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Pétroliers, cinémas, magasins

Une nouvelle concurrence pour les restaurateurs

Hier, la concurrence venait surtout de McDo. Aujourd'hui, elle est le fait des boulangeries. Mais demain, elle risque fort d'être multiforme avec l'entrée en scène dans le secteur de la restauration des commerces, prestataires de services et autres spécialistes de la grande distribution. Après avoir effectué leurs premiers tests, ces nouveaux acteurs de la restauration se lancent désormais dans une phase de développement à tous crins. De quoi chambouler profondément le paysage de la restauration française...

Par Marie Fournier

Qu'y a-t-il donc de commun entre le pétrolier Total, les cinémas Gaumont, les Virgin Megastore et Ikea ? Tous sont des restaurateurs. Même si cette affirmation a de quoi surprendre et si, aujourd'hui encore, tous nient catégoriquement être "restaurateurs", les faits parlent pour eux.
Total, non content d'avoir développé avec Crocade près de soixante-dix sites de restauration à table sur le territoire français, s'attache aujourd'hui à multiplier un autre concept, Café Bonjour, davantage tourné vers la restauration rapide.
Gaumont, à l'heure des multiplex, entend systématiser ses Café Ciné qui proposent à la fois boissons chaudes, glaces et snacking.
Les Virgin Megastore, après un certain attentisme en matière de restauration, comptent bien relancer le développement des Virgin Café, à l'image de celui des Champs-Elysées.
Quant au Suédois Ikea, son expérience de restaurateur est sans doute la plus ancienne et la plus internationale de toutes, avec 140 unités de restauration dans 25 pays pour un chiffre d'affaires de 1,5 milliard de francs dans le monde.
Et ils sont aujourd'hui suivis par bien d'autres commerces ou prestataires de services qui se lancent également dans une forme de restauration plus ou moins élaborée.

Un démarrage explosif

Il est plus que probable que les professionnels de la restauration commerciale, chaînes et indépendants, ceux qui se battent au quotidien pour la survie de leur entreprise ou contre la TVA à 20,6 % ne soient pas prêts pour autant à les voir rentrer dans leurs rangs. Et sans doute ces nouveaux prestataires de la restauration, désignés par certains comme les restaurateurs du troisième type, se sentent eux-mêmes trop différents. Mais ils constituent d'ores et déjà des concurrents avec lesquels il faut compter.
Après tout, personne n'irait aujourd'hui nier que les boulangeries, à grands coups de vente à emporter - et parfois sur place - de sandwiches, salades ou plats chauds, constituent une autre réponse à la demande de restauration hors domicile, au moins à l'heure du déjeuner. Pourquoi penser différemment à propos des commerces et services qui se mettent eux aussi à proposer à leurs clients de grignoter sur place, voire d'y faire un vrai repas ?
Le phénomène est certes récent. Mais son ampleur n'en est que plus impressionnante. Les spécialistes des mutations du secteur en ont été les premiers surpris. Bernard Boutboul, directeur associé de Gira Sic Conseil, société d'études et de marketing de la restauration, avoue lui-même avoir été pris de court par la soudaineté et la puissance de cette tendance. "Nous avons lancé une étude sur la restauration du troisième type en 1997 car, à l'époque, ces circuits parallèles étaient en plein démarrage. Mais aujourd'hui, plus qu'un démarrage, c'est une véritable explosion ! Ce secteur a connu une croissance supérieure à 60 % entre 1997 et fin 1998. Mais dans 15 jours, trois semaines ou deux mois, elle sera à 80 %. Même sur la livraison de pizzas à domicile, on n'a jamais vu un tel taux de croissance."
Et, selon lui, cette explosion est loin d'être terminée. "Les sources deviennent multiples. Mais en fait, la restauration peut s'introduire partout où les clients stationnent pendant une durée moyenne ou longue." A l'image des Etats-Unis, on devrait donc bientôt pouvoir s'alimenter un peu partout.

