du 10 janvier 2008 |
AQUACULTURE |
Pour faire face à la demande croissante en produits de la mer, aux menaces de disparition de certaines espèces de poissons ou pour assurer le développement économique de certaines régions du monde, l'aquaculture est devenu le secteur connaissant la croissance la plus rapide dans le domaine de la production alimentaire mondiale. Un des thèmes abordés au cours des 21es Entretiens de Belley, dont le thème était : 'Le poisson : de l'eau à la bouche'.
Bernadette Gutel
Poissons, coquillages, mollusques et algues
L'aquaculture, un secteur en plein développement
Dans le monde , 95 millions de tonnes de poissons sont péchés par 4 millions de bateaux. |
Dans l'histoire de l'homme, la pratique de la pêche apparaît très tôt, explique Yann Maubras, directeur adjoint de l'Institut français de la biodiversité (IFB). Dès le Moyen-âge, l'aquaculture (notamment l'élevage de la carpe dont les premières traces remontent à la Rome antique) est développée dans les étangs et les rivières par les moines. La distribution du poisson d'origine maritime s'organise également : le hareng pêché à Dieppe est distribué dans toute l'Europe. Le poisson frais arrive à Paris par voie terrestre moins de 48 h après avoir été pêché. Il est à cette époque, le seul aliment non taxé par les seigneurs." En effet, vers 1400, le roi de France avait interdit le droit de prise sur le poisson frais car cela nécessitait l'ouverture du conditionnement du poisson et en retardait donc la livraison. En Amérique du Sud, aux XIVe et XVe siècles, le poisson frais, était acheminé à dos d'hommes jusqu'aux Incas du Machu Picchu : des coureurs se relayaient pour leur porter ce poisson depuis l'océan Pacifique. À la même époque, le surimi devient une tradition culinaire japonaise… Puis, le développement, au cours du siècle dernier, de moyens de stockage et de transports réfrigérés ou surgelés, de méthodes de pêche de plus en plus performantes et de l'aquaculture ont rendu le poisson et les autres produits de la mer (coquillages, crustacés et algues) accessibles au plus grand nombre. Malheureusement, les ressources de la mer surexploitées régressent de façon inquiétante. Selon les estimations de la FAO (1), en 2003, 75 % des stocks maritimes de poissons étaient surexploités, voire épuisés.
L'aquaculture dans le monde
Il faut savoir que durant la période 1990/1997,
la consommation mondiale de produits de la mer a augmenté de 31 % alors que
l'offre mondiale n'a pu s'accroître que de 9 % grâce notamment à
l'aquaculture. Et si l'on veut maintenir en 2030, le niveau actuel de consommation
de poissons, la production devra augmenter de 40 millions de tonnes par an.
"D'après
un rapport de la FAO en 2004, explique Sophie Girard, du service économie maritime de l'Ifremer (2), l'offre mondiale
annuelle en produits de la mer est de 140,5 millions de tonnes. Cette offre se répartit
d'une part en produits de la mer 'sauvages' (poissons, coquillages, crustacés),
95 millions de tonnes de poissons sont ainsi pêchés par 4 millions de
bateaux, et, d'autre part, en produits d'aquaculture (poissons, coquillages, crustacés)
soit 45,5 millions de tonnes. 24 % de cette offre mondiale sont transformés
en farines et huiles de poissons utilisées pour nourrir poissons et poulets."
Résultat, en 2004, l'offre de l'aquaculture représentait déjà
43 % des produits de la mer destinés à la consommation humaine. Aujourd'hui,
c'est près de 50 %. Le champion du monde de l'aquaculture est la Chine qui
a produit en 2004, d'après la FAO, près de 31 millions
de tonnes de produits (algues non comprises) soit 67 % de la production mondiale
principalement des carpes, du tilapia (plus de 1 million de tonnes en 2007) et du
panga (ou poisson-chat) mais également, de plus en plus de coquillages et de
crevettes. "En Europe, précise Dominique Vallod, enseignant chercheur
à Isara (3) de Lyon, le premier pays d'aquaculture est la Norvège
qui produit près d'1 million de tonnes de poissons suivie de l'Espagne (qui
produit principalement des coquillages et du poisson comme le turbot), puis la France."
