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du 21 septembre 2006
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RENDEZ-VOUS RUE DE CHAILLOT, À PARIS

Entretien croisé sur le métier de traiteur entre André Daguin et le chef de Potel et Chabot, Jean-Pierre Biffi

C'est dans les cuisines de Potel et Chabot que le président de l'Umih, André Daguin, a retrouvé Jean-Pierre Biffi. Un gamin d'Auch, aujourd'hui à la tête des fourneaux du traiteur international. Au gré de la discussion, la force du partage…
Propos recueillis par Sy. S.

Jean-Pierre Biffi : C'est vraiment pour moi un grand plaisir de t'accueillir. Je me souviens très bien du jour où je voulais devenir cuisinier et où ma maman m'a emmené voir Monsieur Daguin qui faisait du foie gras aux langoustines. C'était il y a 35 ans. Tu m'as donné la chance de voir ce qu'étaient la restauration et l'hôtellerie.

André Daguin : Oui, je me souviens aussi. Tu étais devant la porte, tout gamin et tu regardais…

J.-P. B. : Mes parents étaient très modestes et le restaurant, c'était un ami de la famille qui avait invité mes soeurs à manger. J'avais 8 ans à l'époque et je les vois encore me raconter qu'elles avaient mangé des truites aux amandes. C'était quelque chose d'extraordinaire. Comment pouvait-on manger des truites aux amandes ?

A. D. : Après Auch, t'es parti où ?

J.-P. B. : J'ai été chez Borel. Jean-Paul Bonin s'occupait de l'ouverture des gastros de Borel sur l'autoroute. Je sortais de l'école hôtelière, et c'était le restaurant du coin où l'on cuisinait de la poularde de Bresse aux écrevisses, de la bonne terrine faite à la maison, des grenouilles qu'on recevait vivantes. Ce n'est pas du tout l'image qu'on a généralement de Jacques Borel.

A. D. : Borel a été un restaurateur étoilé. Il a laissé tomber parce qu'il n'y avait pas la rentabilité derrière. Il a eu 2 établissements étoilés le long des autoroutes. Ce type me passionne.

J.-P. B. : Ça a été le début de mon histoire. À partir aussi d'un chef, Jean-Paul Bonin, qui vous renvoie à un autre chef, qui renvoie à un autre chef. C'est une caractéristique du métier, un état d'esprit, proche du compagnonnage et qui permet d'apprendre et de trouver sa voie. Je compare ça aux oiseaux. Au bout d'un moment, ils doivent partir. Ils ne savent pas pourquoi, mais la nature les pousse à partir. Nous, on savait qu'au bout d'un an, le chef nous dirait, allez, toi, petit, va voir untel… J'ai vraiment vécu une entraide forte de la profession et ça, il faut qu'on le perpétue. Quand Jean-Paul Bonin a repris Le Bristol et qu'il m'a appelé, j'étais dans le Mâconnais avec mon épouse qui travaillait dans une banque. J'étais heureux de le retrouver, mais il y avait le problème de ma femme. Jean-Paul Bonin s'est débrouillé pour qu'elle trouve aussi un travail à Paris. Si je dois résumer, c'est : je te protège, je t'aide et je te construis. Ce sont des notions auxquelles il faut rendre hommage.

A. D. : Toi qui a eu les deux parcours, cuisines traditionnelles et traiteur, qu'est-ce qui les différencie ? Et qu'est-ce que tu aimes dans l'aspect traiteur ?

J.-P. B. : Le traiteur, ce n'est plus le même rythme et c'est aussi surtout une autre manière d'envisager la cuisine. Je retrouve mon Sud, les grandes tables de mon enfance, les grands poissons de ma grand-mère, les galantines… C'est faire un bar en croûte et le lendemain un plat ultra-contemporain. Moi, ici, je suis super bien dans ma peau de cuisinier parce qu'on fait de la cuisine moderne et traditionnelle. Et qu'on s'occupe d'un truc passionnant, comment s'interroger sur la manière dont on va servir ces plats. Les moeurs de la table... Comment mange-t-on quand on est assis et quand on est debout ? Comment mange-t-on quand on reçoit des amis ? Et pourquoi va-t-on recevoir ceux-là d'une manière et d'autres différemment ? Toute une réflexion doit alors se mettre en place.

