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du 26 octobre 2006

BIEN PLUS QU'UNE MISE EN FORME GÉOMÉTRIQUE

LE DESIGN CULINAIRE S'INSPIRE DE TOUTES LES FORMES D'ART

Le design est à la mode : on en parle… sans très bien savoir ce dont il s'agit. Art appliqué ? Mode ? Remise en 'formes' de mets classiques ? De même que les mots, pour être de bons outils de communication qui ne souffrent pas des interprétations personnelles, le design est ce qu'il est, et non pas ce que chacun d'entre nous voudrait qu'il soit.
Par Hervé This


Le dernier ouvrage d'Hervé This et Pierre Gagnaire traite de l'esthétique et de la création culinaires.

Pour des raisons historiques (en gros, le design est né avec la Révolution industrielle), le design est une application de l'art à la réalisation d'objets en série. Ce n'est donc pas de l'art appliqué… parce que la dénomination est fautive : soit il s'agit d'art, soit il s'agit d'application, mais si c'est de l'art, ce n'est pas appliqué, et si c'est appliqué, ce n'est pas de l'art. Donc le design n'est pas de l'art appliqué : nous sommes débarrassés de cette hypothèse.
Une application de l'art ? Certainement, mais la question est : de quel art ? Pour beaucoup, qui ne pensent pas la cuisine plus loin que leurs yeux, il s'agit de donner des formes nouvelles à des mets classiques : on ferait des pot-au-feu cubiques, des paris-brests en losange, etc. Courte vue, parce que ceux-là oublient que l'art culinaire, s'il intègre le plaisir des yeux, vise surtout le plaisir du goût ! En outre, comme la forme géométrique a une influence sur le goût (par exemple, une gelée d'agrumes sur un médaillon de saumon fumé laisse en bouche un goût de poisson, alors que le médaillon posé sur la gelée laisse un goût d'agrumes frais), une simple remise en forme géométrique est tout à fait insensée ! Soit la tradition a sélectionné une forme qui convient bien au goût du mets, et la prétendue remise en forme est… une forme de sabotage idiot, soit ce travail de modelage n'a pas été fait, et la remise en forme ne peut se faire pour la forme géométrique, mais en relation absolument intime avec le travail du goût.

Prioritaires, les formes gustatives
Et l'artiste plasticien, dans cette affaire ? Il n'est pas à sa place, sauf à faire des propositions qui doivent passer au crible du travail du cuisinier. Et puis, faut-il d'abord un artiste plasticien, ou bien d'abord un artiste culinaire ? Quand le design est né, il y avait des plasticiens et des architectes qui s'intéressaient à la forme des objets domestiques, par exemple… avec des dérives comme en cuisine : faire une chaise très belle à voir mais où l'on est mal assis, c'est une faute ! Tout comme faire une remise en forme où un goût désagréable apparaît. Et puis, ne devrait-on pas plutôt penser que c'est l'artiste culinaire qui devrait 'designer' des mets en appliquant des idées gustatives à la 'remise en forme gustative' des mets ?
Là, il faut prendre un temps d'arrêt pour parler de 'formes'. Pour le plasticien, le sculpteur, le peintre, la forme est la forme géométrique. Toutefois, le musicien se moque complètement de cette forme, dans son art : la 'forme musicale', c'est la mélodie. Par exemple, quand on chantonne Au clair de la lune, même sans les paroles, les Français reconnaissent la 'forme musicale' qu'est la mélodie de Au clair de la lune. Il y a donc des formes musicales, en plus des formes géométriques, mais aussi des 'formes odorantes', quand des associations de molécules font sentir une odeur que l'on reconnaît (la fraise, la tomate, Chanel N° 5…), des 'formes mathématiques' (si A implique B et B implique C, alors A implique C)…, des formes gustatives. Oui, des formes gustatives, et c'est cela qui compte, d'abord.
Je combats cette cuisine qui se focalise sur l'aspect visuel, au détriment de l'aspect gustatif : que nous importent les oeuvres en sucre filé ou en glace royale si elles ne se mangent même pas ! Et puis, comparons ces oeuvres, qui sont en réalité des sculptures, aux sculptures des sculpteurs : Rodin, Georges Jeanclos, Michel-Ange… Évidemment, cela ne gâche rien si les oeuvres culinaires sont belles, mais à quoi bon des oeuvres en sucre qui prennent la poussière ? 

Pour les artisans, le design culinaire
Revenons au design. Dans le fond, il existe depuis longtemps, quand des Joël Robuchon, Michel Guérard, Bernard Loiseau travaillent avec des industries alimentaires pour préparer des soupes, des gâteaux, des poissons en sauce. C'est d'abord cela, le design culinaire…
… Ce qui n'exclut pas des collaborations avec des plasticiens, ou d'autres artistes. On conçoit bien que des spécialistes des formes géométriques puissent donner des idées intéressantes à des cuisiniers. D'ailleurs, on conçoit bien, aussi, que des musiciens puissent donner des idées intéressantes aux cuisiniers : le croustillant, certains bruits d'enfoncement mou, ne sont-ils pas importants pour le plaisir de la dégustation ? Mon ami Heston Blumenthal a ainsi joué avec des sons lors de dégustations. Et, puisque nous y sommes, pourquoi nous arrêter aux arts plastiques ou musicaux : la littérature, la danse… tous les arts peuvent contribuer au 'design culinaire'.
D'ailleurs, design culinaire ou design alimentaire ? Puisque les mots diffèrent, c'est que les idées désignées diffèrent. À vrai dire, les deux expressions sont fautives, en français, pour la même raison que 'cortège présidentiel' est fautif : le cortège n'est pas le président lui-même, il ne fait qu'accompagner le président. De même, le design, s'il n'est pas de la cuisine, n'est pas culinaire. Autrement dit, le design culinaire n'est que le design effectué par des cuisiniers, alors que le design alimentaire est beaucoup plus vaste. Du design culinaire en cuisine ? Pourquoi pas, donc, mais il faut une dernière précision, qui tient au fait qu'il existe deux sortes de cuisiniers : des artisans, d'une part, et des artistes, d'autre part. Comme dans d'autres activités, telle la peinture : il y a des graphistes, des maquettistes, etc., qui exercent une activité artisanale, d'exécution, et des artistes peintres, par exemple, qui créent des oeuvres. Alors, le design culinaire pour l'artisanat ? Certainement. Pour les artistes ?
Un artiste culinaire n'est pas un artiste s'il a besoin d'un plasticien pour ses créations. Non pas que nous ne puissions nous enrichir mutuellement de nos compétences, enthousiasmes, envies. L'art, expression personnelle, peut faire 'feu de tout bois'. D'ailleurs, mon ami Pierre Gagnaire, que je dis être un artiste culinaire, se passionne pour la peinture, la sculpture, la musique (surtout de jazz, mais pas exclusivement), et aussi la science, la philosophie… Tout est prétexte à création, mais la cuisine qu'il sécrète est sienne, expression personnelle d'un sentiment qui veut partager le 'beau à manger', c'est-à-dire le bon, comme s'intitulait, une semaine encore avant sa parution, notre livre intitulé La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique. zzz22v

Biennale internationale design 2006 à Saint-Étienne, Exposition 'Gooood Food' : de nouvelles tendances culinaires

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