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du 20 juillet 2006
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LES RENDEZ-VOUS DU SENS

Entretien croisé entre André Daguin et la journaliste des 4 Vérités, Françoise Laborde

À plusieurs reprises, Françoise Laborde a reçu le président de l'Umih sur les plateaux de France 2. Cette fois, c'est André Daguin qui l'accueille. Au coeur de la discussion ? Les jeunes, les gens, les politiques…
Propos recueillis par Sylvie Soubes


André Daguin et Françoise Laborde se sont entretenus au restaurant de Jacques Pourcel, Le Sens, à Paris.

André Daguin : Ce qui m'inquiète, ce sont ces gamins qui révisent pour avoir un emploi définitif jusqu'à la retraite. Ces jeunes, ils veulent quoi ? Être retraités de carrière ?

Françoise Laborde : Je crois que leur réaction dénote une certaine lassitude, un manque de confiance dans l'avenir. Quand j'ai démarré ma vie professionnelle, l'idée de travailler pendant plus de 2 ans pour le même patron, ça me semblait un truc épouvantable, une abomination. Au contraire, je voulais bouger. Maintenant, ils sont tellement stressés de ne pas pouvoir bouger… Il est vrai que le marché du travail est bouché.

A. D. : Dans le Gers, je reçois plein de jeunes qui cherchent un boulot et qui n'en trouvent pas. Je leur demande ce qu'ils savent faire, et assez souvent j'ai bien une idée pour eux. Seulement, le poste est à Montpellier, à Lille ou ailleurs. Et là, ils me répondent : Ah non, je veux rester dans le Gers, car il y a ma copine… C'est un peu dommage.

F. L. : Il y a un manque de mobilité d'un côté et une réglementation trop compliquée de l'autre. Mais au fond, on est un peu injuste avec notre jeunesse qui n'a pas plus envie de mobilité que notre classe politique… Les politiques demandent aux Français et aux jeunes plus d'efforts qu'ils n'en font eux-mêmes. Ils ne prennent pas de risque. Je ne sais pas, peut-être faudrait-il qu'ils fassent des stages d'insertion dans les entreprises.

A. D. : Il y a 20 ou 25 ans, mon copain, l'ancien maire d'Auch, avait accueilli le président du conseil général 15 jours dans son entreprise. Ça c'était intéressant, parce qu'il a vu comment ça fonctionnait, quels étaient les soucis.

F. L. : Il faut avoir des élus qui se décarcassent, et c'est ça qui fait la différence à long terme. C'est vrai que ça fait partie du jeu. Il faut donner des impulsions. On manque d'entrain.

A. D. : Paradoxalement, en France, nous avons un Code du travail extrêmement protecteur, et on a le taux de chômage des jeunes parmi les plus importants d'Europe. On empile des réglementations impossibles, et on n'arrive pas à se sortir de ça.

F. L. : Mon père et mon grand-père sont gersois. Dans mon village, il y a un jeune chef formidable. Il possède l'auberge qui donne sur la route, mais il n'a pas de terrasse. À côté du restaurant, il y a une espèce de garage, très vilain, dont les propriétaires se servent une fois par an, quand ils viennent en vacances. Je suis allée voir le maire parce que personne ne vient manger dans le Gers s'il n'y a pas la possibilité de manger dehors. Je ne sais pas, je pensais qu'il pouvait proposer une transaction, aider le restaurateur à louer l'espace. Eh bien, il a estimé que ce n'était pas à lui d'aller voir ces personnes. Pourtant, si l'auberge ferme, le village est mort. Je pense que le maire ici a une influence morale, qu'il doit faire valoir.

A. D. : Un maire de petit village qui s'en tient à son budget, il n'est rien. S'il s'en tient à son autorité, il est beaucoup. Quelque part, l'image de la restauration est en cause.

F. L. : Je ne suis pas sûre qu'il y ait une image de la restauration en France. Je crois qu'il y a plusieurs images. L'image de la restauration traditionnelle est assez bonne et même très bonne à l'étranger.

A. D. : La cuisine doit s'adapter au mode de vie des gens. Elle doit par exemple être moins grasse. Avant, tu repartais à cheval maintenant tu prends ta voiture. On n'a plus les mêmes besoins.