A. D. : On est dans le partage et le groupe. On peut se poser la question de la pizza à emporter qui a fait un succès dans le monde et pourquoi le hamburger individuel est rarement emmené chez soi. Il y a une espèce de liturgie devant l'autel profane de la télé : on partage la pizza à plusieurs. Ça va au-delà de l'appétit.

J.-P. B. : Quand on revient à la cuisine nouvelle, on a surtout rompu avec le plat. On a fait chacun son assiette. Ça a permis d'autres choses. On a fait devenir le chef artiste, créatif, dessinant l'assiette, etc. Mais il y a eu rupture. Dans mon métier de traiteur, je défends le plat. Celui qui se partage. Ma bagarre, c'est le plat.

A. D. : Être autour de quelque chose permet le dialogue.

J.-P. B. : C'est quoi un banquet ? 10 personnes autour d'une table qui ne se connaissent pas. Ce sont des forces de vente, des invités, des gens différents qu'on veut réunir pour un événement. Il doit naître une rencontre, et la manière de servir ces gens, de leur faire partager le repas devient essentiel. Cela va créer des échanges, une discussion… Mon métier de cuisinier va au-delà. Savoir faire une bisque, c'est la base. Chaud et bon, c'est normal. Quand on ajoute le principe de traiteur, on doit se mettre à la place des maîtres d'hôtel à l'ancienne, qui organisaient la table, le buffet, la manière de placer les gens. Nous, on est obligé d'organiser et de normer tout ce qu'il y a autour du plat.

A. D. : Il y a eu des grandes marches d'escalier dans la cuisine. Ce sont les Russes de 1814 qui ont apporté un énorme changement dans nos habitudes. Avant, on mettait le couvert et on mettait tous les plats en même temps sur la table. D'où l'expression d'ailleurs de mettre le couvert. C'est pour ça que le protocole était essentiel, car si tu étais près du foie gras, tu mangeais du foie gras. Et si tu étais loin, tu mangeais autre chose. Tout à coup les Russes ont dit non, on va servir les mêmes choses aux mêmes gens, en même temps… Le traiteur, c'est le gars qui met plein de gens devant la même chose. L'inverse de cette espèce d'onanisme gastronomique américain qui consiste à bouffer ce qu'on veut, comme on veut et tout seul. Pour moi, la cuisine, quand on parle restaurateur ou traiteur, ça ne vaut que s'il y a partage.

J.-P. B : Il faut d'ailleurs se méfier des cocktails qui n'ont ni queue ni tête en matière de goûts... Qu'est-ce qu'un cocktail, c'est un moment désormais d'échanges rapides, de business… Rien n'empêche de proposer sur 10 buffets une petite soupe de homard, des jarrets de veau... Je reviens à la notion de partage qui demeure essentielle mais qui doit être plus brève dans son approche. Il suffit que le maître d'hôtel fasse une belle entrée avec les jarrets de veau pour créer l'animation. Il y a valorisation du plat et de la cuisine…

A. D. : On touche là une évolution importante. Pas de la nourriture, qui ne veut rien dire en fait. Mais de la façon de faire se retrouver les gens sous prétexte de se nourrir.

Repère

Jean-Pierre Biffi est né à Auch en 1956. Après avoir fait de nombreuses années dans les cuisines du Bristol à Paris et 10 ans au Crillon, il est entré il y a 17 ans dans le métier de traiteur. Il est actuellement chef des cuisines du traiteur international Potel et Chabot. Il s'occupe également activement de l'association Nez Rouge, qui se bat pour le traitement des maladies orphelines. Il est aussi président du bureau Île-de-France de l'Ordre international des disciples d'Auguste Escoffier.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2995 Hebdo 21 septembre 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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