Retour en force des précurseurs

En France les précurseurs en la matière n'ont pas fait parler d'eux comme de nouveaux restaurateurs. Pour l'essentiel, il s'agissait de magasins et, hormis Ikea qui a installé un restaurant dans chacun de ses sites, l'idée a généralement été testée, avec plus ou moins de succès, sur une petite échelle. Ainsi, si "les trois magasins Fnac de l'époque pionnière (Sébastopol, Montparnasse et Etoile) avaient à l'origine un comptoir café", comme le rappelle Pierre-Jean Richard, directeur des aménagements et des concepts à la Fnac, cette idée avait été complètement abandonnée dans les années quatre-vingt.
Les Virgin Megastore ont suivi une évolution somme toute assez semblable, même si un emplacement consacré à la restauration faisait pleinement partie du concept de départ. "Les Virgin Megastore sont des lieux qui se veulent multiculturels et la gastronomie appartient à la culture française", souligne Patrick Druart, directeur du Virgin Café des Champs-Elysées. Il n'en reste pas moins que si les trois premiers Megastore proposaient à leur clientèle un espace Virgin Café, il n'en existe plus que deux à l'heure actuelle, à Paris sur les Champs-Elysées et à Marseille.
Aujourd'hui, la tendance s'est inversée. L'heure est à la relance pour les Virgin Café. Le succès du site parisien, et dans une moindre mesure du petit frère marseillais, fait fortement songer à redonner vie au Virgin Café de Bordeaux. Plus généralement, Patrick Druart évoque une volonté de "créer des cafés dans les grands Megastore", ceux qui jouissent d'une surface d'au moins 1 000 ou 1 200 m2. Et il se prend à rêver "d'autres Virgin Café, indépendants du Megastore", où le thème central du magasin serait rappelé par toute une série de clins d'œil (écoute de CD, diffusion des émissions internes Virgin télé, magazines...). Mais ce souhait, étudié semble-t-il chez Virgin Megastore, ne constitue pas une priorité.
Du côté de la Fnac, la reprise du concept de base a été totalement repensée. En plus des boissons, les clients peuvent trouver une petite grignoterie dans les nouveaux Fnac Café. Mais ici, la prudence est de mise. "L'idée de départ, analyse Pierre-Jean Richard, consiste à proposer un point de rendez-vous, un point de repos. On ne tient pas du tout à faire de la restauration." Néanmoins, le principe va être généralisé. Une dizaine de Fnac Café existe aujourd'hui en France et à l'étranger (Espagne et Portugal), mais ce chiffre va rapidement augmenter en raison du fort programme de développement des magasins (plus de 30 dans les deux ans à venir), qui seront tous équipés de leur point café. Il est même envisagé de créer de tels espaces dans une partie des magasins Fnac existants, du moins lorsque l'architecture des lieux permet de répondre aux contraintes, en matière d'hygiène notamment.
Seul Ikea a donc toujours maintenu le cap initial concernant ses unités restauration. Mais là aussi une nouvelle tendance s'est peu à peu dessinée. "Tous les magasins Ikea ont un site restauration, indique Jean-François Orsini, directeur de la restauration chez Ikea France. Et l'emplacement du restaurant est toujours conceptualisé. Il doit être à mi-parcours entre le satellite et l'exposition. Mais il existe aussi des bars, qui sont des points de restauration rapide près des caisses et, actuellement, on développe les chariots. On multiplie les points de vente car on est engorgé le week-end."

