Depuis plus d'un siècle, la famille Haeberlin exploite un restaurant sur les rives de l'Ill. La simple guinguette de 1882 a fait place à un confortable établissement, triplement étoilé depuis 1967, et où l'esprit de famille n'est pas un vain mot.
Jean-François Mesplède
Marc, Paul et Jean-Pierre Haeberlin au bord des rives de l'Ill.
La cuisine est un fabuleux
métier qui demande une remise en question quotidienne. Le talent seul ne suffit pas ; il
faut savoir écouter les critiques, garder la tête froide, rester lucide, humble : nous
ne sommes que de bons artisans, comme les menuisiers, les forgerons ou les maçons. Même
si la presse, à l'occasion, fait de nous des stars, nous ne devons jamais oublier que
nous avons réussi grâce à nos pères.
Dans ces quelques lignes introductives à son livre L'Alsace Gourmande (Albin
Michel), Marc Haeberlin a tout dit ou presque. Et lorsqu'il parle des pères, le vocable
est à prendre au sens large. Il pense bien sûr à Paul - son père - et Jean-Pierre
Haeberlin son oncle, mais aussi à Paul Bocuse l'ami de la famille - les villages
d'Illhaeusern et Collonges au Mont d'Or sont jumelés -, Jean et Pierre Troisgros, René
Lasserre, Gaston Lenôtre et Helmut Gietz auprès de qui il s'est formé. Représentant la
quatrième génération de cuisiniers, il travaille aux côtés avec son oncle et son
père depuis 1976, et assume depuis 6 ou 7 ans la succession familiale au piano. Revenant
chez lui après un beau parcours initiatique, il mesurait pleinement la responsabilité
lui incombant dans un restaurant triplement étoilé en 1967, deux ans après celui de
Bocuse et un an avant les Troisgros...
L'histoire... gourmande de la famille Haeberlin débute à la fin du siècle dernier dans
une guinguette installée au bord de l'Ill. A l'époque, cet affluent du Rhin est riche en
tanches, carpes, brochets, truites, goujons servis en fritures et anguilles qui permettent
de réaliser une fameuse matelote. Ajoutons les écrevisses "si abondantes qu'on
les ramasse dans les fossés après les orages", les tartes aux fruits et la
meringue chantilly, et l'on aura fait le tour, ou presque, des spécialités de L'Arbre
Vert. Plus tard, Marthe et Henriette, les deux belles-surs, donneront à la carte
davantage de densité. En période de chasse, on y retrouvera les lièvres et chevreuils.
Marthe a deux fils, Paul et Jean-Pierre, nés dans la maison, où ils obtiendront plus
tard le couronnement du guide Michelin. Paul est fasciné par l'ambiance de la
cuisine. Il y passe des heures dans l'ombre de sa mère et de sa tante, se familiarisant
aux gestes précis du métier. Jean-Pierre est un artiste. Il fait l'école des beaux-arts
à Strasbourg, tandis que son frère choisit l'apprentissage à Ribeauville à La
Pépinière de Georges Weber, ancien cuisinier des tsars dit-on. Il poursuit ensuite sa
formation à Paris, à La Rôtisserie Périgourdine des frères Rouzier et chez Pocardi.
En juin 1940, pour tenter d'enrayer l'avance allemande, le génie fait sauter le pont sur
l'Ill. L'Arbre Vert et l'auberge ont fait les frais de l'opération : la famille Haeberlin
n'a plus rien. Elle reconstruit pourtant une baraque en bois... et l'aventure continue.
En 1950, Paul revient chez lui et se met au travail dans l'auberge reconstruite. Son
frère estime que sa place est à ses côtés dans la maison familiale : un formidable duo
vient de naître, parfaitement complémentaire. Rond, timide et inventif, Paul ne sort
guère de sa cuisine ; vif, nerveux, affable et volontiers disert, Jean-Pierre assure dans
la salle. Alliant le passé et la tradition de modernité, Paul révèle ses dons au
piano. Tout fonctionne parfaitement et la renommée de l'Auberge de l'Ill grandit avec les
étoiles attribuées par le guide Michelin : une première en 1952, la seconde en
1957, et la troisième dix ans plus tard.
