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LICENCE IV
Bière

Nord/Pas-de-Calais

Le retour du terroir

Affaire de géants, la brasserie en Europe comme en Amérique du Nord devient aussi une activité de micro-entreprises. Exemples dans le Nord/Pas-de-Calais avec les brasseries Bécu de Fampoux près d'Arras et Thiriez à Esquelbecq non loin du littoral Nord.

Par Alain Simoneau

On a compté quelque 1.500 brasseries de village dans le Nord de la France et elles avaient toutes disparu. Les voilà qui reviennent. Avec des histoires différentes, mais des points communs évidents : une petite quantité brassée et une croissance volontairement limitée, le choix de produire des bières sur lie refermentées en bouteille à forte personnalité, beaucoup de prudence dans l'abord du fût, et une clientèle régionale, voire locale, composite, aussi directe que possible, où restaurants et bistrots ne trouvent une place que s'ils jouent eux aussi la carte terroir.

 
La bouteille de 75 cl est le conditionnement de base des bières artisanales. Elle est adaptée au repas à deux ou quatre à une table à connotation "terroir".

Pour Pierre et Anne Bécu, la petite quarantaine, c'est un retour aux sources après six générations dans le métier. De 1960 à 1990, la brasserie de Fampoux, à quelques kilomètres à l'Ouest d'Arras, a cessé de fonctionner dans le mouvement des concentrations successives. Comme beaucoup, le père de Pierre Bécu est passé au négoce et à l'embouteillage. Mais cette activité se concentre aussi. En 1992, Pierre Bécu et sa famille décident de reprendre le collier. Ils disposent de l'ancien site familial, d'imposants bâtiments typiques de l'industrie rurale début de siècle. Après deux ans de recherche, ils créent l'Atrébate (le nom de l'antique peuple artésien, un nom trouvé après une consultation locale). C'est une bière de garde sur lie 100% malt ni pasteurisée ni filtrée à 6% alc. Elle est légèrement houblonnée en version blonde, plus ronde et fruitée en ambrée, pleine en bouche et presque sucrée en brune. Ni additifs ni colorants bien sûr, pas même d'épices à signaler.

Commercialisée depuis 1994, elle a été produite à quelque mille hectolitres en 1997, à 47% en blonde, 20,4% ambrée, 8,6% brune et le solde en bières de saison. L'essentiel est produit en bouteilles de 75 cl bouchées au liège, distribuées à plus de 50% en direct aux particuliers et au petit commerce spécialisé à proximité. Les grandes surfaces réalisent déjà 3% des ventes en 1997. Les CHR, d'abord les restaurants, comme le Gavrelle à deux pas, ne pèsent que 10% des ventes et les dépositaires 2,3%. Un seul client, l'Estaminet des Arcades au centre d'Arras (lire l'encadré) a le privilège du fût. "Nous en produisons une trentaine par mois, à raison d'un seul brassin pour fûts", commente Anne Bécu. Son mari est la prudence même. Pierre Bécu envisage de tripler la production, mais il ne dit pas dans quel délai. Car cela lui imposerait d'investir en partie dans du matériel neuf de conditionnement, ce à quoi il s'est toujours refusé jusqu'à présent. Côté brassage, la méthode consistera à multiplier les brassins plutôt qu'à augmenter la taille des cuves, pour préserver la saveur du produit. Les décisions mijotent à feu doux...

Pour les restaurateurs

Le Lillois Daniel Thiriez, 37 ans et son épouse québécoise n'ont rien à voir avec le milieu de la bière. Cet ancien Sciences Po a tenté le grand saut de la création d'entreprise après onze années de grande distribution, notamment en spécialité relations humaines. Il connaît bien la Belgique, le Canada, s'intéresse à la bière, sent un créneau. Une étude de marché globale lui fait qualifier l'offre de "limitée" par rapport aux attentes du consommateur. Il peaufine son projet en deux ans, apprend le métier en stages successifs en Belgique surtout et en Lorraine un peu. Et c'est l'installation, un changement de vie complet, dans une ferme située à Esquelbecq, un village de charme en Flandre maritime. "Mon idée était non seulement de créer une bière traditionnelle naturelle brassée à petite échelle, mais aussi de faire revivre le métier et sa culture aux yeux des visiteurs, de l'ancrer localement", explique-t-il. Il débute en janvier 1997 et brasse un peu moins de 580 hl pendant cette première année. Il produit la Blonde d'Esquelbecq, elle aussi pur malt et de fermentation haute, sur lie, ni filtrée ni pasteurisée assez houblonnée avec une vraie présence d'amertume. La Brasserie Thiriez propose aussi une ambrée, plus douce et légèrement épicée. Les deux bières sont vendues en bouteilles de 75 cl, mais capsulées.


Daniel Thiriez a fait le choix d'un matériel de brassage neuf et instrumenté.