Des restaurants très... mode

Cette remise en place et ce nouvel essor des premières expériences sont bien un signe des temps. Ils sont d'ailleurs à rapprocher de la reprise de l'idée par de nombreux autres commerces. Après l'ameublement et les livres/disques, diverses autres activités du commerce de détail tentent elles aussi l'aventure. Le secteur de l'habillement, en particulier, a rapidement saisi la perche.
Plusieurs marques, de Celio à Lanvin en passant par Armani, Ventilo et le très branché Colette, à Paris, ont ouvert leur coin restaurant. Mais dans ce domaine, l'expérience est plus artisanale. La taille des magasins n'est d'abord pas comparable à celle des géants Ikea, Fnac ou Virgin. D'autre part, l'image de luxe de certains d'entre eux ou leur caractère très parisien empêche de reproduire le concept à grande échelle. Toutefois, la création d'un restaurant n'est pas forcément vécue comme un gadget mais comme un élément du magasin lui-même et des services et produits offerts à la clientèle.
Lorsque Giorgio Armani décide de confier le lancement de son premier restaurant parisien, au sein de son magasin Emporio Armani, à une société d'exploitation extérieure, il n'en est pas à son coup d'essai. Aux Etats-Unis, à Londres ou en Italie, des restaurants à son nom existent déjà depuis plusieurs années. Cette fois, il s'agit de faire naître une synergie entre chacun des établissements en proposant à la clientèle un service identique à chaque fois. "Il existe un esprit Armani, constate Thierry Burlot, chef propriétaire associé de l'Emporio Armani Café. Un client Armani reste client pour cet esprit qu'il retrouve partout. Armani est dans la mode quelque chose d'identifiable et de reconnaissable. Mais les restaurants étaient un peu disparates. On a voulu proposer une prestation de service liée à l'art de vivre italien, avec des produits originaux et originels."
Le résultat a dû séduire à la fois Giorgio Armani et la clientèle puisque le restaurant parisien, ouvert début 1998, est devenu le site phare de la restauration Armani. Thierry Burlot et son associé se sont vus confier depuis la gestion du restaurant de New York et sont chargés de la mise en place de la partie restauration de nouveaux magasins.

Pétroliers ou restaurants d'autoroutes ?

Mais des commerces, on en est rapidement passé aux services. C'est ainsi que les pétroliers ont eu l'idée de doubler l'offre déjà proposée dans leurs boutiques (vente de boissons chaudes et froides, de confiseries, biscuits et sandwiches sous vide, à côté des cartes routières, journaux et autres cassettes de musique d'ambiance) par de véritables points de restauration, assise et à emporter.
Le principe répond à une certaine logique. Les automobilistes des grands axes routiers ont depuis longtemps l'habitude de faire une pause repas dans les restaurants d'autoroutes. Dans ces conditions, pourquoi ne pas leur donner la possibilité, sur un même site, à la fois de se ravitailler en carburant et de se restaurer ? La tâche semble d'autant plus facile que, ainsi que le fait remarquer François Lécosse chez Shell, "on a tous la même cible, que l'on soit pétrolier ou restaurant d'autoroute : c'est le client sur autoroute. Et nous connaissons bien le profil de ces clients."
Ce qui est beaucoup plus surprenant est de constater que les pétroliers, au lieu de confier un espace à une marque connue de restauration rapide, ont décidé de prendre eux-mêmes en charge cette nouvelle activité. Il est vrai que les premières tentatives d'association mises en place en France, comme celle de Total avec McDo à Versailles, n'ont pas obtenu les résultats escomptés. La tendance actuelle, qu'il s'agisse de Total ou de Shell, consiste donc à mettre en place sa propre marque, que ce soit pour des motifs de rentabilité (Shell) ou pour mieux répondre aux attentes spécifiques de la clientèle française. C'est ainsi que sont nés Crocade et Café Bonjour chez Total et Escapade chez Shell.