Sont également producteurs le Portugal, la Turquie, la Grèce, l'Italie...
Par ailleurs quelques espèces prennent une place importante dans la production
aquacole globale. Ainsi, le saumon qui est à 99 % issu de l'élevage
en Norvège, Chili, Amérique du Nord, Écosse, Irlande, Islande…,
les coquillages qui proviennent essentiellement d'élevage dans des bassins
maîtrisés par l'homme ou les crevettes qui sont en constante progression
: plus de 1/4 des crevettes consommées dans le monde sont issues des exploitations
aquacoles d'Asie, d'Amérique du Sud mais aussi de Madagascar. Résultat,
le poisson d'élevage est de plus en plus présent dans notre assiette.
"À l'heure actuelle, précise Françoise Médale, directeur
de recherche Inra-Ifremer, la part du poisson d'élevage produit en France
et ailleurs est passée de 8 % en 1989 à 12 % aujourd'hui. La restauration
hors domicile assurait en 2005 près de 40 % des débouchés du poisson
d'élevage. La part des produits d'élevage
va continuer d'augmenter. Sur le plan nutritionnel (protéines, lipides, vitamines,
oligoéléments …), aucune différence majeure n'a été
décelée entre les poissons d'élevage et les poissons sauvages."
Près de 50 % de l'offre mondiale de produits de la mer destinés à la consommation humaine proviennent de l'aquaculture, soit plus de 46 millions de tonnes. Sur la photo : fermes d'élevage de saumon en Norvège. |
L'aquaculture en France
"En France, explique
Jean-Christophe Cormoreche, directeur de l'Adapra (4), l'aquaculture marine produit
135 000 tonnes d'huîtres, 68 000 tonnes de moules et 8 500 tonnes de poissons."
Sept espèces de poissons d'origine marine sont élevées dans l'Hexagone
: la daurade royale (1 900 t), le saumon (1 200 t), le turbot (800 t), le bar (4
300 t), le maigre (300 t), l'esturgeon qui fournit chair et caviar (18 t). L'aquaculture
d'eau douce donne 35 000 tonnes de truites, 6 000 tonnes de carpes, mais aussi de
la perche. En France, c'est au Moyen-Âge que des moines français ont
intégré les principes de base des techniques d'élevage des poissons.
Une pisciculture extensive existait alors dans toute l'Europe, exercée dans
une multitude de mares et de réseaux d'étangs dont certains comme les
Dombes en France étaient régulièrement vidés et mis en culture,
fournissant un complément alimentaire important aux paysans et aux moines.
Mais c'est surtout à la fin du XIXe siècle que la salmoniculture
a véritablement pris son essor notamment dans les Vosges grâce à
deux pêcheurs Rémy et Géhenne qui mirent au point la reproduction
artificielle des truites. Puis, le XXe siècle a connu le développement
de la pisciculture d'eau douce française. En 1910, il existait déjà
111 petits établissements
piscicoles situés pour la plupart à l'emplacement d'anciens moulins
à eau qui nourrissaient et attiraient des poissons (principalement des truites)
avec leurs déchets riches notamment, en vers de farine. Aujourd'hui en France,
en aquaculture d'eau douce, truites arc-en-ciel, ombles de fontaine (ou saumons
de fontaine) et ombles chevalier sont élevés par 400 entreprises installées
sur 600 sites de production. La moitié de la production se situe en Bretagne
et en Aquitaine. Le nord de la France vient en 3e position. En aquaculture
marine, si la Norvège a été pionnière dans l'élevage du
saumon dans les années 1970, la France l'a été, à peu près
à la même époque, dans l'élevage de la daurade royale, du
bar et du turbot. Elle a ainsi développé des écloseries dont la production
est exportée à plus de 50 %, et une activité de grossissement.
Cette filière regroupe, dans l'Hexagone, une cinquantaine de PME.
