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du 19 juin 2008
GASTRONOMIE MOLÉCULAIRE

POUR AGRÉMENTER VOS PLATS

MACÉRATIONS, INFUSIONS, DÉCOCTIONS… ET LES AUTRES

Par quel étonnant mécanisme certaines 'belles personnes' font-elles naître en nous de belles idées ? Pourquoi, après dix ans d'amitié, suis-je encore surpris des paroles de mon ami Pierre Gagnaire ? Pourquoi, lors d'une récente rencontre avec un cuisinier indien sensible, me suis-je posé une fois de plus la question des infusions, avec une réponse différente de celle que je donnais naguère ?
Par Hervé This, auteur du blog des experts 'La gastronomie moléculaire' sur lhotellerie-restauration.fr

Basilic. L'usage des huiles essentielles est merveilleux en cuisine, mais il faut savoir utiliser ces produits. Les extractions sont différentes selon la température et selon le temps, ce que savent bien tous les amateurs de thé.

Il s'agissait d'un dialogue, puisque les questions de ce cuisinier indien ont résulté d'une présentation de la gastronomie moléculaire. Cette discipline scientifique - je répète inlassablement que ce n'est pas de la cuisine - est l'occasion de poser des questions. Alors que je venais de montrer que les épices peuvent subir des 'extractions' dans divers solvants, mon ami indien voyait s'ouvrir des possibilités qui comblaient ses envies d'épices, et les questions naissaient quant aux techniques à mettre en oeuvre.

L'extraction
Plusieurs des mots écrits précédemment méritent un examen. Extraction, tout d'abord. C'est aussi la question du parfum : les fleurs étant parfumées, peut-on faire des 'conserves' du parfum des fleurs ? Il y a bien longtemps, nos ancêtres ont compris que des fleurs placées dans de la graisse libéraient leur odeur, dont la graisse s'enrichissait. Par ce procédé d''enfleurage', on extrait une partie des molécules des fleurs, et l'on obtient des graisses parfumées avec lesquelles ont peut se parfumer soi-même. Par la suite, d'autres artisans placèrent des tissus végétaux ou animaux dans de l'eau, et là encore, l'eau prit de l'odeur, et plus généralement, du goût. Il s'agissait de faire des eaux de senteur. Puis, sans doute plus tard parce qu'il fallait que la distillation soit découverte, des artisans distillèrent, récupérant la partie odorante d'une eau parfumée. C'est ainsi que sont extraites les huiles essentielles. Le procédé n'est pas difficile à mettre en oeuvre, puisque l'entraînement à la vapeur d'eau en est la clé. L'idée est que les molécules odorantes sont odorantes : dès que l'on sent quelque chose, c'est la preuve que des molécules ont quitté la matière qui les renfermait pour passer dans l'air. Si ce dernier est entraîné, alors d'autres molécules qui quittent la matière odorante sont également entraînées, ce qui fait sortir encore d'autres molécules odorantes, et ainsi de suite. Comment entraîner les molécules odorantes ? On pourrait souffler dessus… mais l'empirisme a trouvé une bien meilleure méthode, à savoir faire bouillir de l'eau : la vapeur chaude s'élève, et si elle est produite dans un environnement fermé, alors elle peut être récupérée et recondensée. De nombreux systèmes ont été mis au point pour assurer ainsi l'extraction des molécules odorantes d'une matière, et de nombreux 'solvants' ont été testés : l'eau n'est que le plus ancien. Bref, on sait extraire les molécules odorantes des végétaux de bien des façons.