Répondre à toutes les attentes de la clientèle

Là aussi, on ne peut que constater l'importance des efforts mis en œuvre pour réussir ce pari de la restauration. Loin de se contenter d'un vague test, les deux pétroliers ont décidé d'agir en véritables professionnels et de répondre le mieux possible à toutes les attentes de leur clientèle.
C'est pourquoi, après avoir lancé il y a huit ans le concept de restauration Crocade, "pour satisfaire davantage la clientèle de routiers", comme le signale Claude Léonard, chef de projet au sein du marketing Europe, "Total a fait évoluer ces restaurants afin de répondre aux demandes des familles "fortement intéressées". Aujourd'hui, cette même écoute des besoins des consommateurs, souvent pressés et désireux de multiplier des pauses détente rapides, conduit Total à développer parallèlement les Café Bonjour, centrés autour du sandwich à la française, à base de baguettes fabriquées sur place.
Chez Shell, l'offre de restauration est regroupée sous une appellation unique, Escapade, mais elle n'en est pas moins souple. Les produits vont du simple snack à la cuisine traditionnelle un peu plus élaborée, sous forme de self ou de bar et l'espace restauration s'adapte à l'environnement, sur une gamme qui va de quelques tabourets à plus de 140 places assises. "L'objectif, admet François Lécosse, chef de projet Escapade, c'est d'avoir une offre complète pour les différentes personnes qui fréquentent les grands axes routiers." Les 31 unités Escapade sont donc appelées à se multiplier, en France mais aussi à l'étranger (Portugal, Belgique et Suisse). Quant au concept lui-même, il est toujours susceptible d'évoluer lorsque le besoin s'en fait sentir. Pour cela, les enquêtes consommateurs constituent une aide précieuse dont les pétroliers font un large usage. "C'est une de ces enquêtes qui nous a amenés à modifier notre offre cette année, notamment pour aller davantage vers les attentes des familles", constate François Lécosse.
Mais la toute dernière réflexion des pétroliers peut annoncer une véritable inflexion dans cette démarche de restaurateur. Non contents de multiplier les espaces de restauration sur les autoroutes ou les grandes nationales, ils envisagent désormais de s'attaquer à leur clientèle de centre-ville. "On pense proposer un produit en milieu urbain, explique le responsable d'Escapade, mais on devra repenser le produit, l'approche. L'avantage c'est qu'on travaille quand même avec toute la machine Shell derrière." Du côté de Total, le concept existe déjà. Les deux Café Bonjour qui existent aujourd'hui sur le territoire français devraient très rapidement devenir une vingtaine. Et ils peuvent tout à fait "être installés en ville quand la clientèle est adaptée", estime Claude Léonard.
Ce nouvel engouement des pétroliers pour la restauration indique bien la tendance générale. Il était donc tout naturel que d'autres prestataires de services s'engouffrent à leur tour dans cette voie. A leur tête, théâtres et cinémas ont sérieusement commencé à satisfaire une demande déjà ancienne de leur clientèle en lui offrant de quoi se restaurer, même sommairement.

Pause repas à l'entracte

Cette offre reste cependant très éparse et peu structurée, chacun agissant à sa guise, en fonction de sa situation ou de sa fréquentation. Et si la formule snack est la plus répandue, certains théâtres parisiens lui ont préféré une véritable restauration assise, à l'image du Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées, dont le restaurant peut accueillir jusqu'à 300 couverts !
Seules quelques chaînes de cinéma ont eu la possibilité d'élaborer un véritable concept, reproduit en série. C'est notamment le cas de Gaumont qui, en développant ses gigantesques multiplex (une dizaine en France qui regroupent chacun de 10 à 16 salles et de 2 000 à 4 000 fauteuils), a voulu y introduire un espace de détente, le Ciné Café. Celui-ci ne travaille que des produits de petite restauration rapide et affiche une gamme "volontairement restreinte", selon les dires même de Laurent Allegret, en charge de ce concept chez Gaumont. Explication : il s'agit de faire face essentiellement à de la vente d'impulsion, sur un laps de temps très court, essentiellement avant le début de la séance. Mais ce choix n'est pas incompatible avec la décision de multiplier les Ciné Café, bien au contraire. "Dans les futurs multiplex, il y en aura de façon systématique", annonce Laurent Allegret. Or, c'est presque uniquement autour de tels complexes cinématographiques que va se centrer l'avenir des salles de cinéma.