Daniel Thiriez a pris le risque d'investir un million de francs dans du matériel neuf "qui se nettoie très bien et est relativement automatisé en contrôle des températures", explique-t-il. Il travaille en famille, emploie un salarié et assure avoir un peu plus qu'équilibré ses comptes en se payant modérément. Il progressera modérément à 700-800 hl en 1998. Les particuliers des environs immédiats ont été les premiers clients, suivis des touristes de passage, par exemple à l'occasion du carnaval de Dunkerque. La seconde clientèle est constituée des commerces de proximité, pas nécessairement spécialisés dans la boisson. Ces deux segments représentent largement plus de la moitié des ventes. Puis pour 10 à 15% des ventes viennent les restaurants auberges et estaminets à caractère flamand. L'Auberge du Noordmeulen à Steenvoorde (lire encadré), l'Auberge du Vert Mont à Boeschepe ou l'Estaminet t'Kasteelhoof à Cassel, figurent parmi les bons clients. Trois grandes surfaces complètent le pannel des clients. La Brasserie Thiriez ne vend pas encore aux cafés, mais le fût est très sérieusement à l'étude vraisemblablement pour le courant de cette année. Inutile de dire qu'il s'agira encore de petites quantités réservées à des spécialistes.

Ni micro-brasseries implantées dans un café, ni PME déjà industrialisées comme Duyck (la Jenlain), Castelain (la Ch'ti) ou Jeanne d'Arc (la Grain d'Orge), ces brasseries artisanales inventent un nouveau créneau. Un créneau qui au milieu des géants semble promis à un avenir en Europe comme en Amérique du Nord. Les professionnels de la restauration proches de ces établissements savent en faire usage et témoignent de la curiosité du consommateur. Il faut la satisfaire. D'autant, en CHR comme à domicile, que le consommateur est disposé à payer le prix d'une bière de spécialité. Seul vrai problème directement lié aux faibles quantités produites, ces bières assez chères en coût de revient (même si la bière contient beaucoup d'eau, comme le rappelle Daniel Thiriez) supportent assez mal les marges d'intermédiaires. Pour abaisser les coûts, il faudrait atteindre les 10.000 hl, mais alors ce ne seront plus des bières artisanales, mais de véritables produits de petites industries.

 

Au tirage et à feu doux


Denis Gariniaux à l'Estaminet des Arcades à Arras a décidé de jouer à fond la carte terroir. Son tirage d'Atrebate est unique en son genre.

Denis Gariniaux le jeune patron de l'Estaminet des Arcades place des Héros à Arras a eu lui-même l'idée d'utiliser l'Atrebate de Bécu. C'est pour lui seul pour le moment que Bécu brasse une fois par mois pour remplir quelque trente fûts. L'Atrebate est proposée parmi cinq tirages de Bavik de Courtrai, de Straffe Hendrik de Bruges et de Blanche de Namur achetés au Cellier des Bières, un dépositaire arrageois spécialisé. Ce choix belge qui ne doit rien au hasard. Cet ancien garçon de 35 ans est à son compte depuis un an. Il a repris l'estaminet en liquidation et a débuté après très peu de travaux, un peu de peinture et de sanitaires, sans contrat d'obligation. L'Estaminet des Arcades est un petit établissement étroit et en profondeur au cœur du centre historique, avec une discrète mais superbe entrée de bois quand on prend la peine de la regarder, bien sûr sous les arcades. Son idée ? "Tout le monde fait dans l'anglo-saxon, moi dans le terroir". A côté d'un plat du jour qu'il exécute sur place, il sous-traite des plats flamands pour le coup de feu de midi. Sans triomphalisme, il pense que son choix a été bon. Il ferme trois semaines ce début de printemps pour améliorer son décor et construire une cuisine digne de ce nom. Il croit à son affaire mais s'exprime prudemment : "à Arras tout se sait très vite. Il faut être rigoureux".

Steenvoorde à mi-chemin de Lille et Dunkerque est un bourg rural encore bien plus petit... Et l'auberge du Noordmeulen joue sur un autre registre. Ce restaurant de campagne de 80 places s'est fait une spécialité des plats flamands mijotés trois à quatre heures. Il est ouvert tous les jours sur réservations. La bière y est travaillée dans les plats autant que servie pour aider le potsche vleesch à trouver sa voie. Le client à l'entier choix entre vins et bières. Mais les clients, beaucoup d'habitués demandent les deux bières de la maison : la Trois Monts de la Brasserie Ricour ou la Blonde d'Esquelbecq. Ces bières sont une attraction pour la maison, un véritable thème. Les clients sont curieux. Habitués à la Trois Monts, ils ont essayé la nouvelle Blonde d'Esquelbecq dès son arrivée. Puis ils font leur choix selon l'humeur du jour.


L'HÔTELLERIE n° 2560 Magazine 7 Mai 1998

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