F. L. : Ça je trouve que c'est plutôt bien. Je ne suis toutefois pas sûr que le grand public soit conscient des difficultés propres à votre secteur.

A. D. : J'ai des gens qui viennent me voir et qui me disent qu'ils veulent ouvrir un restaurant. Je leur réponds que le plus dur, c'est pas d'ouvrir un restaurant, c'est d'empêcher qu'il ferme après.

F. L. : Je suis allée récemment à Venise, en Italie, et j'ai été frappée par la qualité de l'accueil et du service. Vous allez dans n'importe quel bistrot, les serveurs sont aimables et gentils. J'ai essayé de comprendre pourquoi. Je me suis rapidement aperçu qu'ils servaient 2 ou 3 tables. Pas plus. Ils n'en servent pas 5 ou 7. Et même si il y a du monde, ils ne sont pas stressés. Quand je suis rentrée, je me suis arrêté dans un petit bistrot près de la gare d'Arcachon, c'était innommable. C'était sale, l'accueil n'était pas aimable, la déco datait des années 1960. On voyait que les gens avaient du mal à faire leur travail… À force de vouloir tout protéger, on n'arrive plus à avancer. C'est un peu comme quand on noie le moteur… Quand le moteur est noyé, on n'avance plus. On a un peu noyé le moteur en France. Comment faire pour changer la donne ?

A. D. : On n'est pas aidé, contrairement à ce qu'on pourrait croire.

F. L. : Regardez, dans d'autres pays, quand vous avez un projet, vous allez voir le fisc et il vous dit ce que vous allez payer. En France, c'est impossible. Vous avez beau avoir une vision à long terme, un projet qui tient la route, il est très difficile d'obtenir les bons renseignements. En fonction de la bonne ou mauvaise volonté, de la bonne humeur ou pas du responsable de bureau, vous réussissez à avoir quelques informations, mais aucune réponse fiable, sur laquelle vous pouvez vous projeter.

F. L. : Je suis très sensible à l'éducation. Comment, en 2006, avec les moyens qu'on a, peut-on avoir des jeunes qui sortent de l'école sans les bases minimums de calcul, d'histoire, de français ? On dit que c'est parce qu'il y a beaucoup d'émigrés. Mais avant, il y a eu des gamins qui parlaient gascons ou une autre langue régionale chez eux et quand ils allaient à l'école, ils apprenaient à lire et à écrire en français. Quand j'étais gamine, à Bordeaux, où j'allais à l'école, il y avait une pensionnaire dont les parents avaient des propriétés dans le médoc et une autre dont le père était clown dans un cirque. Et elles dormaient dans le même dortoir, et elles apprenaient les mêmes choses. J'ai un peu la sensation que la carte scolaire a tué l'égalité républicaine. Ces pauvres gamins quand ils sont nés dans une cité, ils sont condamnés à y rester. Ça les 'ghettoïse' totalement. Le pire, c'est qu'on fait ça au nom des bons sentiments. Les bons sentiments, ça ne fait pas la force d'une nation. Exiger des enfants l'excellence, c'est au contraire leur rendre service. J'ai fait une émission de radio avec des jeunes et ils voulaient qu'on adapte l'information pour eux. Sauf que la guerre dans un pays, c'est toujours une guerre, et je ne crois pas qu'il y ait deux langages pour en parler. Je me souviens leur avoir dit cette phrase : "Ce qui se conçoit bien s'exprime clairement et les mots pour le dire vous viennent aisément." Là, j'ai senti un silence… Ce qui est dramatique, c'est quand on encourage l'idée que rien n'est grave et que tout vaut tout. C'est faux. zzz74v

A. D. : En France, on est toujours en révolution. Mais il ne faut rien faire bouger. Et en même temps, on n'est pas content de ce qu'on a.

Repères

Françoise Laborde est originaire du Sud-Ouest. Elle a démarré dans le journalisme en 1979 à l'international avant de se spécialiser dans l'économie et le social. Rédactrice en chef de Télématin depuis 1997, elle présente notamment l'émission Les 4 Vérités. Françoise Laborde a également écrit plusieurs livres dont Pourquoi ma mère me rend folle, en 2002, aux éditions Ramsay.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2986 Hebdo 20 juillet 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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