40 milliards de chiffre d'affaires

Les services de loisirs, les pétroliers, les commerces, tous semblent désormais se lancer parallèlement dans la restauration. Mais aussi longue soit-elle, cette liste n'est pas exhaustive. Selon Bernard Boutboul, de Gira Sic Conseil, les géants de la grande distribution comme Carrefour ou Auchan "étudient eux aussi la possibilité de mettre en place une offre de grignotage" sur leurs sites. Contrairement aux cafétérias des mêmes enseignes, il s'agirait cette fois de petits kiosques situés à l'intérieur même des hypermarchés et qui permettraient au consommateur de se nourrir tout en faisant ses courses. Et bien d'autres encore sont sans doute en train d'étudier des projets du même type, ce qui rend impossible une analyse complète de cette nouvelle tendance mais en démontre l'importance.
L'idée a donc fait du chemin ces dernières années. Et si elle est autant reprise actuellement c'est d'abord parce qu'elle remporte un succès certain. Le concept séduit sans aucun doute et correspond à une évolution du comportement des consommateurs. Comme le constate Claude Léonard chez Total, la restauration du troisième type, et, en l'occurrence celle proposée par les pétroliers, constitue une "réponse sympathique à une demande de la clientèle. Les gens sont de plus en plus pressés et c'est agréable de prendre de l'essence, de garer sa voiture sur nos parkings et de s'acheter à manger en n'ayant que deux pas à faire."
Le succès est donc bien au rendez-vous. Sur ce point, tout le monde est d'accord. Chez Gira Sic Conseil, on évalue ainsi le chiffre d'affaires total de ce circuit parallèle à 40 milliards de francs. A titre d'exemple, le chiffre d'affaires global des différents sites Escapade se monte aujourd'hui à 45 millions de francs, celui des unités françaises de restauration chez Ikea avoisine les 200 millions de francs pour 1998, quant à celui de l'Emporio Armani Café, il atteint désormais les 550 000 francs par mois.
De plus, ces restaurants parvenant dans certains cas à se trouver leur clientèle propre sont parfois générateurs d'une nouvelle clientèle pour le magasin auquel ils sont liés. "Il existe des sites, comme à Bordeaux, où, en semaine, 70 % des clients du restaurant Ikea viennent de l'extérieur et non pas du magasin", indique le directeur de la restauration d'Ikea.

La rentabilité : une nouvelle motivation

L'ampleur de ce succès a parfois surpris ces nouveaux restaurateurs. Ainsi, au départ, la plupart d'entre eux ont imaginé de tels concepts dans le but essentiel de satisfaire, voire de devancer, les attentes de leur clientèle. Aujourd'hui, forts de leurs premiers résultats plus que satisfaisants, ils affichent également des objectifs de rentabilité plus ou moins précis.
Jean-François Orsini bénéficie, grâce à l'ancienneté et à la solidité du secteur restauration d'Ikea, du recul suffisant pour analyser cette évolution. "Si vous dites - ce qui était notre cas - que nos restaurants sont là pour souligner l'aspect suédois du magasin et pour éviter que les gens nous quittent parce qu'ils ont faim et soif, il est possible d'arriver à mettre en place une forme de restauration, mais avec des moyens considérables. C'est le tort dans lequel tout le monde tombe. Aujourd'hui, on veut aussi une certaine rentabilité. C'est nécessaire pour éviter la gabegie. Mais ça ne doit pas être le but unique car la rentabilité ne se compare pas à celle du magasin. Il faut avoir les deux objectifs en tête sinon, soit on oublie le client, soit on oublie la rentabilité."
L'attitude des pétroliers est très proche. L'idée de départ consistait sans nul doute à proposer le maximum de services aux clients sur un même point de vente. Mais, comme l'avoue avec réalisme François Lécosse "aujourd'hui on travaille également dans une deuxième démarche. L'activité carburant pure est peu rentable et la restauration apparaît comme un bon moyen d'améliorer la productivité de nos sites."
Même dans le domaine du luxe, la notion de rentabilité n'est pas totalement absente de la mise en place d'un restaurant. "A la base, Armani a créé son propre service de restauration, rappelle Thierry Burlot. La retombée financière de service n'était ni immédiate ni cruciale. Mais aujourd'hui il donne à des spécialistes l'exploitation de ses restaurants. Cela conduit à deux choses : Armani doit contenter sa clientèle mais nous, nous sommes obligés de gagner de l'argent puisque nous avons simplement la société d'exploitation."
Les seuls à se détacher complètement de cette notion de rentabilité sont justement ceux qui proposent l'offre à la fois la plus limitée et la plus récente. Ainsi, les Fnac Café comme les Ciné Café de Gaumont semblent encore éloignés de cette motivation. "Le concept de Ciné Café apporte un plus en matière de services à la clientèle, mais pas vraiment en matière de chiffre d'affaires, avoue Laurent Allegret. Si on ne pensait qu'à la rentabilité, on resterait au pop-corn au lieu de proposer des sandwiches ou des panini." Le discours de Pierre-Jean Richard est très proche et met lui aussi en avant un "service pour les clients", sans "rentabilité attendue".

