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restauration France

Alain Senderens
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L'homme qui ne cesse de chercher

La taverne de Robert Lucas, créée en 1732 et rachetée par Francis Carton, est devenue un haut lieu de la gastronomie française.
Alain Senderens va faire passer le cap du troisième millénaire au restaurant de la place de la Madeleine à Paris, Lucas Carton.

Lydie Anastassion

 

 
"Il faut parfois reprendre le plat car le vin évolue."

Presque tous les jours, Alain Senderens fait ses essais, ses accords plats-vins. "Je suis content lorsque j'entre dans l'âme du vin. La restauration, ce n'est pas seulement un plat posé dans une assiette, c'est aussi un vin qui l'accompagne. Tous les deux créent une harmonie", explique le propriétaire du restaurant Lucas Carton. De fait, c'est peut-être le seul chef triplement étoilé dont la carte associe un plat à un verre de vin spécifique. Alain Senderens sert l'entrée de Homard de Bretagne et sa polenta crémeuse au corail avec un verre de condrieu (Les Chaillées de l'Enfer 1998), le Carré d'agneau de Lozère rôti aux trois aubergines avec un bandol (château de Pibarnon 1989), la Fourme d'Ambert et sa brioche épicée et son verre de porto (Graham's 1983), ou encore la Meringue à la menthe poivrée et sa glace à la réglisse et son verre de rivesaltes de 1975 (domaine Cazes).
Alain Senderens a poussé le détail jusqu'au bout. "Depuis six mois, nous servons des amuse-bouches différents selon l'apéritif choisi. Pour le champagne, c'est une Crème de volaille glacée avec une écrevisse, pour le whisky du saumon demi-fumé, et pour le vin blanc une Crème de petits-pois avec du jambon", poursuit le cuisinier.
A sa façon, il a repris, pour la fin du repas, le principe des savouries anglaises (des amuse-bouches épicés au poivre de Cayenne qui accompagnaient le porto) en associant un vin et un en-cas à chaque type de cigares. Dans la grande maison de la place de la Madeleine, on fume le Hoyo des Dieux un verre de porto à la main tout en dégustant des Gambas poêlées à la sauce Thaï. L'idée séduit. "85 % de nos clients commandent le vin sélectionné pour leur plat. Quant à l'apéritif, les gens sont reconnaissants de cette attention. Certains en prennent deux pour avoir droit à un nouvel amuse-bouche", raconte-t-il en souriant.

