute, mais je crois que cela valait la peine de se battre. Au-delà du simple aspect financier, j'ai pu me rendre compte de la solidité de mon équipe, avec des gens qui ont travaillé comme des fous (sic). J'ai également constaté à l'heure des comptes que si la masse salariale se situe à 30 à 35% des charges de l'établissement chez la plupart de mes collègues 3 étoiles, elle se situe chez moi à 23%. Mes gars n'en avaient donc que davantage de mérite. C'est une raison supplémentaire de les féliciter et de renforcer mon équipe avec 8 embauches pour revenir à des horaires décents !»

L'Hôtellerie :

Vous aviez près de 45 MF à rembourser à des taux supérieurs à 10%. Quelle est votre situation aujourd'hui ?

M. V. :

«J'ai signé une clause de confidentialité qui m'empêche de citer des chiffres. Je peux dire simplement que je vais encore payer, ce qui est logique, mais à un taux proche de la normale du marché. Cela m'autorise à dire à ceux qui sont encore autour de 12% qu'ils doivent aller négocier. Si j'ai encore des détracteurs, j'ai aussi une dizaine de personnes, pour la plupart des jeunes restaurateurs, qui m'ont appelé pour me féliciter. Un cuisinier de Périgueux m'a dit qu'il avait pu lui aussi renégocier. Je crois donc que la porte est ouverte. Certains cuisiniers qui m'ont critiqué lorsque j'étais dans le trou (sic) sont obligés de se rendre compte aujourd'hui qu'il y a eu un soutien, peut-être modeste, mais réel de ces jeunes et j'en suis fier. Et si dans l'avenir j'arrive à renégocier avec le CEPME avec qui j'ai encore des taux entre 14,5 et 16% (NDLR : sur l'ancienne Auberge de l'Eridan) j'en parlerai, car je pars du principe que ce qui est bon pour nous doit l'être pour les autres. Il est important d'épauler les jeunes qui arrivent en leur expliquant que notre métier est une remise en cause de tous les jours. On leur dit un peu trop que la gastronomie se porte mal alors que, pour ne citer que trois exemples récents, Marc Veyrat est sauvé, Pierre Gagnaire recommence et Patrick Henriroux vient de racheter son affaire. Cela tend à prouver que quand on veut on peut, et que l'avenir est ouvert.»

L'Hôtellerie :

N'aviez-vous quand même pas fait un gros coup de bluff en menaçant de fermer définitivement l'Auberge de l'Eridan ?

M. V. :

«Je le dis et je le répète : si je n'étais pas arrivé à renégocier, j'aurais fermé ma maison. Le bluff est une chose qu'un paysan ne connaît pas. Je ne pouvais plus continuer et tout était mûrement réfléchi. J'avais même monté une société avec ma sœur pour m'installer avec elle à La Croix Fry.»

L'Hôtellerie :

Aujourd'hui vous êtes donc à l'Eridan, mais pour combien de temps ? Avez-vous abandonné toute idée de partir un jour en montagne ?

M. V. :

«Même si je pense qu'avec mon équipe nous avons besoin de vacances et que nous les prendrons en février, nous avons repris le travail dans la sérénité. Dans une région privilégiée, je pense être dans l'une des plus belles maisons de France. Dès février pourtant je vais préparer mon retour à La Croix Fry dans les 5 ou 6 ans qui viennent. Je serais fier de retourner dans mes montagnes car c'est quelque chose de vrai. Pour l'avenir, l'imaginaire même, j'aimerais que mon fils Pierre-Emmanuel qui a 15 ans aujourd'hui persiste dans son envie de devenir cuisinier. S'il est un jour à mes côtés et que je peux l'aider à ouvrir un restaurant gastronomique à La Croix Fry, je serais ravi.»

L'Hôtellerie :

A vos soucis avec les banquiers, se sont greffées des querelles autour de la Chambre Syndicale de la Haute Cuisine. Là encore vous étiez en première ligne !

M. V. :

«Dans une période difficile, j'ai été très affecté par les déclarations de Georges Blanc et d'Alain Ducasse. Pourtant, après réflexion et même si j'estime qu'il est trop facile de tirer sur une ambulance, je ne leur en veux pas pour deux sous. Je constate simplement que nos modes d'investissement ne sont pas les mêmes. Mon père n'avait pas d'argent, mais a su me donner une éducation terrienne et paysanne. Je suis très heureux des travaux que j'ai réalisés chez moi. La clientèle s'y sent bien et apprécie une maison qui est le reflet de l'habitat montagnard. S'il y a un certain luxe, je préfère la grange familiale que j'ai remontée à des meubles en trompe-l'œil. Ici, la nourriture ne sera jamais mangée avec des couverts en or, comme chez certains qui se targuent de simplicité et feraient bien de me rendre visite !»

