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du 6 mai 2004
RESTAURATION

LAGUIOLE (12)
Michel Bras, la vie en harmonie

Le cuisinier de Laguiole est un homme à part dans un univers désormais tellement médiatisé. L'homme ne recherche ni la gloire, ni le feu des projecteurs. Il se montre pourtant volontiers disert si l'on parle de son métier et de l'avenir de sa maison, où son fils Sébastien se sent bien dans son rôle d'héritier.


Michel Bras

Douze ans déjà que Michel et Ginette Bras ont tenté le pari insensé de s'implanter au Puech du Suquet, un coin perdu à 1 225 mètres d'altitude, au-dessus de Laguiole dont on voit le clocher, tandis que la vue se perd sur l'Aubrac. Pari gagné pour le couple : leur univers et leur coin de paradis sont adoptés par les gourmets du monde entier, amoureux d'une nature dont le chef, imité par son fils, à fait son credo.

L'Hôtellerie : Vos parents étaient installés dans le village où vous avez débuté à leurs côtés en 1962. Trente ans plus tard, n'était-ce pas un pari que de vous installer au Suquet ?

Michel Bras : Exister à Laguiole est, de toute façon, une volonté comme celle de fermer la maison pendant l'hiver. S'installer au Suquet peut effectivement s'apparenter à un coup de folie, mais nous avions envie de faire quelque chose qui nous ressemble. D'aucuns pensaient que nous pourrions échouer, et c'est vrai que ce n'était ni facile, ni gagné d'avance. Nous avons même galéré pendant plusieurs années et si ce lieu à l'avant-garde est aujourd'hui porté aux nues, cela n'a pas toujours été le cas. J'avoue que je ne sais pas si je le referais aujourd'hui.

L'Hôtellerie : Où situez-vous la clé de votre succès ?

Michel Bras : Dans une société où tout est tellement bâti sur l'éphémère et le paraître, les clients ont besoin d'une 'rassurance' qu'ils savent trouver chez nous. Ils ont besoin de retrouver des certitudes et d'échanger. Nous sommes attachés à l'essentiel. Tout repose sur la cohérence entre ce qui est servi et l'atmosphère qui se dégage en lien avec une nature qui nous est chère.

L'Hôtellerie : Quel jugement portez-vous sur la cuisine et pensez-vous qu'en France la créativité est toujours au rendez-vous ?

Michel Bras : (Silence) J'avoue que je change tous les jours d'idée sur le sujet (sourire). Mon ami Olivier Roellinger parle d'une "cuisine de tagueurs", et je crois que cela résume assez bien mon sentiment. La cuisine reflète la société actuelle où l'on va très vite dans tous les sens. Il faut étonner, voire provoquer au quotidien, mais je pense que tout cela atteindra ses limites car, je le répète, les clients ont besoin d'être rassurés. Il me semble pourtant que la cuisine française se porte bien. Elle respire dans le bon sens et prône la vérité des produits. Avec Pierre Gagnaire, Michel Troisgros ou Olivier Roellinger, pour ne citer que ces trois-là, nous avons quelques belles signatures de créateurs.

L'Hôtellerie : Vous parliez d'une propension à provoquer : vous en êtes l'antithèse en vivant votre vie et votre métier à votre rythme. Cette situation de saisonnier est-elle si évidente à vivre, en particulier vis-à-vis du personnel ?

Michel Bras : Globalement, je n'ai jamais rencontré de problème de personnel, car nous le respectons et je pense que cela se dit dans le métier. Nous sommes depuis longtemps aux 39 heures, les cuisiniers travaillent 4 jours par semaine et la salle 4 jours et demi : tout est planifié et nous respectons les amplitudes de repos et de travail. Tout le monde participe au pot commun des pourboires, cela contribue au respect et nous avons seulement 20 à 30 % de renouvellement par saison, ce qui me paraît peu. De vrais liens existent. Certains sont ici depuis 10, 15, voire 20 ans, avec une quinzaine de permanents à l'année. C'est un état d'esprit, une ambiance particulière entretenue à travers Les Bras KC, association sportive et culturelle du type loi 1901, réunissant tous ceux qui travaillent ou ont travaillé ici.

L'Hôtellerie : Vous ne cachez pas que vous préparez votre succession (1). Est-ce si facile et comment l'envisagez-vous ?

Michel Bras : C'est vrai que c'est un sujet d'actualité. A 58 ans, j'aspire à autre chose, même si j'adore mon métier au point de ne pouvoir encore me passer de l'ambiance quotidienne du restaurant. Mais je crois qu'il faut aussi savoir lâcher la bride pour ne pas mettre mon fils Sébastien et son épouse Véronique dans une situation délicate. Il est imprégné des mêmes valeurs que m'ont transmises mes parents et tout se passe très bien entre nous. Nous travaillons ensemble depuis 10 ans, mais c'est vrai que c'est la première année où nous avons fait le choix de le mettre en avant. Même si l'héritage est lourd, je ne me fais pas trop de souci, car c'est un garçon intelligent dont l'éducation est basée sur le bon sens. Ce sera une passation en douceur, puisque je me donne encore 4 à 5 ans pour lui laisser totalement la main, mais cet hiver, le processus de transmission du patrimoine s'est mis en route (2).
J.-F. Mesplède zzz18p zzz22v

(1) Le 27 novembre 2003, un reportage télévisé pour Des racines et des ailes abordait très nettement le sujet.

(2) Epoux de Véronique, père de Flora (2 ans 1/2) et Alban (6 mois), Sébastien Bras habite désormais au Suquet tandis Michel et Ginette Bras sont installés à Soulages-Bonneval à une quinzaine de kilomètres de Laguiole. Sébastien est entré le 1er janvier 2004 dans la SAS qui gère la SA Bras.  

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L'Hôtellerie Restauration n° 2871 Hebdo 6 mai 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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