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Roland Boyer

La Grande époque de la restauration parisienne

De Paris et de ses années fastes, des hommes et des femmes célèbres qui les ont animés, Roland Boyer connaît toutes les petites histoires. Aujourd'hui, le maître d'hôtel exerce sa passion de l'accueil, chez lui, au restaurant Pierre A La Fontaine Gaillon.

Lydie Anastassion


Roland Boyer et sa femme Patricia.

Roland Boyer vit à 100 km à l'heure. A 4 heures du matin, le propriétaire du restaurant parisien Pierre A La Fontaine Gaillon est aux halles de Rungis. A midi, il est prêt pour accueillir les premiers clients. Même programme pour le soir. Entre deux, il assure des séances de conciliation au tribunal des prud'hommes. Et quand il a encore un peu de temps, il fonce dans 'sa' campagne se consacrer à l'élevage de ses chevaux. Une façon de vivre qu'il cultive depuis 50 ans environ, porté par son goût pour le contact et la fête. Car Roland Boyer est un professionnel de la fête à Paris.
Il a tout fait, tout vécu Roland Boyer : d'abord commis de salle, puis chef de rang et maître d'hôtel, sa carrière l'a placé là où il fallait être pendant la 'Grande époque' : Ledoyen, Le Club de Paris, le Whisky à Gogo, le Crazy Horse Saloon. "Je voulais faire mon chemin", résume-t-il aujourd'hui dans son bureau tapissé de photographies, au premier étage de l'ancien hôtel particulier construit par Hardouin-Mansart en 1672. Très occupé mais jamais pressé, il prend son temps et aime raconter. Ce métier est sa passion et il n'est pas avare de ses souvenirs.
Les débuts n'ont pas été faciles. Dans les années 40, Roland Boyer est un brillant élève au lycée Fénelon avant de rejoindre les bancs de Saint-Jean-de-Passy. Son oncle le destine à la magistrature. Mais un revers de fortune abrège ses études. En 1944, Roland Boyer, petit-fils de restaurateur - son grand-père Camille Boyer tenait le Rendez-vous des Cochers, rue Custine -, devient caviste, commis dans de petites maisons. "Après avoir côtoyé des gosses de riches, je me suis retrouvé dans une cave", raconte-t-il encore sans manquer d'humour. Ce n'était que le début de l'ascension.

Entre travail et fête

Ses premiers jours à La Closerie des Lilas furent significatifs. "Le directeur de l'époque, M. Fiocre, cherchait un maître d'hôtel. Je me suis présenté. Je faisais très jeune, et il m'a embauché comme commis. J'ai accepté à une condition : faire mes preuves pendant 15 jours, car je ne voulais pas rester commis." Deux semaines plus tard, Roland Boyer, à 23 ans, devient le plus jeune maître d'hôtel de France, et enchaîne les postes, engrangeant les anecdotes. "Au Mameluck, où je remplaçais le barman, Masproni venait boire son Rose-Cocktail. Je le lui préparais très sec." Il poursuit : "A cette époque, c'était de la grande musique. Chez Ledoyen, les roses étaient changées à chaque service sur chaque table. On peut dire que c'était du spectacle. A La Table du Roy, à la fin de chaque repas, il y avait le couronnement du roi et de la reine de la soirée. Le patron nous demandait de chanter. Si nous ne le faisions pas, nous étions 'mutés' au Ledoyen qui appartenait au même propriétaire, mais où l'on gagnait beaucoup moins d'argent. Aux Enfants Terribles, nous avons décerné le prix Orange de l'actrice la plus agréable à Martine Carol."

