Pour permettre aux restaurateurs de se forger une opinion sur les OGM, Alain Senderens, chef de Lucas Carton, Henri Charvet, président d'Euro-Toques France et André Daguin, président de l'Umih, ont invité des experts à participer à un colloque lors du dernier salon Equip'Hôtel.
Les OGM sont-ils un danger pour les consommateurs et l'environnement ou bien au contraire représentent-ils une solution 'miraculeuse' pour résoudre les problèmes des utilisations abusives de pesticides, herbicides et pour éradiquer la faim dans le monde ? Contribueront-ils à renforcer les qualités nutritionnelles des aliments ou bien engendreront-ils des allergies ou autres maladies à long terme ? "Et qu'en sera-t-il du goût des produits de nos terroirs et de nos recettes ?", a demandé, plutôt inquiet, Alain Senderens, chef du Lucas Carton. Les experts scientifiques invités à ce colloque ont émis des avis bien partagés. Conclusion, il est impossible à l'heure actuelle de répondre avec certitude à toutes ces questions. "Chaque expert selon sa spécialité n'étudie qu'un aspect de la question, explique Francine Casse, professeur de biochimie et de physiologie moléculaire des plantes à l'Université de Montpellier. Il faudrait plus de concertation entre les chercheurs." Pour Raphaël Larrere, directeur de recherche à l'Inra, "il existe des scientifiques qui défendent les OGM parce que ceci leur assure des postes et des crédits. Et d'autres qui disent,qu'il faudrait faire des études supplémentaires, mais ces derniers ne disposent ni de crédits ni de moyens humains".
André Daguin, président de l'Umih, exprime les interrogations des restaurateurs
à propos des OGM.
Les pour, les contre
Ainsi, parmi les experts favorables aux OGM, Philippe Jourdrier, membre du comité Biotech
de l'Afsaa, précise que "les OGM résultent de l'histoire de l'humanité. Depuis
le néolithique, les hommes ont toujours cherché à améliorer les plantes. L'apparition
des OGM n'est donc pas un bouleversement, mais une simple évolution qui apporte bien des
avantages. Alors qu'il faut 10 à 12 ans pour sélectionner une nouvelle semence de façon
traditionnelle, avec les OGM, 5 ans suffisent". Par ailleurs, il faut savoir que
les OGM, aux Etats-Unis, facilitent les gestions des immenses surfaces cultivées : d'une
part les agriculteurs n'ont plus besoin de labourer en profondeur, et d'autre part, ils
n'utilisent plus qu'un seul désherbant. Plutôt hostiles aux OGM, Raphaël Larrere et
Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen et
président du conseil scientifique du CRII-Gen*, estiment que les OGM représentent une
véritable révolution car, pour la première fois, on introduit un gène d'une autre
espèce dans le patrimoine génétique d'une autre. "Les méfaits des OGM sur la
santé et l'environnement dépassent de beaucoup ce que l'on peut imaginer à l'heure
actuelle à cause de leur grande diffusion commerciale, assure Gilles-Eric Seralini. Il
faut savoir que les plantes rendues résistantes aux désherbants peuvent en absorber
encore plus que les plantes traditionnelles sans mourir. Il faut dire aussi que
l'insecticide introduit dans les gènes est nouveau et qu'aucune étude n'a été
menée." Parmi les autres risques dénoncés par les experts, on peut encore
citer la diminution de la biodiversité, les risques de pollutions transgèniques qui
conduiront à l'impossibilité de faire de l'agriculture biologique telle que nous
l'entendons en Europe, c'est-à-dire à partir de plantes non-OGM.
Alain Senderens demande aux experts si les manipulations génétiques ne
modifieront pas le goût des produits de nos terroirs.
Que doivent faire les politiques ?
"Les scientifiques et les semenciers proposent de nouveaux êtres, commente
Raphaël Larrère. Les citoyens sont donc en droit de demander ce que sont ces nouveaux
êtres, et comment ils vont se comporter avant qu'ils n'envahissent nos assiettes."