Des professionnels plus vrais que nature

Quelle que soit la motivation à l'origine de la mise en place du concept, sa réussite vient également du grand professionnalisme de tous ces nouveaux prestataires. Si la restauration n'est pas leur métier d'origine, ils se sont tous lancés dans l'expérience avec le plus grand soin.
Dans certains cas, le développement de ce concept a même été confié à des spécialistes de la restauration. Patrick Druart, chez Virgin, est directeur du Virgin Café au même titre que n'importe quel autre directeur de restaurant. Thierry Burlot s'est vu confier l'exploitation de l'Emporio Armani Café en partie sur la base de son expérience de cuisine française gastronomique et de son passage au Crillon, chez Maxim's ou chez Potel et Chabot. Et chez Total, c'est à une ancienne restauratrice, Claude Léonard, que la responsabilité des projets Crocade ou Café Bonjour a été accordée.
Que les opérations aient été pilotées par des professionnels de la restauration ou non, elles ont, en tout cas, toujours été menées dans le plus grand respect de la clientèle. Tous affirment leur attachement à la qualité et au rapport qualité prix. Que l'objectif soit d'offrir un simple sandwich ou une cuisine plus élaborée, la volonté de satisfaire cette demande de la clientèle est constante. Pour Thierry Burlot, il s'agit même de l'une des motivations de départ dans sa participation au restaurant parisien d'Armani. "Le challenge m'intéressait car c'était une démarche gastronomique : travailler le plus élégamment possible le meilleur produit." Et il ajoute : "Si un restaurant dans une boutique n'a pas une démarche qualitative, ça ne peut pas marcher et ça ne dure pas."
Ce souci de la qualité revient ainsi dans toutes les bouches, depuis Laurent Allegret, chez Gaumont, qui l'érige en "priorité" à François Lécosse chez Shell qui s'efforce de faire passer le message de la qualité à travers la mise en avant de l'origine des produits ou de leurs marques (la viande française, l'andouillette de Troyes, le café Segaffredo...).

