AVENTURE AU
PÔLE SUD
Gilles Brébant : un cuisinier Beaunois en Terre Adélie
Tombé amoureux des contrées polaires alors qu’il naviguait
en tant que jeune pâtissier sur les paquebots des croisières
Paquet, Gilles Brébant, vient tout juste de rentrer de son
4e hivernage en Terre Adélie. Pour cet homme aujourd’hui
âgé de 59 ans «être cuisinier sur les bases polaires
françaises reste une expérience unique dans la vie d’un être
humain».
Ce sont bien souvent nos
passions qui nous conduisent vers les plus belles aventures…
Gilles en a eu la démonstration puisque c’est sa passion
pour les timbres qui l’a entraîné jusqu’au pôle sud.
Philatéliste depuis son plus jeune âge, il collectionne plus
particulièrement les timbres des TAAF (Terres Australes et
Antarctiques Françaises). C’est en se rendant au siège des
Expéditions polaires à Paris pour acheter des cartes
postales de manchots qu’il rencontre en 1987 Claude
Chauffriasse, chargé du recrutement du personnel d’hivernage.
Gilles a alors 40 ans et se trouve à un tournant de sa vie
personnelle et professionnelle. Il décide de partir.
De temps en temps, on peut s’échapper pour découvrir des
merveilles… |
En route pour un hivernage
de 14 mois
Dans le jargon des habitués
du milieu polaire, un hivernage ou campagne, c’est une
mission d’environ 14 mois. Pour Gilles, l’aventure va se
dérouler en Terre Adélie (TA). Pour chaque mission, une
équipe est constituée et quitte le France au mois de
décembre pour rentrer au mois de février/mars de l’année
suivante. Avant le départ, les candidats – qui sont retenus
après une série de tests physiques et psychologiques - se
retrouvent pour suivre une formation d’une semaine complète
à Brest au siège de l’IPEV (Institut Paul Emile Victor).
C’est cet institut qui gère et entretient toutes les bases
scientifiques françaises aux pôles car sa principale mission
consiste à mettre en oeuvre des programmes scientifiques dans
les régions polaires et subpolaires des deux hémisphères. L’IPEV
recrute donc l’ensemble du personnel nécessaire tant sur le
plan scientifique que technique, soit près d’une centaine de
personnes par an. C’est aussi l’organisateur des voyages et
c’est lui qui affrète par exemple les navires qui acheminent
le personnel sur les sites d’études.
Lorsqu’il est parti en 1988 (TA 38) et en 1990 (TA 40) à
Dumont d’Urville, Gilles Brébant était engagé en tant que
pâtissier-boulanger, son métier d’origine étant la
pâtisserie. Lors des deux missions suivantes en 2005 (TA 55)
et 2007 (TA57), il assurait le poste de cuisinier-intendant
puisqu’entre temps il avait ouvert sa pâtisserie-snack-salon
de thé à Beaune (21). «Le voyage pour arriver là-bas est
déjà toute une aventure, explique Gilles, depuis Paris,
nous avons trois jours d’avion, en passant par Hong-Kong ou
Singapour. De là nous gagnons l’Australie, Sydney, Melbourne
puis Hobart au sud de l’île de Tasmanie. C’est là que
l’Astrolabe, notre bateau, nous fait traverser les mers les
plus difficiles du globe : quarantième rugissant,
cinquantième hurlant, en 20 ans de navigation dans ces eaux,
l’Astrolabe en a vu des vertes et des pas mûres et ses
passagers aussi !»
Dans la chambre de congélation : inventaire en cours, envoyé
par la
suite à l'Institut Polaire, pour préparer les achats de la
prochaine
mission. Geneviève (météo) dans l'allée des fromages venant
de
France. A droite, les cartons de viande de boeuf, en
provenance
d'Australie. |
Dumont d’Urville : long
140° 01 E, lat 66° 40 S
La base Dumont d'Urville
(environ 5 000 m2) est située sur l'île des Pétrels, à 5 km
du continent. La base se situe au sommet de l’archipel.
Durant l'hiver, la base héberge une trentaine de personnes
réparties entre les services généraux et les services
scientifiques. Ces derniers assurent l'acquisition de
données pour les laboratoires français impliqués dans les
programmes polaires. Une base comme Dumont d’Urville est un
véritable campus universitaire comprenant une cinquantaine
d’installations, avec ses lieux de vie : logements,
réfectoire, cuisine, bibliothèque, hôpital ; ses
laboratoires de biologie, géophysique, météo… ses locaux
techniques : centrale électrique, ateliers, garages,
production d’eau douce. Toutes les installations sont
adaptées aux conditions locales : températures variant de
0°C à -40°C, blizzard, longues nuits polaires, vents pouvant
dépasser les 300 km/h. La production électrique est assurée
par des groupes. À court terme, ce système de production
devrait évoluer avec l’installation de plusieurs éoliennes.
L’eau sanitaire est produite par un distillateur à eau de
mer utilisant la chaleur issue des circuits de
refroidissement de la centrale électrique. Le chauffage
collectif est également alimenté par cogénération.
Quant au traitement des déchets c’est une préoccupation
importante. Un protocole a été mis en place et porte sur la
réduction des volumes à traiter, la mise au point de
procédures de tri et de méthodes de stockage des déchets,
avant rapatriement en Australie puis en France pour
certaines catégories de produits. «Dans le bâtiment
principal, nous avons un endroit totalement dédié au tri des
déchets avec plusieurs poubelles différentes», explique
Gilles.
Une petite base annexe, Cap Prud'homme, située sur le
continent en face de l'île des Pétrels, fonctionne comme un
campement d’été. C’est là que sont stockés durant l’hiver
(dans des tunnels de glace) les engins des traversées
terrestres (raids) à destination de la base Concordia (Dôme
C à 3 200 m) située à 1 100 km de là. Il faut 8 à 10 jours
pour y parvenir avec un engin terrestre et en hiver il y
fait - 75 à - 80°C. Durant son dernier hivernage, Gilles a eu
la chance de s’y rendre au moment de Noël pour quelques
jours.
Une cuisine
avec une cheminée peu habituelle pour laisser la
chaleur et les vapeurs du piano s’échapper… |
A Concordia en janvier 2008. La réserve de farine ! Elle
a un taux d'humidité inférieure à celle que l'on utilise en
France, pour
éviter qu'elle ne fasse bloc à - 20°. |
Le fromage
vient de France, en particulier les roues de comté… |
La viande, et plus particulièrement le porc et l’agneau,
arrivent en ½ carcasse et il faut savoir la travailler comme
le boucher ! |
Une cuisine pas comme les
autres
La cuisine de Dumont
d’Urville est située dans le bâtiment principal (appelé «séjour») et dispose de quatre fenêtres avec une vue
magnifique lorsque la météo est clémente : mer ou banquise
selon la saison avec des icebergs dérivant au gré des
courants d’été ! La zone cuisine est équipée d’une cheminée
très typique (!) qui permet d’évacuer les gaz et la chaleur
produite par le piano. À proximité se trouve la salle à
manger mais aussi une lingerie avec machines à laver et à
sécher le linge. Une bibliothèque, avec billard, salle vidéo
et un bar complète l’installation. Ce bâtiment est relié aux
autres par des passerelles.
Etant donné que la base est coupée du monde en hiver par des
centaines de kilomètres de banquise et qu’elle n'est
accessible que durant l'été austral, on imagine bien les
difficultés d’intendance. C’est l'Astrolabe qui effectue 4
rotations dans l’année et qui assure la relève des équipes
et le ravitaillement. 5 à 6 jours lui sont nécessaires pour
parcourir les 2 700 km de distance entre l'Australie et la
Terre Adélie. La première rotation (R0) début novembre, ne
permet pas d'atteindre la base, le ravitaillement et
l'acheminement du personnel se fait alors par hélicoptère à
partir de l'Astrolabe arrêté par la banquise à plusieurs
dizaine de kilomètres de la côte. Les produits viennent de
France (fromages, charcuteries, vins bouchés, champagne…) et
d’Australie (les produits frais -salade et légumes- et la
viande). À chacun de ses hivernages, Gilles Brébant a eu à
sa disposition deux magasins de vivres, l’un «chauffé» à
+ 4°C, l’autre pour les produits congelés et c’est d’ailleurs
le compresseur de ce dernier qui assure le chauffage de la
pièce dédiée aux produits secs ! Le tout est complété par
une «cave». L’IPEV prévoit de toute façon des stocks
d’urgence d’environ un an de vivres constitués
essentiellement de conserves et de produits à très longue
DLC. « Parfois, il faut faire preuve d’imagination,
commente Gilles, par exemple, un jour nous avons été en
panne de levure sèche pour faire le pain et du coup nous
l’avons préparé "à l’ancienne" avec un levain naturel à
base de bière et de fermentation de pomme. Le résultat était
excellent !» Et si on lui demande de citer le plus gros
avantage rencontré par rapport à une cuisine classique, il
énonce moqueur : «Un gros atout ? Eh bien en cas de problème
technique, le dépannage des appareils est immédiat grâce aux
différents corps de métier présents à la base : plombier,
électricien et même mécanicien de précision…On n’attend pas
des semaines sans pouvoir rien faire !» Pendant les 4 mois
d’été, le rythme est intense car il n’y a presque pas de
jour de repos. C’est l’époque où il y a le plus de monde sur
la base «de 60 à 110 personnes alors que durant l’hiver,
l’effectif retombe aux alentours de 30, mais on peut quand même s’échapper pour découvrir les
merveilles qui nous entourent », ajoute-t-il.
Barbecue
sous la neige.
Parfois on improvise des cuissons pour le moins étonnantes
comme ici un barbecue sous la neige ! |
Parfois le commandant d’un bateau de passage fait un cadeau
à Gilles. Ici un thon de 40 kg pêché par le navire de
recherche océanographie Japonais, le " Umitaka Maru ". Ce
soir il y aura du poisson au menu ! |
A
pâques Gilles met en œuvre tous ses talents de
pâtissier-chocolatier. |
Le plat "Crocodile Dundy", confectionné à base de moutarde
Fallot au cassis, celle-ci étant fabriquée à Beaune, le fief
de Gilles. |
Supporter la vie en
communauté et aimer la «grande» nature !
Prendre en main les
cuisines et l’intendance d’une base polaire nécessite de
nombreuses qualités car c’est bel et bien l’endroit qui
réuni deux fois par jour l’ensemble des hommes et des femmes
de la base. C’est là que l’on prépare les anniversaires de
chacun, les soirées à thème du samedi soir ou les événements
(noël, pâques, l’arrivée ou le départ d’une équipe…) ou tout
simplement pour remonter le moral des troupes lorsque la
météo n’est pas favorable. «La cuisine est soumise aux
jugements de chacun 24 h sur 24 et il faut savoir faire
preuve de psychologie et de bon sens. Il faut faire bon et
équilibré bien sûr mais il faut aussi faire preuve
d’imagination. Pour ma part, j’aimais bien préparer des menus
de fête pour surprendre chacun lors des anniversaires. Je
suis pâtissier de formation et du coup avec le jeune Arthur
(qui sortait de l’école hôtelière de Poligny) – NDLR : en
contrat VCAT -voir encadré-,
on s’amusait à faire des belles pièces monumentales ou des
gâteaux lorsque l’occasion se présentait. On apprend aussi à
travailler des produits qu’on n’a pas toujours l’habitude de
cuisiner en France. L’Australie livrait souvent du crocodile
ou du kangourou et je sais désormais parfaitement préparer
ces viandes exotiques !»
Pour Gilles, chacun des hivernages a été différent. Chacun
lui a permis de partager des expériences humaines
passionnantes mêmes si parfois les conditions de vie au
quotidien ont été difficiles. Mais il n’en démord pas : «Les métiers de l’hôtellerie sont des métiers merveilleux
parce qu’ils permettent d’avoir une vie professionnelle
passionnante qui peut nous emmener partout dans le monde.»
Aujourd’hui, Gilles va présenter son métier, ses voyages et
ses photos un peu partout en France : dans des écoles, en
entreprises mais aussi en milieu carcéral… Et puis à force
de se balader dans les «manchotières» et de voir naître
les poussins d’Adélie et les bébés phoques Weddell, il est
devenu un fervent défenseur de la planète. «Je suis
désormais un écologiste acharné et si je peux faire passer
un message par votre biais, je voudrais l’adresser aux
jeunes : soyez ambitieux pour votre avenir mais soyez
vigilants aussi et prenez soin de votre planète, elle est
vraiment belle mais tellement fragile…»
Nelly Rioux
La «manchotière» s’est
installée au pied de la base… et à force de la fréquenter et
de voir naître les bébés phoques Weddell sous ses fenêtres,
Gilles est devenu un fervent défenseur de la planète…
Partir aux pôles : comment proposer sa candidature ?
L’IPEV recrute suivant deux types de contrats. Soit dans le
cadre du volontariat civil (VCAT) pour les
boulangers-pâtissiers, soit en tant que «technicien» avec
un CDD pour la durée de la mission pour les
cuisiniers-intendants.
*Pour postuler en tant que VCAT, la candidature peut
s’effectuer en ligne sur le site :
vcat-ipev.fr/interf/index.php
L'IPEV a été désigné, suite à un accord signé avec le
Secrétariat d'Etat à l'Outre-mer et les Terres Australes et
Antarctiques Françaises, comme organisme d'accueil des
Volontaires Civils à l'Aide Technique. C'est ainsi que, tous
les ans, une quarantaine de jeunes volontaires se rend dans
les districts des Terres Australes et Antarctiques
Françaises. L'Institut Polaire est donc habilité à étudier
les candidatures d'élèves en fin d'études ou détenteurs de
leurs diplômes, volontaires pour un séjour de 12 mois
minimum à partir de décembre de chaque année. Suivant leur
qualification professionnelle, des jeunes filles et garçons
entre 18 et moins de 29 ans peuvent être employés dans une
station scientifique et ainsi mettre en application les
connaissances acquises pendant leurs études.
*Pour postuler à un poste en CDD (cuisinier), il faut
envoyer un CV et une lettre de motivation à
IPEV
Mme Laurence ANDRÉ-LE MAREC
BP 75
29280 PLOUZANÉ
Pour en savoir plus
Le site des TAAF : taaf.fr/spip
Le site de l'association Amicale des Anciens des Expéditions
Polaires Françaises: aaepf.org
Le site de l’IPEV : institut-polaire.fr
Le site de l’Année polaire internationale (API) :
annee-polaire.fr
Lire l’enquête "Plein feu sur les pôles" dans le Journal du
CNRS :
cnrs.fr/presse/journal/3274.htm
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