Mais que peuvent obtenir les citoyens de la part des politiques confrontés aux avis
discordants des experts, aux énormes pressions des semenciers américains qui veulent
conquérir le plus vite possible toute la planète, et aux plaintes des semenciers
français qui veulent rester dans la course aux OGM et dont les recherches en pleins
champs sont entravées par les anti-OGM ? "Le décideur politique, explique
Corinne Lepage, ex-ministre de l'Environnement et présidente du CRII-Gen, a besoin
d'appuyer son avis sur des considérations scientifiques et autres, car il y bien d'autres
critères qui entrent en jeu. Il doit faire preuve de modestie et d'humilité car nous
sommes en face d'un grand bouleversement. Il doit être scrupuleux. Il ne doit pas
négliger les opinions minoritaires qui seront peut-être majoritaires demain. J'ai
toujours demandé d'interdire les OGM car la vraie question est : A quoi ça sert ? Je n'y
vois aucun avantage collectif. Je n'y vois que des risques collectifs et des avantages
individuels. Les OGM sont entre les mains de trois grandes firmes internationales qui ont
pour stratégie délibérée d'empêcher à terme une filière sans OGM. Elles mettent
obstacles sur obstacles à la mise en place de la traçabilité et à l'application des
règles d'étiquetages relatives aux OGM." Dominique Chardon, président de la
Sopexa, partage ces craintes : "Il faut absolument mettre en place le principe de
précaution, et faire appliquer la réglementation relative à l'étiquetage des OGM, explique-t-il.
L'obscurantisme n'amène pas à progresser. Avant de permettre que les OGM
n'envahissent la planète, il faut absolument mesurer les risques environnementaux,
agrobiologiques et sanitaires. A chaque fois que l'on va trop loin, au-delà des règles
du vivant, ce sont les paysans qui en pâtissent. Nous l'avons bien vu avec l'ESB et les
farines animales."
Henri Charvet, président d'Euro-Toques France se fait le porte-parole des
restaurateurs qui veulent continuer à pouvoir cuisiner avec des produits bons et sains.
Du semencier au distributeur
François Thiboust, directeur des relations extérieures Aventis CropScience France et
porte-parole des semenciers et industriels du secteur, estime que "ces
précautions sont inutiles et ces craintes infondées". "Les firmes
internationales, explique-t-il, ne regardent qu'au niveau des grands marchés, là
où elles trouvent du profit à faire. Le marché est en effet énorme. En 1999, 39
millions d'hectares ont été plantés en OGM, en 2000, 44 millions, et en 2001, 50
millions. Les OGM progressent bien. Au Brésil où les OGM sont interdits, le marché des
semences traditionnelles a considérablement chuté, mais aucune semence OGM n'a été
vendue. Les paysans ont importé en fraudes des semences à partir du Chili. Seule
l'Europe résiste." Michel Dauton, agriculteur et administrateur de l'AGP Maïs
(Association générale des producteurs de maïs), appuie les propos de François
Thiboust. "Les OGM, explique-t-il, nous permettrons de mieux adapter les
cultures aux différents besoins des industriels de l'alimentation humaine ou animale. On
ne peut pas être contre les OGM. Il faut réfléchir au cas par cas et mettre en place la
traçabilité mais cela a un coût." Chantal Jacquet, directrice prévention,
santé, sécurité, environnement de Carrefour, estime qu'il est difficile de satisfaire
les 30 % de consommateurs hostiles aux OGM. "Il est impossible aujourd'hui de
garantir des produits 0 % OGM, confie-t-elle. Parce que d'une part, la pollution
des cultures non-OGM par les cultures OGM est bien réelle et que les méthodes de dosages
des OGM qui existent à l'heure actuelle ne sont pas homologuées. Il faut pourtant
assurer la traçabilité, et faire appliquer la réglementation-étiquetage relative aux
OGM. Les coûts de traçabilité doivent être partagés entre la filière agricole, les
industriels de l'agroalimentaire et les distributeurs." "Et, puis,
demande-t-elle, si les OGM sont plutôt une chance pour l'humanité pourquoi la
réglementation ne prévoit-elle pas d'écrire en gros sur l'étiquette la mention
'Présence d'OGM' ?" Il faut savoir que la plupart des grands industriels de
l'agroalimentaire cherchent à éviter à tout prix que l'application de la
réglementation-étiquetage relative aux OGM soit appliquée. Des études comportementales
réalisées par l'Inra expliquent facilement pourquoi tous ceux qui veulent promouvoir ces
nouveaux produits les redoutent. "1/3 des citoyens refuserait d'acheter des
biscuits contenant des OGM même si le prix de ces biscuits était inférieur de 40 % à
des biscuits garantis sans OGM, expose Raphaël Larrere. Lors des études, ces
citoyens demandent pourquoi on veut promouvoir les OGM, et expriment leur manque de
confiance aux services de contrôles officiels qui ont démontré leur inefficacité lors
de la crise de la vache folle. Du 'risque zéro', ils s'en moquent. Ce qu'ils veulent
c'est 'le mépris zéro'." Quant au goût des produits OGM, tous les
experts étaient d'accord pour dire que ces manipulations génétiques ne le modifiaient
pas. Affaire à suivre.
B. Gutel zzz44s
* CRII-Gen : Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique www.crii-gen.org
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L'Hôtellerie n° 2745 Hebdo 22 Novembre 2001