"Mon dieu, les ennuis commencent", lâche alors Jean-Pierre en apprenant
le choix de bibendum. Il n'en sera rien car on poursuit sur la même voie, celle de la
sagesse.
C'est sans doute le mot qui caractérise le mieux l'esprit d'une maison où la transition
avec la nouvelle génération s'est faite en douceur depuis près d'un quart de siècle.
La nouvelle génération du piano
"Tout doucement, confirme Marc, papa est toujours là le premier le matin
en cuisine, même s'il ne participe plus aux services. Nous vivons très bien cette
cohabitation car il n'y a jamais eu le moindre problème entre nous. Je n'ai jamais
ressenti de pression d'arriver après lui, et nous avons toujours discuté ensemble des
changements de la carte où figurent toujours nos trois classiques : Saumon soufflé,
Mousseline de grenouilles et Truffe sous la cendre. Mon père a toujours été très
ouvert à mes idées, et je me suis toujours senti les mains libres."
Point de révolution donc à Illhaeusern mais une force tranquille qui fait avancer une
maison réputée dans le monde entier et où la fidélité, des clients mais aussi du
personnel, n'est pas une notion vide de sens. La mission du fils, patron de la cuisine
depuis six ou sept ans ? "Assurer la pérennité de la maison et de garder les 3
étoiles le plus longtemps possible. J'ai envie que, comme aujourd'hui, tout tourne bien."
Ensuite ? On imagine mal que l'avenir ne passera pas par la famille. Lætitia, la fille de
Marc, a fait l'école hôtelière et peaufine sa formation à travers le monde. Salomé,
sa nièce, se dit intéressée par la cuisine et pourrait bien attraper, à son tour, le
virus.
Sur les bords de l'Ill à Illhaeusern, le temps coule fait de douces certitudes... zzz18p zzz22i
Auberge de l'Ill
68970 Illhaeusern
Tél. : 03 89 71 89 00
Fax : 03 89 71 82 83
E-mail : auberge-de-l-ill@dial.oleane.com
Parlons chiffresChiffre d'affaires
|
Ingrédients
(pour 8 personnes)
1 saumon de 2 kg
150 g de beurre
25 cl de fumet de poisson
1/2 bouteille de riesling
4 échalotes
25 cl de crème
1/2 citron
Sel et poivre, 8 fleurons en feuilletage
Pour la farce
250 g de chair à brochet
25 cl de crème
4 ufs, sel, poivre et muscade
Préparation
- Mettre le saumon en filets.
Les couper en 8 médaillons.
Pour la farce
- Passer à la grille fine de la moulinette la chair de brochet, la mettre dans
le mixer.
- Ajouter les ufs (2 ufs entiers + 2 jaunes), saler, poivrer et ajouter
la pointe de muscade (très peu). Mettre en marche et verser la crème peu à peu.
- Mettre la farce dans un bol. La garder au froid. Battre les blancs en neige et
les mélanger délicatement à la farce bien froide.
- Recouvrir les médaillons avec la farce en forme de dôme.
- Placer les médaillons de saumon dans un plat beurré, salé et parsemé
d'échalotes hachées. Mouiller avec le riesling et le fumet de poisson et mettre au four.
Laisser mijoter 15 à 20 mn. Sortir le saumon sur un plat de service. Réserver au chaud.
- Verser le fond de cuisson dans une sauteuse, ajouter la crème et laisser
réduire. Monter la sauce avec le beurre bien froid en petits morceaux. Ajouter le jus de
citron. Rectifier l'assaisonnement et verser la sauce autour du saumon. Décorer avec les
fleurons en feuilletage.
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'HÔTELLERIE n° 2686 Magazine 05 Octobre 2000