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du 19 janvier 2005
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LES RENDEZ-VOUS DU SENS

Discussion libre entre André Daguin et l'abbé de la Morandais

Tous deux habitués des plateaux de télévision, le président confédéral de l'Umih, André Daguin, et l'ancien aumônier du monde politique, Alain de la Morandais, étaient au Sens, la nouvelle adresse de Jacques et Laurent Pourcel, à Paris, pour une discussion à bâtons rompus. Anecdotes, valeurs et gourmandises. Instructif.
Propos recueillis par Sylvie Soubes

Alain de la Morandais : Comment êtes-vous entré dans le métier ?

André Daguin : Je suis originaire d'Auch, dans le Gers. Mon grand-père était cuisinier dans l'hôtel que mon père a racheté et dans lequel je suis né. À l'époque, on naissait chez soi. On n'était pas touriste in utero. C'est un métier de passion, et c'est cette passion qu'il faut transmettre aux jeunes.

A. de L. M. : J'ai pour ami le chef parisien Jacques Le Divellec, qui m'appelle de temps en temps pour aller manger chez lui. Il m'a souvent dit qu'avant d'embaucher, il voyait les parents. Pour leur dire quoi ? Eh bien que c'est un métier dur, absorbant. Qu'on n'est pas sur un lit de roses. Que les horaires sont en coupure, qu'il faut travailler quand les autres sont en vacances… Que c'est aussi un métier difficile parce que peu compatible avec une vie familiale régulière. Mais que c'est un métier d'ouverture et de voyages. Où les femmes égalisent avec les hommes.

A. D. : Je me souviens bien comment ma mère faisait en cuisine. Ce sont des images fortes. C'est pour ça que je défends d'ailleurs l'apprentissage qui n'est pas une voie de garage. Un gosse de 14 ans apprend par imitation. Il regarde faire et il fait. À 16 ans, c'est plus difficile. Il leur faut un professeur qui sache expliquer alors que nos professionnels ne sont pas dans ce moule. Il n'y a pas longtemps, je suis allé dans une école hôtelière au Cambodge, j'étais patron de la première promotion. C'est curieux, je me suis retrouvé dans le même cas de figure. Les gamins ne parlaient ni français ni anglais et pourtant, ces gosses répétaient les gestes que je faisais. Et les plus petits répétaient mieux que les plus grands. C'est comme avec l'ordinateur qui n'a plus de secrets pour les jeunes générations. À 14 ans, il y a aussi la proximité du maître d'apprentissage, plus costaud, plus musclé. Le gosse, qui ne se sent pas encore plus fort, acquiert des règles.  

A. de L. M. : Il y a là une vertu pédagogique et spirituelle importante. Il y a sûrement une réflexion à développer dans le fait de copier, d'imiter. Mais après il faut trouver son inspiration personnelle C'est comme quand on apprend le dessin ou la peinture, on copie et à partir de ce qu'on apprend, on suit son propre cheminement.

A. D. : Paris est une petite place pour ce qui est de notre métier. Le monde entier aussi. Ça tient à son aspect qui reste très paternaliste. Il y a bientôt 10 ans que j'ai arrêté d'être cuisinier tous les jours, et pourtant, on me téléphone en me disant : "Vous vous rappelez, vous m'avez mis chez untel… Et là on me propose une place ? Vous en pensez quoi." C'est curieux, cette espèce de référence permanente au maître qui existe encore de nos jours…

A. de L. M. : C'est aussi un monde d'ouverture justement grâce à la variété, à la qualité et à l'hétérogénéité des gens qui reçoivent.

A. D. : L'inconvénient, chez certains restaurateurs, c'est qu'ils s'imaginent avoir une influence sur les gens qu'ils reçoivent. Humainement, peut-être. Mais syndicalement ou politiquement, c'est faux. Quand j'étais à Auch, j'ai reçu de Gaulle, Mitterrand. J'avais surtout envie de leur dire qu'ils étaient en terrain neutre. En terrain neutralisé. Et c'est notre force.

A. de L. M. : Les hommes politiques sont en représentation continuelle. C'est exténuant. Ça me fait penser à la brasserie du Palais Bourbon, qui était tenue par un couple de bons Corréziens. Lui, un certain Viala, avait son trombinoscope et il connaissait tout le monde. Je suis passé l'autre jour parce que ça fait plaisir de discuter du passé. Avec son épouse, on s'est rappelé un moment important. C'était 8 jours avant le suicide de Bérégovoy. Il y avait des socialistes qui sortaient de la maison de la chimie. Lui est allé au comptoir, tout seul, prendre un bock, une bière. Personne n'allait le voir. Moi je démarrais dans le métier. Je ne le connaissais pas et lorsque je l'ai vu passer, je me suis dit que cet homme n'allait pas bien. J'ai essayé de parler avec lui, je n'ai pas pu décrocher grand-chose, il était complètement prostré. Madame Viala était là. Elle se rappelle très bien de cet instant et ça l'a beaucoup marqué. Je me suis aperçu dans ce job que le cardinal m'a demandé d'inventer dans le monde politique, que l'entretien professionnel que je pouvais avoir - et la comparaison n'est pas sacrilège - rejoignait un peu le vôtre.

A. D. : Qu'est-ce qui vous marque en premier lorsque vous arrivez dans un restaurant ?

A. de L. M. : La qualité de l'accueil. L'attitude de la personne qui vous reçoit. Si c'est la première fois qu'on vient, il faut qu'on vous donne l'impression d'être chez vous. Que vous ne soyez pas un anonyme, et quand vous êtes connu, c'est l'inverse. Tout est dans le dosage… Ne pas la jouer, ne pas en rajouter. Je vais vous raconter une anecdote. Je dînais un soir à Paris au Train Bleu. J'étais avec quelqu'un d'une ambassade qui avait des problèmes. Le serveur fait tomber un truc et le maître d'hôtel se précipite. Il s'excuse, me dit monseigneur, nous sommes vraiment désolés. Je suis catholique, je vous admire beaucoup et patati, et patata. Il avait sans doute besoin d'être reconnu. Bon, me dit-il pour finir, mon cher "Lustiger", je vous souhaite bon appétit…

A. D. : La religion catholique est la seule qui fait la promotion du pain et du vin.  

A. de L. M. : Quand Jésus arrive, il respecte les interdits et en délivre tout le monde. C'est même vrai sur la sexualité. C'est pas la matérialité qui importe, c'est l'esprit et l'intention. Les premiers chrétiens sont des juifs, ensuite ils étaient grecs, romains… La difficulté était la suivante : est-ce qu'on applique les mêmes règles alimentaires ou sexuelles aux anciens et aux nouveaux ? Et Jésus a dit non. Il dit, vous êtes appelés à la liberté. La liberté vous fera libre. Et ce n'est pas sacrifier un rituel qui vous rend libre. Toute la difficulté du carême chrétien qui n'est pas résolue et que plus personne ne suit. Avant c'était très facile, on disait, il faut manger du poisson le vendredi. C'était tant mieux pour les restaurateurs et les poissonniers, mais spirituellement, ça n'avait aucun sens. L'esprit n'y était pas. La bonne question, c'est de quoi peux-tu te passer pour donner au plus pauvre ?

A. D. : Guider est quelque chose de compliqué. Il faut donner l'impression qu'on est plus motivé que le plus motivé d'entre eux et dire c'est comme ça et pas autrement. Bien sûr, il faut y croire. Quand vous êtes 1 contre 1 000 types, le match ne dure jamais longtemps si vous n'êtes pas dans la vérité. Il ne faut pas raisonner. Mener, dans le syndicalisme, c'est un peu comme la religion, c'est relier ou lire.  

A. de L. M. : Personnellement, j'ai envie de vous citer trois piliers : savoir résister, accepter les compromis et continuer de viser le but qu'on s'est fixé. zzz74v

Sens par la Compagnie des Comptoirs Paris
23 rue de Ponthieu
75008 Paris
Tél. : 01 42 25 95 00

Repères

Alain Maillard de la Morandais est né en 1935 au Croisic (Loire-Atlantique). Après hypokhâgne, il poursuit des études supérieures de philosophie et de théologie à l'Université grégorienne de Rome et au Séminaire pontifical français. D'abord aumônier du lycée Arago à Paris, il dirigera la paroisse de Notre-Dame du Travail de Plaisance dans le XIVe avant d'être nommé en 1992 directeur du secrétariat pastoral d'Études politiques du cardinal-archevêque de Paris (aumônerie du monde politique). Il est décoré chevalier de la Légion d'honneur en 1994. Il est auteur de plusieurs ouvrages dont Prier par les cinq sens, aux éditions Actes Sud, en 2003.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2960 Hebdo 19 janvier 2006 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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