Une filière engagée
dans le développement durable
Dans bien des pays où
l'aquaculture a été développée de façon anarchique, les
conséquences sur l'environnement et les populations se sont révélées
néfastes. De plus en plus, le secteur de l'aquaculture et les distributeurs
réfléchissent sur le développement durable afin de fournir un complément devenu nécessaire à
la pêche, de repeupler les rivières, de participer à la sauvegarde
de certaines espèces telle l'esturgeon, de préserver la qualité de
l'eau et de l'environnement… En France, la profession a initié une réflexion
nouvelle en 2001 dans le but de définir une 'aquaculture durable'. Ses principales
priorités sont la protection et l'épanouissement des hommes, le développement
de la filière, la protection de l'environnement et celle de l'animal, l'écoute
du consommateur et le développement local de l'activité économique.
Pour cela, la filière s'appuie entre autres sur le Guide des bonnes pratiques
sanitaires en élevage, sur des démarches de qualité environnementale
type ISO 14 001 ou produit types Label Rouge, AB et marques collectives. La filière
française a en effet créé deux marques fortes : La Truite Charte
de qualité qui concerne 26 000 sur les 35 000 tonnes de truites produites pour
la consommation et Qualité Aquaculture France, marque qui concerne les 2/3
de sa production de bars, daurades royales, turbots et esturgeons…
n
zzz44g AL0607
(1) FAO : Organisme des Nations Unies pour l'alimentation
et l'agriculture
(2) Ifremer : Institut français de recherche pour l'exploitation
de la mer
(3) Isara : école d'ingénieur spécialisée
dans les domaines de l'agriculture, l'alimentation, le développement rural
et l'environnement
(4) Adapra : Association pour le développement de l'aquaculture
et de la pêche en Rhône-Alpes
LES POISSONS D'EAU DOUCE ET D'EAU
DE MER ÉLEVÉS EN AQUACULTURE
Au moins 25 espèces de poissons concernées Espèces de poissons d'eau douce À cette liste, il faut ajouter les moules, huîtres, palourdes, coques, coquilles Saint-Jacques, crevettes… sans oublier les algues d'élevage. |
QUE MANGERONT DEMAIN LES POISSONS D'ÉLEVAGE ? |
Jusqu'à présent, l'alimentation des poissons carnivores contenait des farines et huiles de poisson issues d'espèces de poissons non consommées par l'homme et dont les pêcheries étaient gérées par quotas dans le but de ne pas appauvrir les ressources. Le problème est qu'aujourd'hui, avec le développement mondial de l'aquaculture, même ces poissons commencent à manquer. Des recherches sont en cours pour remplacer ces farines et huiles de poissons par des matières premières d'origine végétale, tout en préservant les qualités nutritionnelles et organoleptiques des poissons d'aquaculture. Les poissons carnivores mangeront-ils demain des protéines de soja, de petits pois, de lupin ou de caroube, agrémentées d'huile de lin ou autres pour assurer leur teneur en oméga-3, acide gras indispensable ? Ou bien seront-ils nourris durant la première période de leur vie avec des matières végétales puis, quelque temps avant d'être abattus, avec des farines et huiles de poisson pour que leur graisse retrouve toute ses qualités nutritionnelles ? |
LES ENTRETIENS DE BELLEY - LE POISSON : DE L'EAU À LA BOUCHE |
Les derniers
entretiens de Belley, qui se sont déroulés le 12 octobre 2007, ont été
l'occasion d'aborder, avec des chercheurs et des chefs de renom, les
problèmes que rencontre la pêche à l'heure actuelle, mais aussi la
question du développement de l'aquaculture en France et dans la région
des Dombes, le respect de la biodiversité, l'intérêt nutritionnel des
poissons… sans oublier les secrets de chef pour bien les préparer.
Les interventions des spécialistes font l'objet d'un compte-rendu détaillé que vous pouvez vous procurer auprès du Service communication et culture de la ville de Belley. Il sera disponible courant janvier 2008./font>
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L'Hôtellerie Restauration n° 3063 Magazine 10 janvier 2008 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE