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du 7 juin 2007
GASTRONOMIE MOLÉCULAIRE

Au fil des mois, Hervé This, créateur de la gastronomie moléculaire, auteur du Sujet Interactif 'La gastronomie moléculaire' sur larestauration.fr vous fera partager sa passion de la science et de la cuisine. Sur un thème donné, il vous invitera à découvrir ses réflexions et les expériences qu'il a réalisées dans son laboratoire, au Collège de France, ou qui ont été réalisées lors d'ateliers de gastronomie moléculaire. Ce mois-ci, il vous confie tous ses secrets pour réussir vos grillades.

Vous n'aimez pas les hydrocarbures aromatiques polycycliques ?

Ne grillez pas la viande, cuisez-la aux infrarouges

"On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur", a écrit Brillat-Savarin. Sous le coup de cette condamnation, bien des cuisiniers hésitent à rôtir, croyant que, s'ils n'ont pas le 'don', ils ne produiront que de lamentables grillades. Voire…
H
ervé This


La grillade : un plaisir qui ne doit pas nuire à notre santé.

Oui, je révère Brillat-Savarin, pour ce qu'il a fait de bien : une oeuvre de littérature, un chef-d'oeuvre de la gastronomie. Pas pour ses idées culinaires, car il n'était pas cuisinier. Ni pour ses idées scientifiques… parce que, en dépit du titre de son livre célèbre dans le monde entier (La Physiologie du goût), il n'était pas scientifique ! Brillat-Savarin était merveilleux, mais n'oublions pas que la littérature, ce sont des histoires que l'on raconte. Croyons-nous vraiment que le Petit Poucet a existé ? Non, bien sûr, alors pourquoi croire que l'on devienne cuisinier mais que l'on naisse rôtisseur ? Aucune raison, résistons !
On peut rôtir mille ingrédients : aussi bien les viandes que les poissons, les légumes, les fruits. Tout ce qui se tient ou tout ce qui est tenu : les oeufs sur le plat posent un problème… qui est résolu quand on met les oeufs dans le feu ou à proximité, sans les sortir de leur coquille. Pour les besoins de la discussion, toutefois, limitons-nous à la viande, qui pose de merveilleuses questions techniques.


Autrefois, certains rôtisseurs utilisaient des demi-cylindres métalliques appelés coquilles qui accéléraient la cuisson en réfléchissant les rayons infrarouges derrière la viande.

Rôtir au-dessus du feu
Une pratique dangereuse et malsaine
Décidons d'abord d'abandonner la terminologie 'barbecue', qui n'est pas nécessaire en français et qui, de surcroît, pousse à imaginer que l'on utilise les engins minables qui nous sont trop souvent proposés dans les magasins.
Minables ? Oui, minables techniquement, et également dangereux. Laissez-moi vous raconter, tout d'abord, ce qui se passe quand on fait des brochettes au barbecue : vous entendrez les accents de la vérité. Faisons un feu, avec un peu de papier et du petit bois, puis ajoutons du charbon de bois, comme cela est fait tous les dimanches des beaux jours, dans les jardins. On estime qu'il faut attendre que les flammes cessent de s'élever pour poser la grille, puis la viande. Hélas, dès que la viande est posée sur la grille, ses graisses fondent et ses jus sortent. Pour les viandes maigres, les jus tombent sur les braises et les éteignent, de sorte que le 'rôtisseur' doit prendre son soufflet… et que des flammes naissent à nouveau, léchant la viande et la noircissant ! Si la viande est grasse, c'est encore pire : les graisses qui fondent coulent sur les braises et s'enflamment ! Cette fois, pas besoin du soufflet ; il faut surtout éteindre les flammes, sans quoi le même noircissement est obtenu. Bref, la pratique est mauvaise dans les deux cas.
Elle est malsaine, en outre : il a été mesuré que des saucisses de Toulouse posées sur la grille d'un barbecue, même bien conduit, se chargent de molécules très cancérigènes, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP, en anglais PAH) ! Autrement dit, alors que nous faisons des guerres civiles pour lutter contre une certaine industrie alimentaire qui nous empoisonnerait, contre les additifs, les arômes, les OGM…, nous avalons sans vergogne des molécules dont la capacité à produire des cancers est absolument indubitable ! Pourquoi tant d'illogisme ?
L'expérience qui consiste pourtant à élever la grille de quelques centimètres au-dessus du feu réduit considérablement la charge en telles molécules. Faut-il alors recommander de surélever toutes les grilles de barbecues ?

La viande est formée de fibres et faisceaux de fibres maintenus par du collagène qui 'se défait' à partir de 55 °C. À gauche, coupe microscopique de viande crue. À droite, coupe microscopique de viande cuite qui montre la transformation du collagène après cuisson.

Rôtir devant le feu
La bonne pratique
Non, il y a bien mieux : naguère, quand le feu était plus répandu qu'aujourd'hui, il n'était pas question de mettre la viande au-dessus du feu ; on la mettait devant ! Oui, devant, ce qui réduit à zéro le taux d'hydrocarbures aromatiques polycycliques ! Et les avantages sont nombreux. D'une part, puisque les jus et graisses ne tombent pas dans le feu, aucune flamme ne peut venir lécher la viande, la charbonner. D'autre part, puisque la viande n'est pas au-dessus du feu, on peut parfaitement mettre dessous une lèchefrite, qui recueillera les jus et graisses (les graisses vous gênent ? Dégraissez avec une lèchefrite dégraisseuse, analogue aux saucières dégraisseuses).
Car mettre la viande au-dessus du feu ou devant celui-ci ne change pas la cuisson : les rayonnements infrarouges émis par le feu se propagent dans toutes les directions. Rayonnements infrarouges ? Ce sont des rayonnements invisibles que vous percevrez si vous approchez une main très près d'une de vos joues, sans la toucher, toutefois : vous sentirez de la chaleur émise par la paume de la main, et cette 'chaleur' est due aux rayonnements infrarouges émis par tout corps chaud, notamment, ici, votre main. Un feu étant un objet chaud, il émet des rayonnements infrarouges, à la façon d'une ampoule qui émet de la lumière : dans toutes les directions.
La comparaison avec l'ampoule est évidemment intentionnelle, parce qu'elle conduit à souligner que des miroirs bien placés réfléchissent la lumière. Or les rayonnements infrarouges se comportent comme la lumière. Si l'on met derrière la viande un 'miroir', les rayonnements infrarouges seront réfléchis vers la viande. Et voilà pourquoi certains rôtisseurs de naguère étaient malins : ils utilisaient des demi-cylindres métalliques, nommés coquilles, qui accéléraient la cuisson. Il ne s'agissait pas d'enfermer la viande dans une enceinte pour la chauffer, comme on l'a parfois écrit, mais seulement de concentrer vers la viande les rayonnements infrarouges qui sont émis par le feu et qui cuisent la viande.


Pour réaliser de bonnes grillades sans danger, utilisez un gril vertical. Ici, le gril vertical Biogrill Omedec - Tél. : 03 81 86 66 55

Près, puis loin du feu
Pour une viande tendre et juteuse
Après avoir compris l'intérêt de faire rôtir la viande devant le feu et non sur le feu, il faut à présent savoir s'il faut placer la viande près ou loin du feu et pourquoi. Plus précisément, faut-il la mettre d'abord un peu loin du feu, puis la rapprocher, comme cela a été écrit ? Ou bien la mettre tout près du feu et l'éloigner ensuite, comme cela a été écrit aussi ?
On sait que, si la viande est trop loin du feu, elle ne cuira pas, mais séchera. Trop près, elle brunit et carbonise. Alors ? Certains partisans de la viande placée d'abord tout près ont dit que la viande serait 'cautérisée', de sorte qu'une croûte imperméable empêcherait le jus de sortir. Cela n'est pas vrai ! D'ailleurs, s'il est exact que les steaks doivent être saisis très vigoureusement, ce n'est pas parce que le saisissement fait une croûte imperméable. La preuve ? Le steak qui grille est surmonté par un nuage de fumée blanche… qui est de l'eau évaporée lors de la cuisson. Et puis, quand le steak est ensuite posé sur une assiette, on voit du jus sous la viande, ce qui prouve bien que la croûte (qui existe vraiment) n'est pas imperméable. Cet exemple du steak montre que le monde culinaire a sélectionné une bonne pratique (oui, il faut saisir les steaks), mais donné une mauvaise explication. C'est cela que je propose notamment de rénover dans l'enseignement donné aux jeunes cuisiniers.
Raisonnons plutôt. Tenons compte du fait que la viande à griller, contrairement à la viande à braiser, contient peu de tissu collagénique, un tissu dur qui ne peut se défaire qu'au cours d'une cuisson longue et à au moins 55 °C à coeur. Pauvre en tissu collagénique, donc tendre, la viande à griller nécessite seulement d'être chauffée vigoureusement en surface, jusqu'à ce qu'une belle couleur brune soit atteinte : c'est la preuve que la surface a du goût… d'où la proposition, pour l'enseignement, de distinguer d'abord les modes de cuisson, qui s'accompagnent d'un brunissement, de ceux qui ne font aucun brunissement. La grillade, dans ce cas, doit se faire à feu vif, non pour faire une croûte imperméable, mais surtout parce qu'il faut réduire le temps de cuisson au maximum, sans quoi la contraction de la viande (c'est le tissu collagénique qui rétrécit) chasse les jus qui s'évaporent, et la viande devient trop dure, sèche, et perd sa jutosité. n zzz22v

LES POINTS-CLÉS D'UN BON RÔTISSAGE

Voici donc en résumé les points-clés pour réaliser de bonnes grillades :
Utiliser un appareil qui permette de chauffer la viande sur le côté ; il existe ainsi des 'barbecues verticaux' ; préférons-les !
Bien distinguer les viandes à griller, qui doivent être saisies, et les viandes à braiser, qui doivent être cuites très différemment.
Dans tous les cas, commencer par mettre la viande près du feu, afin de tuer tous les micro-organismes en surface.
Pour les viandes à braiser ou de cuisson longue, reculer considérablement la viande, afin qu'elle ne soit qu'à une température de 60 °C environ (pour des raisons microbiologiques, 65 °C serait plus prudent).
Après une très longue cuisson de la sorte (pensons aux pratiques d'Amérique du Sud, où la viande cuit de longues heures), éventuellement en arrosant régulièrement la surface, il suffit d'approcher très près pour faire une partie croûtée, si elle manque.

Et la viande sera tendre, fondante, juteuse, puisque son tissu collagénique aura 'fondu', et que la couleur brune de la surface sera garante d'un goût puissant.
Et cela n'est qu'une des façons rationnelles de procéder. Qui a dit que l'on ne pouvait pas devenir rôtisseur ?

Complément d'article 3032mp54

Moins de collagène, plus de tendreté
Les bonnes pratiques du rôtissage dépendent d'un des éléments qui composent la viande : le tissu collagénique, et de sa réaction à la chaleur.
Pensons tout d'abord que la viande à griller est coûteuse, parce que, dans le boeuf, elle n'est qu'une petite proportion de l'animal ; la majeure partie, c'est de la viande à braiser. Viande à griller ? Á braiser ? De quoi s'agit-il ?
On gagne, je crois, à considérer que la viande est comme un faisceau de tuyaux parallèles et jointifs (pensons à des spaghettis creux), emplis d'une matière qui ressemble au blanc d'oeuf, puisqu'elle est composée de protéines et d'eau. Ces tuyaux sont nommés des fibres musculaires. Leur enveloppe n'est pas un mélange d'amidon et d'eau, comme pour les spaghettis, mais elle est notamment faite d'un 'tissu' composé d'une protéine, nommée le collagène. On connaît bien ce dernier, puisqu'il fait la gélatine ! Dans la viande, chaque fibre est ainsi entourée de tissu collagénique, et les fibres sont reliées entre elles en faisceaux par du tissu collagénique… et les faisceaux de fibres sont eux-mêmes reliés entre eux par du tissu collagénique, etc. La viande, ainsi composée, se tient bien, et elle peut exercer des contractions (n'oublions pas que la viande, c'est du muscle) puissantes, parce que le tissu collagénique est dur. Et, une viande qui a beaucoup de tissu collagénique est dure, bonne à braiser, alors qu' une viande qui a peu de tissu collagénique est tendre, bonne à griller.
Que faire de ces idées, quand on veut devenir rôtisseur ?
- Pour les viandes à griller : il faut éviter la contraction du tissu collagénique qui chasse les jus des viandes qui s'évaporent et rendent la viande dure et sèche, sans jutosité. Pour c1ela, il faut réduire le temps de cuisson au maximum.
- Pour les viandes à braiser, morceaux riches en tissu collagénique donc durs, il faut les attendrir. Et là, il suffit de savoir que le collagène se 'défait' à partir de 55 degrés. C'est cela, la cuisson 'basse température' si à la mode aujourd'hui.

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L'Hôtellerie Restauration n° 3032 Magazine 7 juin 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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