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![]() du 6 mars 2008 |
PIONNIERS |
Le chef est l'une des figures les plus célèbres de l'art culinaire français. Discret, simple, attachant, il a fait, avec son frère Jean, du restaurant de Roanne l'une des adresses les plus célèbres du monde. Mais, derrière une modestie sincère se cache un savoir-faire exceptionnel.
Michel Kosossey
Pierre Troisgros ou la passion de l'innovation
![]() Pierre Troisgros, unanimement reconnu par ses pairs. |
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Pierre
avait 2 ans quand, en 1930, ses parents prennent la direction de l'hôtel situé
face à la gare de Roanne. Très vite, l'endroit attire une clientèle
locale et des représentants de commerce, qui apprécient la cuisine de
Madame Troisgros mère. Le père, Jean-Baptiste, a un goût très
sûr en matière de vins… achetés chez les meilleurs vignerons
de Bourgogne, d'où lui-même est originaire. Près de 130 clients
par jour se serrent alors dans le restaurant.
Pierre et Jean (son aîné de deux ans)
sont élevés par leur tante dans cette ambiance chaleureuse, que vient
troubler la guerre. Pendant cette période, Pierre préfère ramener
du beurre que des bonnes notes à la maison… C'est tout naturellement
qu'il se retrouve en cuisine dès le mois d'octobre 1945, pour donner un coup
de main. Pour Jean, son frère, déjà 'dans le circuit', et pour
Pierre, c'est alors le début d'un parcours qui les mènera au firmament.
Ce sont d'abord les années d'apprentissage pendant lesquelles Pierre aura travaillé
avec ceux qu'il considère comme les
trois
grands chefs de l'époque pour la cuisine traditionnelle : Richard chez Lucas
Carton, Imbert chez Maxim's, Fernand Point, à Vienne, chez qui il rencontre
Paul Bocuse.
Une progression fulgurante
Ayant appris son métier
avec les meilleurs, Pierre revient à Roanne, remplaçant, avec Jean,
à la demande de leur père, le chef de cuisine tombé malade. À
partir de 1953, l'Hôtel Moderne va donc devenir l'Hôtel-Restaurant des
frères Troisgros.
Après les années de
privation, les bons produits sont de retour. La carte propose alors des plats roboratifs.
La table d'hôte est le lieu idéal pour goûter le roast-beef haricots
verts ou le gigot avec son gratin. Les banquets offrent plus de fantaisie, avec
les vol-au-vent, la carpe à la Chambord ou le filet de boeuf en brioche. La
progression est fulgurante et, dès 1955, les frères obtiennent leur première
étoile au guide Michelin. C'est aussi en 1955 que Pierre épouse
Olympe, une charmante Italienne
rencontrée
à Paris, où elle faisait des extras chez Valentin. Progressivement,
les frères Troisgros, en partie encouragés par la clientèle, mais
aussi gâtés par un terroir regorgeant de beaux produits et surtout poussés
par leur talent et leur sens de l'évolution des goûts, vont faire de
leur maison une des grandes adresses de la gastronomie française. L'évolution
de la cuisine des Troisgros tient principalement dans les faits suivants :
- à partir du début des années
1960, ils parviennent à fidéliser la clientèle, plus exigeante,
plus connaisseuse, demandant plus de surprises, mais aussi plus de légèreté.
C'est ainsi que les légumes font leur entrée, alors qu'ils avaient été
rejetés pendant la guerre ;
- l'arrivée de recettes comme
le saumon à l'oseille coupé en filet, le navarin de homard avec des
petites carottes et des navets servis avec une sauce américaine rouge vif ;
- les cuissons millimétrées
comme le 'rose à l'arête' qui va anoblir les poissons de mer, mais
qui exigent une cuisson en deux temps ;
- l'évolution des sauces légères,
goûteuses, claires que l'on peut déguster à la cuillère plate
légèrement aiguisée sur le côté gauche ;
- l'élaboration de desserts avec
des fruits variés, préparés de différentes manières (cuits,
macérés, pochés, frais) en fonction des saisons, mais avec un coulis
de framboises servi systématiquement en salle avec de la crème fraîche.
Toutes ces innovations sont exacerbées par l'existence du guide GaultMillau
qui décerne le label de 'nouvelle cuisine' et qui fait des grands chefs
novateurs, tels Michel Guérard et les frères Troisgros, de véritables stars. Pierre n'aimait pas beaucoup ce
terme de nouvelle cuisine, qui semblait faire fi de tous ces grands chefs qui les
avaient précédés.
![]() La cuisine du restaurant Troisgros au moment de sa transformation. Ouverte, transparente, tout électrique… révolutionnaire. |
L'adoption de nouveaux matériels
Cette première étape
allait leur permettre de devenir, après Paul Bocuse et Paul Haeberlin, le troisième
3 étoiles du guide Michelin en 1968. Leur restaurant va ainsi devenir
l'une des adresses les plus recherchées du pays. Parmi les nouveautés,
il y a aussi la salade nouvelle, composée de foie gras sur un lit de pousses
d'épinards, la terrine de légumes Olympe, composée de légumes
cuits 'al dente', tenue par un ciment fait de viande de porc…, la sauce tomate
faite d'un coulis cru, assaisonné comme on le fait avec une vinaigrette, avec un peu de tomates
concentrées. Voilà une recette qui est devenue universelle.
Les frères introduisent dans la cuisine le
robot-coupe qui permet de gagner du temps sans changer la nature des produits. L'inoxydable,
que Pierre considère comme la plus belle invention après l'eau chaude,
permet de mieux gérer les cuissons, mais va chasser les traditionnels récipients
en cuivre qu'affectionnaient tant les chefs de cuisine. Ils font aussi construire
des chambres froides puis, en 1978, une cuisine de 180 m2 ouverte sur
le jardin. L'espace, sans colonne, sans mur permet une vision intégrale. Le
fourneau est au centre, et on trouve autour la pâtisserie, la plonge et le
garde-manger. La table chaude est immense permettant d'accueillir les assiettes
à la sortie. Cette cuisine moderne et hygiénique possède, de plus,
la climatisation, et un plafond de verre très éclairé. En 1982, les
frères adoptent le tout électrique, une décision courageuse alors
que la profession avait peur des grèves et des pannes. C'est aussi chez les
Troisgros que l'on a commencé le service à l'assiette de façon
progressive. Cette innovation s'est révélée économique, évitant
les découpages en salle, les saucières et affirmant définitivement
la supériorité de la cuisine sur la salle, au grand bénéfice
des clients.
![]() Événement rare, Michel reçoit la Légion d'honneur alors que Pierre devient officier le même jour. Toute la famille est réunie à l'Hôtel Matignon. |
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Une expérience asiatique très marquante
Pierre, qui avait laissé
un très bon souvenir chez Maxim's où il avait été chef saucier,
se voit offrir l'ouverture du Maxim's de Tokyo en 1967. Cette expérience dure un an et sera suivie,
en 1978, d'un voyage en Chine. Une vraie révélation : Pierre découvre
le wok, les préparations spontanées, les décorations magnifiques
réalisées dans les fruits ou les légumes. Ces influences ouvrent
la voie aux produits crus, comme le saumon macéré dans un filet de citron,
et ont aussi habitué le public à consommer de petites quantités
et à visiter plusieurs créations au cours du même repas. Elles
ont également permis d'adopter les cuissons vapeur, aujourd'hui largement répandues,
notamment pour les poissons et les crustacés. Michel Troisgros, un des fils
de Pierre, a beaucoup travaillé sur ces influences asiatiques pour produire
aujourd'hui une carte originale. Il a ouvert un restaurant Troisgros à Tokyo,
qui a obtenu 2 étoiles Michelin en 2007.
Une dynastie
L'une des grandes innovations
du restaurant Troisgros : le 'tour de salle' pour être plus près du client,
recueillir à chaud ses sensations, et faire sortir le cuisinier de sa cuisine
enfumée. Cette habitude, adoptée par Jean-Baptiste, de venir en salle
en tenue immaculée a habitué les frères à parler d'autre chose
que de leur cuisine et à développer une vraie relation avec leur clientèle.
