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LICENCE IV
Bière

Les cent ans de la Brasserie Jeanne d'Arc

Comment résister en CHR ?

Cette brasserie traditionnelle du Nord, reconvertie aux spécialités, se développe en grande distribution et fait de la résistance en CHR.

Par Alain Simoneau

Peu d'entreprises de brasseries familiales ont résisté aux bouleversements qui ont affecté ce métier depuis le début du siècle. Jeanne d'Arc à Ronchin en agglomération lilloise est de celles-là. Elle appartient à ce petit club nordiste et alsacien qui a su prendre les virages à temps. Fondée en 1898 par Henri Vandamme, elle devient quelques années plus tard propriété du grand-père de l'actuel chef d'entreprise, Dominique Leclercq. L'entreprise a connu quatre époques. D'abord brasserie artisanale livrant les cafés à portée de voitures à cheval, elle trouve ensuite son véritable développement dans la « chine » - autrement dit la vente de bière en bouteilles consignées sur le pas de la porte des particuliers - et le litre en commerce de détail. Nouveau virage sur l'aile après-guerre, la brasserie se lance dans la sous-traitance, brasse embouteille et étiquette pour le compte de tiers sans pour autant abandonner la chine. L'activité s'étend aux boissons gazeuses et au négoce. Mais les jeunes années de la grande distribution - Auchan est né quelques kilomètres au nord - obligent à une nouvelle reconversion. Entré dans l'affaire en 1962, Dominique Leclercq succédant à son père Charles, flaire le temps venu des spécialités. En 1975 et 1976, Jeanne d'Arc redécouvre les bières saison et lance la bière de Noël, première des temps modernes, puis la bière de mars. « Nous laissons filer la chine doucement, mais elle existe toujours, nous débutons en verre perdu sans abandonner pour autant le consigné, et nous réfléchissons à des innovations », résume Dominique Leclercq.
Ce sont surtout les dernières années qui ont été riches. Quatre produits majeurs lancés en cinq ans sont désormais présents sur le marché des spécialités. La Belzebuth est la pure malt la plus forte du monde (15 °C), à boire en apéritif dans des demi-verres. L'Orpal Première est une blonde destinée au service à table, avec bouteille sculptée et bouchage de porcelaine. Pour compléter le vaisseau amiral de la brasserie à la pression, l'Orpal Blonde, pils de 5,2 °C. La Grain d'Orge est le porte-drapeau de la maison en matière de qualité, et constitue son cheval de bataille sur le marché des bières de spécialité. C'est une bière de garde de fermentation haute lancée en 1994, dense, (8 °C) au goût fumé très aromatique et typé, médaille d'or au concours des bières de spécialité de Vale, Colorado, en 1996. Elle était le thème de cette année pour la « quinzaine de caractère » des tables régionales du Nord-Pas-de-Calais. Sa cousine l'Ambre des Flandres est plus chaude de couleur, moins alcoolisée (6,4 °C), plus ronde et de consommation plus courante.

Succès, mais...

La brasserie Jeanne d'Arc a sans conteste réussi son virage. Sans abandonner brutalement ses marchés traditionnels, elle s'est bel et bien risquée ailleurs avec succès. Pour son centenaire, elle brasse 100 000 hl pour 53 MF de CA et emploie 71 salariés. Les investissements surtout orientés vers le conditionnement et le contrôle qualité ont atteint 3 MF en 1992, autant en 1993, et se situent depuis régulièrement autour de 2 MF par an. Les CHR pèsent 20 % du CA en direct, plus une partie des 30 % distribués par le circuit régional des grossistes traditionnel, chiffre dans lequel est inclus la chine, qui ne disparaît pas aussi vite que prévu. 10 % du CA est exporté. La grande distribution ne cesse de progresser et atteint 40 % des ventes. Bien présente en Italie, au Canada, aux Pays-Bas, en Espagne, l'entreprise vise particulièrement aujourd'hui le marché britannique. Dès à présent, les bières de spécialité représentent 10 % seulement des volumes, mais 25 % du CA.
La première question qui se pose à Jeanne d'Arc comme à tous les brasseurs, concerne le marché des CHR. Car le succès actuel vient avant tout de la grande distribution et de l'exportation (qui vise d'ailleurs souvent à l'étranger le marché CHR de luxe ou très branché). Les investissements commerciaux et l'évolution de l'effectif excédentaire en production iront plutôt vers le merchandising en hypermarchés. Jeanne d'Arc dispose bien d'un parc de cafés sur son territoire, et de relations excellentes avec les distributeurs encore indépendants. Mais au moment où se poursuit la concentration des réseaux, alors que les grands de la brasserie se sont tous constitués une gamme de spécialités, au moment aussi où les bistrots et restaurants se spécialisent et se concentrent au cœur des villes, l'action des brasseries de taille familiale pose problème. Même pourvues d'une cellule marketing de longue date, même très présente auprès des professionnels, ces brasseries ne peuvent progresser sans l'attention des bistrotiers et des distributeurs, sans un effort de pédagogie commerciale très soutenu auprès de la clientèle. Faute de quoi, l'ennui et les mauvaises affaires naîtront de l'uniformité.


Dominique Leclercq (à gauche) p.-d.g. de la brasserie Jeanne d'Arc, et Simon Berdugo, responsable commercial. Difficile pour le marché CHR face aux géants intégrés de la distribution.


L'HÔTELLERIE n° 2595 Magazine 7 Janvier 1999

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