L'Hôtellerie :

Etes-vous certain que ces dissensions donnent une bonne image des cuisiniers ?

M. V. :

«Je trouve tout cela regrettable car pour moi il n'existe qu'une cuisine : la bonne, réalisée par des chefs devant leurs fourneaux. La force et la richesse de notre grande famille reposent sur sa diversité et sur la personnalité des chefs. Je n'ai donc pas compris pourquoi un jour, par l'intermédiaire d'un guide inconnu, on avait choisi de nous opposer. Puis j'ai réalisé que ce discours conservateur et archaïque était en fait le véritable danger. Il était donc important de réagir en précisant que nous faisions une cuisine de sensations, d'émotions et de création où le talent de chacun intervenait. En fait, cela devrait être la philosophie de l'ensemble des cuisiniers...»

L'Hôtellerie :

Cela signifie-t-il la naissance d'un autre mouvement dont vous seriez l'instigateur ?

M. V. :

«Il est indéniable qu'avec des déclarations intempestives et certaines attitudes, un fossé s'est creusé. Je pense sincèrement qu'il existe dans ce métier une forme de respect incontournable. Avec certains de mes confrères et amis, nous serons donc amenés à faire valoir notre identité, sans pour autant perdre de temps en vaines querelles (1). Il me semble, par exemple, plus important de nous occuper des jeunes qui feront la gastronomie de demain et de leur formation.»

J.-F. Mesplède

(1) Le téléphone chauffe en ce moment du côté d'Annecy et une nouvelle association de «jeunes chefs» pourrait voir le jour assez rapidement...

«

Il est primordial de souligner que, contrairement à ce qui a pu être dit par certains, je reste propriétaire à 100% de ma maison... J'ai toujours remboursé ma dette et j'en suis fier.

»

N°1 POUR LE

«WINE SPECTATOR»

Le dernier classement des chefs du «Wine Spectator» est significatif. Pour la «bible gastronomique» d'outre-Atlantique, Alain Ducasse, Marc Veyrat à l'Auberge de l'Eridan et Antoine Westerman au Buerehiesel frisent la perfection en obtenant le même total de 98/100 et se partagent donc la première place.

Derrière ce trio majeur :

Georges Blanc et L'Ambroisie de Bernard Pacaud (97/100), Les Prés d'Eugénie de Michel Guérard (96/100), L'Arpège d'Alain Passard, Lucas-Carton (Senderens),Taillevent (Vrinat), Troisgros (95/100), Boyer «Les Crayères», L'Espérance de Meneau et La Côte d'Or de Loiseau (93/100).

LES CHIFFRES ?

Tenu par une «clause de confidentialité» concernant la renégociation de ses prêts, Marc Veyrat n'a donc livré aucun chiffre. Une analyse de sa situation à travers ses déclarations antérieures et certaines indiscrétions locales, nous permet cependant de brosser un tableau assez proche de la réalité.

En installant son Auberge de l'Eridan au bord du lac, Marc Veyrat devait rembourser un capital de 43,5 MF en 12 ans aux quatre établissements (BNP, Crédit Agricole de Savoie, La Hénin, Banque Populaire Savoisienne) lui ayant consenti des prêts à un taux moyen de 11,5%. A ses dires (L'Hôtellerie du 5 septembre 1996), le remboursement du capital et des intérêts était à 18.000 francs par jour, soit 550.000 francs mensuels.

Les banques semblent aujourd'hui avoir pris en compte les sommes remboursées depuis 1991 pour réduire un capital que l'on peut situer à 37/38 MF. Et si comme il l'affirme, Veyrat a obtenu des «taux très près de ceux du marché actuel» et un «allongement dans le temps», on peut estimer qu'il a pu signer à 5,5-6% sur 14-15 ans. Cela ferait donc des remboursements mensuels de l'ordre de 250.000 francs.

Sur les trois dernières années, et avec «l'effet Michelin», le CA de l'Auberge de l'Eridan (à 85% pour le seul restaurant), est en hausse sensible : 17 MF en 1994 ; 27 MF en 1995 ; 30 MF attendus pour 1996 (TM 1.150 francs au restaurant et TO de 60% à l'hôtel) sur 10 mois d'ouverture avec deux jours de fermeture hebdomadaire (sauf en été).



L'HÔTELLERIE n° 2484 Hebdo 21 novembre 1996

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