Les années thé dansant

Au fil des maisons, Roland Boyer poursuit son apprentissage et rencontre Gustave Passeron qui dirige, à la fin des années 50, le Thé de l'Elégance au club des Champs-Elysées et qu'il surnomme "son maître pour la réception". "Je n'oublierai jamais sa remarque : Roland, une salle c'est comme un bouquet de fleurs." Comme le thé dansant lui laisse beaucoup de temps libre, Roland Boyer profite de la fermeture pendant les mois d'été pour faire des escapades. "On se retrouvait tous chez Susy Solidor, rue Balzac, pour se filer des tuyaux. A 5 heures du matin, nous débarquions chez Alain Romance où le barman, mordu de turf, officiait en culottes de cheval." Sans parler de l'épisode du Tagada, fermé pour cause de tapage nocturne, où tous les soirs un piano était sacrifié, de l'Acapulco à l'Ecole militaire, ou encore des deux Whisky à Gogo.
En 1957, Roland épouse Patricia. Difficile de passer sous silence l'année 1961, celle du lancement du Crazy Horse Saloon. "Dans la journée, les ouvriers creusaient les anciennes caves de Balenciaga. Le soir, on couvrait avec des planches. Il n'y avait aucune climatisation. Les étiquettes sur les bouteilles de champagne se décollaient toutes seules. Comme c'était à la brigade de payer la verrerie, nous avons servi du Dom Pérignon, dans des verres à moutarde, à Onassis et à la Callas assis sur les marches."

Les Armes de Bretagne

Les années 60 constituent l'occasion d'un nouveau départ pour le couple Boyer avec, en 1962, l'ouverture de leur première maison Les Armes de Bretagne, au 80 de l'avenue du Maine à Paris. Chanteurs, sculpteurs, peintres constituent le gros de la clientèle. Quelques années plus tard, exproprié, Roland Boyer installe son affaire un peu plus haut sur l'avenue. La presse, les hommes politiques, les intellectuels en font leur QG. "Simone de Beauvoir avait ses habitudes. Elle aimait particulièrement les cocktails Side-Car. Elle venait pour manger un Caneton nantais aux pommes fruits et miel d'acacia, et buvait un châteauneuf-du-pape château Fortia." En 1989, l'année du bicentenaire, le restaurant enregistre 'l'addition du siècle' : une note de 1 789 francs réglée par Jacques Attali, pour l'avocat Kiejman venu dîner en compagnie de François Mitterrand et le prix Nobel de la paix Elie Wiesel. Mais cela ne suffit pas au restaurateur. En 1983, il acquiert une vieille maison, Pierre A La Fontaine Gaillon, place Gaillon, qui fonctionne depuis le siècle dernier. Sa femme Patricia et ses fils Gilles et Dominique sont à la direction. La guerre du Golfe et la crise de la grande restauration sonnent le glas des Armes de Bretagne. "Je devais m'adapter à une nouvelle forme de restauration et à la conjoncture économique. J'ai préféré passer la main", explique Roland Boyer qui cède aussi son établissement Vins et Marées en 1996.
Depuis, il se consacre exclusivement à Pierre A La Fontaine Gaillon. En plus de la salle à manger Louis XIV, le restaurant compte 5 salons de taille différente. Chacun a une histoire. Le salon de la Michaudière servit au tournage d'une scène de L'Etau d'Alfred Hitchcock, et c'est dans le salon Port Mahon que survint la polémique au sujet de la mayonnaise entre Antonin Carême et Grimaud Pleynière... Décidément, Roland Boyer est à l'image de son restaurant : tous les deux ont été et sont toujours des grands témoins de leur époque. zzz18p zzz22v

Le 9 septembre 1989, le président de la République française, François Mitterrand, Jacques Attali, l'avocat maître Kiejman et le prix Nobel de la paix Elie Wiesel ont déjeuné aux Armes de Bretagne pour 1 789 francs. 


  

Un peu d'histoire

Situé dans l'ancien hôtel particulier du duc de Lorgues, le restaurant Pierre A La Fontaine Gaillon fut construit en 1672. La fontaine apparaît en 1707, édifiée par Jean Beausire. Elle fut appelée en premier Fontaine Louis Legrand puis Fontaine d'Antin. En 1720, l'hôtel change de nom et devient l'Hôtel de Conti.
Le maréchal duc de Richelieu l'acquiert en 1795. Visconti restaure la fontaine en 1828.


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L'HÔTELLERIE n° 2690 Magazine 02 Novembre 2000

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