Etoile perdue et licenciement
Licencié pour perte d'étoile au guide Michelin, l'ex-chef du Grand Hôtel de la Reine à Nancy touchera 315 000 F de dommages et intérêts. La cour d'appel de Nancy a décidé que le licenciement était injustifié car l'appréciation sur la cuisine de Michel Douville reposait sur des éléments subjectifs.
La chambre sociale de la cour
d'appel de Nancy a rendu son verdict le 30 octobre, redonnant ainsi à Michel Douville son
honneur perdu de chef de cuisine. Débouté devant les prud'
hommes en janvier 1999, l'ancien chef du Grand Hôtel de la Reine, propriété du groupe
Concorde, qui avait exercé dix ans aux fourneaux du prestigieux établissement de la
place Stanislas, avait demandé 600 000 F de dommages et intérêts, l'équivalent de
trente mois de salaires. Il en a obtenu un peu plus de la moitié. Il n'y aura pas de
réintégration du chef dans ses fonctions. Mais c'est plutôt sur le fond que ce jugement
est particulièrement intéressant. Il risquait en effet d'entraîner une jurisprudence
qui aurait permis à un employeur de licencier un chef pour la perte d'une étoile au Guide
Rouge. En fait, la chambre sociale de la cour d'appel de Nancy a rendu un jugement
assez nuancé. Elle a estimé dans son arrêt que "la perte d'une étoile au Guide
Rouge avait bien entraîné un préjudice économique pour le restaurant nancéien,
mais le guide ne constitue pas la seule référence en matière gastronomique".
"En fait, le tribunal dit que la perte de l'étoile aurait pu constituer une cause
réelle de licenciement si les éléments jugeant la cuisine de Michel Douville étaient
indiscutables, explique Me Eric Segaud, avocat du chef. Mais nous avons plaidé sur
la notion de subjectivité, car l'appréciation de la cuisine repose sur des éléments
purement subjectifs. Il aurait fallu que l'employeur, le groupe Concorde, amène des
éléments déterminants. Or il n'avait rien à part l'appréciation défavorable du Guide
Rouge, d'autres guides gastronomiques étant beaucoup plus nuancés sur la cuisine de mon
client. A l'inverse, nous avons produit des dizaines de lettres de clients satisfaits,
avant, pendant et après l'étoile. Il n'y a donc pas de jurisprudence de principe après
ce jugement. Mais, dans le cas de Michel Douville, la cour a retenu cette notion de
subjectivité."
A l'annonce de ce verdict, le chef nancéien, qui travaille actuellement dans un
restaurant en Suisse s'est déclaré "soulagé, très ému, mais très blessé par
cette affaire qui l'a mis dans une situation difficile, l'obligeant à quitter Nancy et à
travailler à l'étranger".
Un licenciement toujours contesté
Licencié avec fracas en mai 1998, deux mois après la parution du Michelin, Michel
Douville avait toujours contesté les fondements de son licenciement. C'est ce qu'avait
estimé Me Segaud, le 26 septembre dernier, devant la chambre sociale : "Michel
Douville a servi loyalement pendant dix ans l'Hôtel de la Reine après avoir été chef
de cuisine au Martinez à Cannes et au Royal Club à Evian." Outre cette belle
carte de visite, le chef nancéien avait eu le mérite, ce que personne n'a contesté, de
hisser l'établissement au plus haut niveau au travers de l'étoile Michelin décernée en
1993 sous forme de consécration pour le travail du chef et de son équipe. Las, deux ans
plus tard, Michel Douville était soumis à la critique du nouveau directeur du Grand
Hôtel de la Reine. Il reproche à l'époque au chef "son manque de créativité
et ses absences répétées". Le Michelin se range du côté de la
critique, la sanction tombant en 1998 avec le licenciement pour "perte de
confiance", confirmée par les prud'hommes en 1999.
Pourvoi en cassation
Intervenant au nom de l'employeur, Me Gérard Michel a tenté de démontrer durant
l'audience de la chambre sociale "que le chef déniait à quiconque le droit de
critiquer son travail, or un restaurant est une entreprise comme une autre"
estimant par ailleurs que "le Guide Rouge, après l'obtention de l'étoile,
avait tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises sans pouvoir capter l'attention du
chef. Michel Douville se prenait pour le Bocuse lorrain, son étoile lui était montée à
la toque". En fait, la cour d'appel s'est forgée une autre opinion du dossier,
mais Me Michel persiste : "La cour d'appel a reconnu que la perte d'une étoile peut
entraîner des conséquences économiques graves, et c'est ce que souhaitaient mes
clients." Par contre la cour d'appel a également expliqué dans son arrêt : "Il
n'a pas de faute réelle car le cuisinier n'a pas été alerté par la baisse de
qualité." "Inexacte, estime Me Michel, pour qui le Michelin avait
mis en garde la direction du groupe Concorde dès 1995. Nous allons donc nous pourvoir en
cassation sur ce point." En attendant, le pourvoi en cassation n'étant pas
suspensif, la direction du restaurant devra payer ses indemnités à Michel Douville. La
cour de cassation ne jugeant pas sur le fond, si le procès était annulé pour vice de
forme, une autre cour d'appel prendrait le relais. "Elle aurait sans doute une
approche similaire, estime l'avocat du chef, en tout cas, la décision du 30
octobre est très satisfaisante."
Michel Douville avait toujours contesté les fondements de son licenciement
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'HÔTELLERIE n° 2690 Hebdo 02 Novembre 2000