Malgré la disparition de Jean en 1983, c'est avec une grande satisfaction que
Pierre voit son fils Michel le rejoindre définitivement pour porter haut les
couleurs de la maison dès 1984. À peine initiée par son père
Jean-Baptiste, Pierre peut voir la famille Troisgros devenir une véritable
dynastie. En 2007, le guide Zagat, réalisé à partir des
notations des clients, a proclamé leur établissement meilleur restaurant
du monde. De nombreux grands noms de la cuisine y sont passés avant d'être
eux-mêmes célèbres : Guy Savoy, Bernard Loiseau, Marc Haeberlin,
Jean-Michel Lorain, Jean Passédat… Son fils Claude réussit magnifiquement
au Brésil, où il est devenu la référence de l'art culinaire,
et Michel fait un parcours formidable à Roanne où sa cuisine, pourtant
bien enracinée dans son terroir, porte les traces de plus en plus visibles
de l'Asie qu'il adore, creusant le sillon laissé par son père. Quant à
Anne-Marie, la petite dernière, épouse d'Yves Gravelier, elle tient avec
son mari cuisinier un restaurant éponyme à Bordeaux, depuis 1993.
La place des frères Troisgros
est à l'égal des plus grands qui ont marqué leur époque, innové,
osé, ouvert de nouvelles voies, sans préjugés. Leur place est au
plus haut de la hiérarchie gastronomique et, aujourd'hui, Pierre Troisgros
est unanimement reconnu par ses pairs, ce qui n'est pas rien dans ce monde de stars
qu'il a côtoyé avec simplicité et naturel.
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Complément d'article 3071mp32
Pierre Troisgros en date
Né de Jean-Baptiste et Marie Troisgros le 3
septembre 1928 à Châlon-sur-Saône.
Président du Conseil de surveillance de la Maison Troisgros à Roanne.
Distinctions :
Mérite Agricole
- 1969 Chevalier dans l’ordre du Mérite National
- 1985 Officier des Arts et des Lettres
- 1985 Roi Chambertin
- 1987 Chevalier de la Légion d’Honneur
- 1988 Membre Honoris Causa des Meilleurs ouvriers de France
- 2005 Officier dans l’ordre de la Légion d’honneur
Situation de famille :
Marié à Olympe Forté en 1955, père de 3 enfants :
• Claude, né en 1956, élève de l’école hôtelière de Thonon. Marié à Marlène ; 2
enfants, Thomas et Caroline. Après le restaurant Claude Troisgros, et le Chief’s
Bistro, à Rio de Janeiro, puis Le Roanne à Sao Paulo, il à ouvert le CT à New
York en mars 1994.
• Michel, né en 1958, marié à Marie-Pierre, tous deux élèves de l’école
hôtelière de Grenoble, 3 enfants, Marion, César et Léo. De retour à Roanne
depuis 1984, ils dirigent la Maison Troisgros, et le café-épicerie Le Central.
• Anne-Marie, née en 1964, élève de l’école Hôtelière de Lausanne. Mariée à Yves
Gravelier, cuisinier ; ils ont deux enfants, et ont ouvert leur restaurant
"Gravelier" à Bordeaux en 1993.
Parcours professionnel
• Études secondaires à Roanne
• 1946 : Apprentissage en cuisine à Roanne, et à l’Hotel du Golf à Étretat
• 1947 : Commis au restaurant Armenonville à Paris
• 1947/48 Commis à l’Hotel d’Angleterre à Saint-Jean-de-Luz
• 1948 Service militaire en, brigadier au 62e régiment d’artillerie d’Afrique à
Tunis
• 1950 Chef de partie au restaurant Lucas Carton à Paris
• 1951 Garde-manger au restaurant Le Cabaret à Paris
• 1952 Garde-manger au restaurant Point à Vienne
• 1955 Passage comme chef saucier au restaurant Maxim’s
• 1953 Retour dans l’affaire familiale en association avec son frère Jean
• 1967 Ouverture du Maxim’s de Tokyo en qualité de chef de cuisine
• 3 Etoiles au guide Michelin depuis 1968
Activités
• Administrateur des Relais et Châteaux pendant vingt ans
• Fondateur des Relais Gourmands
• Membre de Traditions et Qualité
• Membre d’honneur de l’Association des Maîtres Cuisiniers de France
• Président de la Chambre Syndicale de la Haute Cuisine Française, de février
1992 à juin 1994.
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L'Hôtellerie Restauration n° 3071 Hebdo 6 mars 2008 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE
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