Questions de température
Qui a le premier extrait les molécules odorantes : les parfumeurs ou les cuisiniers ? Ne cherchons pas des antériorités que nous ne pourrions pas établir, et contentons-nous de dire que l'extraction des matières odorantes n'est pas neuve : ne fait-on pas depuis longtemps des huiles, des vinaigres, des eaux-de-vie parfumés ? D'ailleurs, le mot parfumé est insuffisant, parce que les matières que l'on place ainsi dans de l'eau, dans de l'eau-de-vie ou dans de l'huile peuvent également, selon les cas, libérer des molécules qui n'ont pas seulement de l'odeur, mais aussi de la saveur. L'éthanol, l'alcool des eaux-de-vie, a ainsi à la fois une odeur et une saveur, mais aussi d'autres actions, et ce n'est pas un cas particulier. Une précision : les physicochimistes parlent d'eau, d'huile pour désigner respectivement n'importe quelle solution aqueuse ou n'importe quelle matière grasse à l'état liquide, parce que les effets sont semblables. Par exemple, l'extraction de molécules odorantes présentes dans la sauge se fait de façon très analogue dans de l'huile d'olive ou dans du beurre fondu… sauf que la température, elle, est importante. Ce que savent bien tous les amateurs de thé.
Oui, les extractions sont différentes selon la température et selon le temps. Des feuilles de thé jetées dans de l'eau bouillante qui refroidit lentement font un breuvage bien différent quand la durée d'infusion est de 3 min ou quand elle est supérieure. Même chose pour la température : avez-vous déjà essayé de faire macérer des feuilles de thé dans de l'eau froide ? L'énergie, dans ce cas, n'est pas suffisante pour extraire les composés phénoliques (souvent nommés tanins, de façon un peu fautive), et le liquide n'est jamais astringent. Celui qui veut extraire des molécules 'gustativantes' a de nombreuses possibilités : macérations à froid, décoction à chaud, infusions… avec des températures différentes, qui donnent des résultats différents.
De nombreuses molécules odorantes sont fragiles et résistent mal à la chaleur. L'enfleurage préalablement évoqué s'impose, notamment, pour les extractions de molécules fragiles. À noter aussi que ce seront des molécules différentes qui seront extraites par les divers solvants : l'eau ne dissout pas les mêmes molécules que l'huile ou que l'alcool. Les possibilités sont légion.

Le génie des émulsions
Pour qui sait qu'une émulsion n'est pas une préparation mousseuse, de nouvelles possibilités s'offrent. Par exemple, quand on place des gousses de vanille dans de la crème ou dans du lait, certaines molécules (plutôt les molécules odorantes) se dissolvent dans la matière grasse dispersée sous la forme de gouttelettes, tandis que les molécules sapides se dissolvent plutôt dans la partie aqueuse de l'émulsion. Au total, on récupère bien plus de molécules gustativantes que dans de l'eau ou dans de l'huile.
N'oublions pas que le sucre ou le sel ont des actions sur les extractions. Par exemple, on extrait mal les matières gustativantes dans un sirop sucré ; il vaut mieux les extraire dans de l'eau avant d'ajouter le sucre. Le sel, lui, a la propriété de rejeter les molécules odorantes qui se seraient (un peu) dissoutes dans de l'eau. C'est la raison pour laquelle un potage salé ne sent pas le sel mais fait mieux percevoir le goût des légumes qui composent le potage (ce dernier n'est pas une soupe, puisque ce mot désigne le pain que l'on trempe avec le potage ou le consommé).
Peut-on prévoir le résultat d'une extraction ? Très difficilement : avec pour variables la nature du solvant, la température d'extraction, le temps d'extraction, la présence de solutés tels que le sel et le sucre, l'acidité…, il y a bien trop de paramètres pour que l'on ait a priori une idée des résultats. Il reste l'expérience.

Questions d'utilisation : les huiles essentielles
S'il n'y a guère de réglementation pour l'utilisation des extraits gustativants en cuisine, il ne faut pas croire que les extraits soient sans danger. L'estragon ou le basilic présents sous la forme de feuilles semblent admissibles, l'estragole - la molécule qui constitue plus de la moitié des huiles essentielles d'estragon ou de basilic - est cancérogène et tératogène, même à des doses très petites.
Plus généralement, la concentration de molécules augmente les risques de toxicité. Oui, l'usage des huiles essentielles est merveilleux en cuisine, mais il faut savoir utiliser ces produits. Et là, hélas, le goût n'est d'aucune utilité ; il vaut mieux se tourner vers les données établies par l'industrie de ce qui est fautivement nommé 'arôme' pour avoir des informations fiables. Plus précisément, il faut savoir que l'Europe a établi des listes pour accepter ou rejeter des produits gustativants, avec des conditions d'emploi. À nous de préparer de beaux extraits, qui feront le bonheur de nos convives sans les empoisonner... zzz22v

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L'Hôtellerie Restauration n° 3086 Hebdo 19 juin 2008 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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