Un avenir radieux

Cette notion de qualité est d'autant plus importante dans une activité parallèle qu'elle est susceptible de jouer sur l'image que le client peut avoir du produit de base lui-même. C'est d'ailleurs ce qui peut pousser certains à accentuer la cohérence entre l'activité principale et cette prestation annexe à travers une restauration à thème. Si Armani propose de la cuisine italienne, c'est dans le but avoué de renforcer l'idée d'un "esprit Armani". De même, Ikea doit une part de son succès à l'image suédoise de l'enseigne, "très positive en Europe", selon Jean-François Orsini. Le choix d'une restauration aux tonalités scandinaves ne pouvait donc que contribuer à asseoir cette image et à garantir un certain succès aux unités de restauration. La démarche entreprise par Décathlon est assez similaire : en mettant en place des points de petite restauration diététique, la chaîne de magasins d'équipement de sport accentue le slogan du magasin "A fond la forme".
En travaillant dans le respect des règles de professionnalisme, en recherchant en permanence la satisfaction de la clientèle, ces restaurateurs du troisième type se préparent très probablement à un très bel avenir dans le secteur. Parce que, une fois surmontées les difficultés de départ, ils bénéficient de tout un contexte qui ferait rêver nombre de professionnels du secteur : énormes machines de communication et marketing, rayonnement sur l'ensemble du territoire national, voire international, assise financière solide. Comme le fait remarquer non sans bon sens Thierry Burlot : "Le seul risque financier pour Armani en ouvrant un Emporio Armani Café, c'est de sacrifier 170 m2 de sa boutique pour la restauration." Une telle concurrence a donc non seulement de quoi troubler les restaurateurs d'aujourd'hui, mais aussi de quoi les rendre jaloux !


Total : Crocade


Gaumont : Ciné Café


Ikea


Virgin Café


En plus des traditionnels restaurants, Ikea multiplie les points de vente de restauration pour satisfaire la clientèle à chaque moment de sa visite du magasin : bar à proximité des caisses et chariots mobiles.


"Nos Ciné Café ne veulent pas se substituer aux bars ou aux restaurants, affirme Laurent Allegret chez Gaumont. Au contraire, sur plusieurs de nos sites, on encourage l'installation à proximité de restaurants ou de fast-foods."


Avec seulement deux sites Café Bonjour en France aujourd'hui, Total prévoit un développement rapide de ce deuxième concept de restauration, pour atteindre très bientôt la vingtaine de points de vente. Des installations au cœur des villes sont loin d'être exclues.

Les principaux acteurs des circuits parallèles

Une liste exhaustive des "restaurateurs du troisième type" est encore impossible à établir. Il est néanmoins possible d'énumérer les principales catégories de circuits parallèles.

n Les métiers de bouche
Ce sont les plus anciens et les plus connus : boulangeries, charcuteries, boucheries. On estime aujourd'hui que 75 % des boulangeries françaises proposent au moins des sandwiches à emporter.

n Les magasins
A côté des grandes chaînes de l'ameublement et des loisirs (Ikea, Habitat, Virgin Megastore, Fnac, Décathlon...) ou des grands magasins du type Galeries Lafayette, Printemps ou Samaritaine, une multitude d'autres enseignes (Celio, Armani, Lanvin, Ventilo...) se lance aujourd'hui dans la restauration.

n Les pétroliers
En France aujourd'hui, il faut surtout compter sur Total qui regroupe sous ses deux enseignes, Crocade et Café Bonjour, environ 70 sites, et Shell, avec ses 31 Escapade. Ils affichent déjà une volonté de développement marqué.

n Les cinémas
Les principaux acteurs du circuit parallèle sont également ceux qui développent les grands complexes cinématographiques : UGC, Gaumont et Pathé. Il s'agit exclusivement de restauration rapide.

n Les théâtres
Ils se lancent eux aussi dans l'aventure. Mais l'absence de réseaux dans ce domaine restreint quelque peu l'essor de cette double activité.

n Les musées
Longtemps cantonnés dans les buffets-buvettes peu engageants, les musées prennent eux aussi part à cette nouvelle tendance. Le plus bel exemple est sans doute celui du Café Jacquemart-André, au sein du musée du même nom à Paris.

n La grande distribution
Les projets sont surtout à l'étude. Mais compte tenu du poids de ce secteur, de ses liens privilégiés avec les consommateurs, ils ont la puissance nécessaire pour devenir très vite des acteurs de premier plan de la petite restauration hors domicile.

n Les autres services
Là c'est une question de prospective. Si on n'a pas encore relevé d'expériences nouvelles dans ce domaine, on peut très bien imaginer que demain une chaîne de salon de coiffure, par exemple, tente l'expérience.


L'HÔTELLERIE n° 2599 Magazine 4 Février 1999

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