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Marc Lelieur, Le Flore et La Chicorée à Lille
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Maîtriser les charges et offrir une prestation de qualité

Champion des grands volumes, c'est un vrai restaurateur de vocation, jamais loin de ses affaires. C'est aussi un manager d'équipes et un développeur d'affaires, un gérant rigoureux qui se projette dans de grands défis à risques en dépit d'un contexte fiscal et social qu'il juge inacceptable en France.

m Alain Simoneau

Même un jour de semaine, à 14 h 30, plus de la moitié des 270 places assises est occupée, et les clients arrivent encore. "Il m'intéresse que cette maison soit remplie", commente Marc Lelieur, le maître des lieux. La Chicorée est l'une des toutes premières entreprises de Lille, à l'emplacement numéro un de la ville, rue Rihour, à 50 m de la Grand'Place. Dans cette rue piétonnière, 50 m occupés de part et d'autre par des cafés et restaurants à très forte activité. C'est à l'angle, avec un signal visuel rouge à la parisienne qui saute aux yeux quand on débouche place Rihour. Ce restaurant est l'endroit idéal pour partager un vaste plateau de fruits de mer à 300 F, la spécialité de la maison, à midi comme à minuit, une soupe à l'oignon à 28 F ou encore une omelette traditionnelle servie avec le même entrain qu'un homard. Au programme : un fleuve de bière, une montagne de frites mais aussi des plats mijotés, une bonne choucroute ou une belle pièce de viande, un côté cuisine grand-mère du Nord avec tarte à la cassonade et autres goûts du terroir, filet de bœuf découpé devant le client et saint-jacques flambées en salle. L'ambiance est particulière, peut-être à cause de cette implantation en demi-niveaux qui permet de disposer d'un vaste espace sans jamais avoir l'impression de manger dans un hall de gare. L'activité est intense 20 h/24, jusqu'à 6 heures du matin, 7j/7. A La Chicorée, on travaille vite et bien. Il vaut mieux, avec des pointes allant jusqu'à 1 500 couverts le samedi. Autour du directeur Patrick Buret, s'affairent en moyenne quatre maîtres d'hôtel, douze serveurs, deux barmen. Dans les cuisines en plein réaménagement situées au sous-sol, on est un peu à l'étroit mais il faut faire au mieux. Les frites entrent surgelées, pour des raisons d'espace et de coût, mais presque tous les produits sont frais et les fonds qui tournent très vite sont faits maison. Le ticket moyen tourne autour de 120 F sachant que l'échelle de prix est très étendue.

"La Chicorée, c'est un produit simple et classe à la fois"
"Ici, on ne fait pas du gastronomique, les prix sont tirés, mais il faut faire très attention à la prestation." Il regarde ses vitres, juge qu'elles pourraient être plus parfaitement propres, aimerait pouvoir payer une personne de plus pour ces détails-là. "La maison doit tourner fort, reprend-il. Il ne faut pas décevoir, mais les charges doivent être maîtrisées. Si ce n'est pas parfait, on refait. Il faut assurer avec de la qualité, la simplicité, et de la gentillesse. La Chicorée, c'est un produit simple et classe à la fois." Un produit très lillois, chargé de symbole, dont la clientèle va de l'étudiant à l'homme d'affaires en passant par la mère de famille au groupe de fêtards de fin de nuit. Sur le même trottoir, juste à côté, Marc Lelieur mène également Le Flore, un restaurant atypique lui aussi, vaste sans en avoir l'air, tout en dédales. La cuisine familiale y est plutôt bourgeoise, d'un bon rapport qualité/prix et attire une clientèle très vaste mais avec une plage horaire moins importante qu'à La Chicorée. Le Flore, c'est un peu le bébé de Lelieur. La Chicorée, c'était une sacrée prise de risques. Il hésite encore à le dire, mais le pari lui semble gagné. Ces deux affaires-là, il ne les vendra pas facilement. Mais il en a créé et vendu d'autres, et cela continue. "J'adore ce métier. J'adore créer et développer des affaires."