Fromages et vins blancs
Il est midi. "Appelez-moi ma femme, appelez Jérôme, appelez le chef", lance Alain Senderens. Rapidement, il fait disparaître sa chemise rose et ses bretelles décorées de flamants roses sous sa veste blanche. La dégustation va débuter dans l'un des salons du premier étage. Au menu : trois rougets, trois pigeons et une dizaine de vins. Les deux premiers poissons ne satisfont pas les goûteurs. Alain Senderens, Frédéric Robert, le chef des cuisines, et Jérôme, le chef sommelier, se passent l'assiette, recrachent les vins. "C'est bon, mais en dessous de notre recette habituelle", commentent-ils. Deux bouteilles de vin blanc les laissent perplexes. "Le vin donne un cadre, après nous pouvons composer avec les ingrédients, les épices du plat. En cours de saison, il faut parfois reprendre le plat car le vin évolue." Cuit dans une croûte de sel, le troisième rouget passe plutôt bien l'examen. Arrivent les Pigeons et leurs petits navets à la cannelle. C'est l'oiseau fourni par le producteur habituel qui remporte les suffrages. "Commandez-en une centaine", rappelle Senderens à son chef des cuisines. "Qu'est-ce que c'est bon", s'exclame le chef à propos du dernier pigeon. "C'est flatteur, mais l'autre est plus juste", renchérit le chef sommelier. Frédéric Robert prend des notes.
C'est à Jacques Puiset qu'Alain Senderens doit son amour des vins. "Il m'a initié. Nous avons commencé par faire des recherches sur le vin rouge et les fromages. On s'est rendu compte que, neuf fois sur dix, les deux n'allaient pas du tout ensemble. Les vrais accords ont souvent lieu entre le fromage et le blanc." Au début des années 80, le chef sort une assiette de trois fromages accompagnée de trois verres de vin blanc. "La presse m'a incendié, se rappelle-t-il, mais petit à petit ce plat est devenu un classique."
En 1970, le Michelin lui décerne sa première étoile. Alain Senderens est installé depuis deux ans rue de l'Exposition dans le VIIe arrondissement à Paris. Son restaurant s'appelle l'Archestrate, du nom d'un ami gastronome de Périclès. "Lorsque je travaillais à la Tour d'Argent, je m'y rendais à pied en partant du quartier République. J'en profitais pour lire, tout en marchant. J'ai découvert ce personnage au hasard de mes lectures. Malgré les réticences de certains qui me disaient que c'était imprononçable, j'ai ouvert le restaurant le 2 avril pour ne pas que cela soit considéré comme une blague", raconte le chef. Il poursuit : "Je voulais faire ma cuisine, m'affranchir des méthodes classiques." Alors que les événements de mai 1968 mettent en péril l'affaire, un article de Jean Ferniot publié dans l'Express donne le coup d'envoi du restaurant. "Le lundi midi, j'étais complet", se rappelle le chef. En 1971, il déménage sa maison rue de Varenne et décroche sa seconde étoile en 1974 et la troisième en 1978. "Les étoiles récompensent notre travail pour lequel on a tout sacrifié. Ce guide, c'est notre bâton de maréchal. Tous les ans, on a la peur au ventre", avoue Alain Senderens. Lorsqu'il reprend le Lucas Carton, c'est comme un retour aux sources.
"Après un an passé à la Tour d'Argent, je suis arrivé au Lucas Carton en 1964 comme chef tournant et chef saucier. C'était le conservatoire de la cuisine classique. Le chef s'appelait Mars Soustelle. J'en ai bavé. Avec lui, même quand c'était bien, ce n'était jamais assez. Mais si je suis ce que je suis, c'est grâce à tous ces chefs que j'ai rencontrés", poursuit Alain Senderens. Comme Didier Arqué qui le forme à l'hôtel des Ambassadeurs à Lourdes en 1957-1959, ou encore le directeur d'un hôtel de Milan en Italie qui lui aurait soufflé : "Si tu veux devenir un bon maître d'hôtel, tu dois passer par la cuisine." Sans oublier Isidoria, sa grand-mère paternelle, qui préparait les déjeuners dominicaux dans la maison familiale des Pyrénées. zzz18p zzz22i =

Lucas Carton
9, place de la Madeleine
75008 Paris
Tél. : 01 42 65 22 90
Fax : 01 42 65 06 23

Parlons chiffres

Nombre de couverts 150/jour
Effectif 60 employés

 

Carré d'agneau rôti aux trois aubergines ients

Ingrédients
(pour 4 personnes)
2 carrés d'agneau
1 oignon émincé grossièrement
2 gousses d'ail
3 branches de thym
1 feuille de laurier
Sel, poivre blanc du moulin
Huile d'olive
2 aubergines et demie bien larges
1 aubergine fine
1 poivron rouge
1 dl de crème liquide
on

Préparation
- Préparer un caviar d'aubergine agrémenté de dés du poivron rouge rôti au four
et épluchés.

- Faire revenir deux cylindres égaux de 6 cm de la fine aubergine à l'huile d'olive dans une poêle sur feu vif. Les mettre au four jusqu'à ce qu'ils deviennent tendres.
Faire réduire de moitié la crème liquide.

- Faire confire au four à 100 ° C pendant
1 h environ 2 tranches d'aubergine salées
et poivrées et assaisonnées d'huile d'olive, de thym, et de laurier.

- Colorer les carrés d'agneau salés
et poivrés dans une cocotte contenant
1 cuillerée d'huile d'olive. Les poser sur une assiette et dégraisser la cocotte. Replacer
les carrés dans la cocotte et les mettre au four (250 °C) environ 6 mn. Puis les réserver
sur assiette. Dégraisser la cocotte légèrement, ajouter l'oignon, l'ail, le thym, le laurier et faire caraméliser.
Déglacer à l'eau, saler, et faire réduire. Passer le jus à travers un chinois et réserver.

- Remettre les carrés au four pendant environ 5 mn.
- Réchauffer les 3 préparations d'aubergines.
- Placer la tranche d'aubergine grillée sur les assiettes. Poser une quenelle de caviar d'aubergine dessus. Placer les tronçons d'aubergine confite sur le côté et les napper de crème réduite.
- Découper les carrés, dresser-les sur assiette, verser un cordon de jus et servir immédiatement.

 


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L'HÔTELLERIE n° 2686 Magazine 05 Octobre 2000

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