De la boucherie à la brasserie
"A dix ans je savais que je voulais être restaurateur, et à mon compte. Mes parents traitaient de la viande en gros. A treize ans je préparais les terrines avant de partir à l'école, je les faisais cuire le samedi en rentrant, et je les vendais le dimanche." Ce qui ne l'empêche pas de poursuivre ses études. Après un BTH et un BTS à Jean Drouant à Paris, il se retrouve vite directeur d'un Pizza Paï, histoire d'apprendre tout de suite son métier de patron. De 1979 à 1981, il se souvient "d'une expérience dynamique, formatrice à la gestion, en particulier au management d'équipe, avec en arrière-plan une âme d'entreprise". Les deux années suivantes, il les passe au cœur de la viande, un métier très dur de préparation et de conditionnement pour un industriel spécialisé, Vianor. "Le patron de l'époque m'a mené un train d'enfer, mais j'ai appris..." Il en garde une compétence dans la boucherie qu'il réutilise actuellement pour ses deux affaires principales.

Du Meunier à La Chicorée en passant par Pizza Armand et Les Feux de la Rampe
Mais il n'a alors qu'une idée en tête, ouvrir un restaurant. Après quatre mois de recherche, il trouve Le Meunier, rue de Tournai à deux pas de la gare de Lille, qu'il ouvre en juillet 1984. Le Meunier avait eu une grande réputation de l'après-guerre jusqu'aux années 70, mais se trouvait alors en difficulté, à 20 couverts/jour. Le Meunier devient une brasserie à la parisienne et ne désemplit pas. Edwige Lelieur, l'épouse du patron, n'est pas restauratrice mais cela ne l'a pas empêché de donner beaucoup au Meunier "qui lui doit son âme", reconnaît son mari. Lelieur reprend quelque temps plus tard la charcuterie voisine qui devient Traiteur Le Meunier, et crée en mitoyenneté une affaire nommée Les Feux de la Rampe. Quand il cède le tout en 1992, les 3 entreprises totalisent 23 MF de chiffre d'affaires, contre 2,2 millions la première année. En 1993, c'est le débarquement rue Rihour. Marc Lelieur reprend Le Moderne, un bel emplacement mais un café vieillissant qui devient la Brasserie Flore de Lille. Le Flore sert 200 couverts/jour la première année, 500 actuellement. Après Le Flore, c'est Pizza Armand, à 5 minutes de là dans les rues piétonnes, qu'il rachète en dépôt de bilan, remet en selle et cède ensuite à son frère Vincent, formé à l'EH de Toulouse. Pizza Armand, c'est à présent 400 couverts/
jour et 10 MF de CA. En mars 1997, il crée la rôtisserie Les 400 Coups, profitant là aussi de l'offre de restauration du centre-ville. Une vieille maison restaurée, un excellent emplacement et une gestion de professionnel : résultat 350 couverts/jour et 10 MF de CA. Elle est à présent cédée au directeur de l'affaire. Et le 1er juin 1998, Marc Lelieur reprenant La Chicorée des mains d'une personnalité lilloise, la très respectée Ginette Becker, 77 ans au moment de la cession. Il souhaite en faire une maison qui serve 1 000 couverts/jour en 2001.

Les secrets de la réussite
Quels sont les secrets de cette réussite ? Le regard droit dans les yeux, Lelieur s'explique. Peu ou pas d'argent au départ, la confiance des banquiers venant petit à petit. Les investissements ont pratiquement tous été financés à 100 % par emprunts. Le seul secret, c'est que "c'est un vrai métier de pros, résume-t-il. Tout tient à l'équipe. Je crois que mon vrai talent est de parvenir à convaincre mes collaborateurs qu'on n'avance qu'en se fixant des objectifs de progression. Le cercle vertueux, c'est capter de plus en plus de clients, leur vendre de plus en plus de belles choses, embaucher de plus en plus de bons collaborateurs, améliorer les équipes..." Pour cela, le patron doit non seulement lui-même être un pro de l'organisation et de la restauration, mais aussi définir une politique de motivation qui va de la gestion des horaires aux salaire et à la gestion de carrière, y compris pour un personnel de direction qui peut aspirer légitimement à créer sa propre affaire. La direction et l'encadrement doivent "être vigilants sur la carte et les vins, en se tenant très près du client, en anticipant ses changements de goût". Tenir en gestion "un tableau de bord complet et rigoureux", et quant à l'exécution, "dominer chaque poste de travail et chaque prestation selon des critères de qualité parfaitement identifiés", de manière à obtenir "une mise en place impeccable en salle comme en cuisine". Le tout avec une forte productivité et une attention aux achats constante. En entrant à La Chicorée, Marc Lelieur a baissé ses prix de 20 %, tout en investissant 2,20 MF en rafraîchissement et équipement du restaurant. Cela signifie une très bonne performance en résultat d'exploitation.
Les handicaps, Marc Lelieur les perçoit concrètement. Quand on emploie plus de 80 personnes en deux affaires, quand on vise avant tout le rapport qualité/prix dans de grands volumes, comment supporter un taux de charges de 60 % ? Comment accepter une TVA qui représente un tiers du coût d'achat d'une assiette ? Et bien entendu, comment gérer une réduction de temps de travail imposée sans réelle concertation ? Comment gérer des apprentis ? "Nous en prenons, mais nos horaires ne s'y prêtent pas, et le travail de nuit manque à leur formation." L'entreprise travaille déjà en deux équipes sans coupure.
Apparemment il ne désespère pas, puisqu'il doit ouvrir ce printemps une nouvelle affaire dans une vieille maison vide à restaurer, avenue du Peuple Belge. "Je veux ouvrir un restaurant avec dans l'esprit tout ce que nous avons réussi depuis des années, mais aussi avec une ambiance, un caractère bien marqué, plus branché. Je suis à la recherche d'une inspiration", nous confiait-il fin 1999. Et d'un nouveau risque. On ne se refait pas... n


A l'emplacement numéro un de Lille, au coin de la place et de la rue Rihour, La Chicorée saute aux yeux. Le Flore est mitoyen, avec ses deux entrées de part et d'autre de La Chicorée.


Patrick Buret à gauche, directeur de La Chicorée, et Marc Lelieur, créateur de restaurants : le choix et la motivation des collaborateurs sont les clés du succès.


Au comptoir de La Chicorée, on peut manger une omelette-frites comme de grands plateaux de fruits de mer. Une complémentarité qui rapporte.


Au sous-sol, le travail intense s'effectue un peu à l'étroit, en attendant la fin des travaux de réaménagement.

En chiffres

Le Flore
Personnel :
35 à 40 personnes

CA : 19 MF en 1999
Prime cost :
de l'ordre de 68 % du CA réparti à raison de 33 % en charges de personnel et 35 % en coûts matières premières

La Chicorée
Personnel :
45 salariés

CA : 25 MF en 1999 Prévisionnel 2000 : 30 MF
Prime cost :
68 % également, mais réparti à 40 % de charges salariales et plus de 28 % de coûts d'achats

Charges d'investissement : 3,20 MF par an

 

Achats

"Nous recherchons la perfection dans la simplicité. C'est à la qualité de la salade par exemple qu'on juge un restaurant", estime le directeur de La Chicorée, Patrick Buret, un professionnel qui a plutôt l'expérience des grandes maisons gastronomiques. "Le client cherche une identité, il faut s'y tenir. On doit trouver chez nous la meilleure andouillette." Les achats sont une clé à la fois de l'identité, de la qualité et de la rentabilité. Au Flore et à La Chicorée, les achats sont un enjeu stratégique. En fin de contrat de fourniture Jupiler, le patron a dit non à une augmentation de 4,5 % et est passé à la Bavik de Petrus. Les contrats de boissons ne peuvent être qu'équilibrés, jamais léonins. Pour l'ensemble des fournitures, explique Lelieur, "primo, nous choisissons un type de produit qui corresponde bien à nos besoins et aux souhaits de nos clients. Secundo, nous réduisons les candidatures de fournisseurs à un ou deux en fonction des critères de sérieux, de capacité à livrer régulièrement, de qualité et de prix. Et enfin nous travaillons d'après un cahier des charges par contrats à moyen-long terme de trois ans, assez longs pour pouvoir progresser ensemble sur des objectifs, pas trop longs pour permettre une révision de contrat". Les produits frais sont livrés tous les jours avec une rotation calculée au plus près, deux fois par semaine pour les boissons. Les légumes en particulier sont contrôlés tous les matins selon le cahier des charges (espèce, calibre, choix de saison, etc.). Le patron s'y implique personnellement, les achats étant son domaine. Spécialiste de la viande en particulier, il l'achète par muscle entier, et a monté un atelier de préparation commun aux deux restaurants qui emploie deux bouchers à temps complet.


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L'HÔTELLERIE n° 2660 Magzine 6 Avril 2000

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