Les Mille Sources
Au plus profond de la campagne limousine, un restaurateur ne désemplit pas, recevant vedettes, célébrités et gourmets de tous horizons. De quoi rendre jalouses certaines grandes tables parisiennes.
Pour Philippe Coutisson, la
recette est simple : de la bonne cuisine, des produits de qualité, une cave honnête et
un accueil plus que sympathique. Sans oublier un décor rustico-creusois, plein de
souvenirs du terroir, de meubles vernissés et de vénérables porcelaines. Pourtant,
venir s'installer à Saint-Marc- à-Loubaud, c'est-à-dire au bout du monde, au creux du
département français le plus en voie de désertification, est en soi un non-sens pour un
restaurateur. Hors de toutes grandes voies routières, ce petit bourg à vingt kilomètres
d'Aubusson n'a rien pour attirer le touriste, si ce n'est son calme et son environnement.
Forêts profondes, étangs et herbages, population rurale et vieillissante, bref, pas de
quoi faire fortune entre cuillères et fourchettes.
Et pourtant... A 300 kilomètres des enseignes prestigieuses qu'ils fréquentent tels
d'autres leurs cantines, les célébrités du showbiz s'y arrêtent plus que volontiers.
Certains acteurs - Thierry Lhermitte, Arielle Dombasle, Nathalie Baye, Victor Lanoux, pour
ne citer qu'eux s'attablent chez Philippe Coutisson. Les grands sportifs s'y délectent
de mets à faire hurler leur coach, Jabouille, Lafitte, Henri Leconte en tête, sans
oublier les autres, réalisateurs, chanteurs : Claude Miller, Johnny Halliday...
"Ils sont ici entre amis, explique le propriétaire, justement loin de leur
monde habituel, et c'est ce qui leur plaît. Il suffit que l'un d'entre eux, souvent
propriétaire d'une résidence dans les environs (comme Lanoux, Miller, Baye), les emmène
une fois chez moi. Ensuite, cela fait tache d'huile, ils reviennent, avec
d'autres..."
Pour le metteur en scène de Garde à vue (Claude Miller), Les Mille Sources
présente bien des qualités. "Entre amis, sans cravates, journalistes ou
importuns, on déjeune ou l'on dîne, sans soulever la moindre curiosité. Les clients de
Philippe savent être discrets, et, bien qu'assis à quelques mètres de nous, ne
manifestent aucune curiosité. Et puis, il y a la cuisine, le cadre, et toutes les
merveilles de la Creuse." Autre fan local de l'environnement, Victor Lanoux : "Le
gigot ficelle, les pigeons, les omelettes aux cèpes et la rigolade entre copains, tout
est inscrit au menu du jour, s'amuse-t-il. Avec le fantaisiste Guy Montagné, qui
est également implanté dans le coin, nous venons avec femmes et enfants, pour des repas
qui sont loin d'être tristes."
Pour Nathalie Baye, qui, au temps de leur idylle, venait souvent dîner aux chandelles
avec Johnny, la séduction des Mille Sources vient du cadre, de la sérénité du lieu et
de l'accueil des patrons. "Philippe et Patou nous aiment bien et nous leur
rendons. Les autres convives nous reconnaissent inévitablement, mais ne nous agressent
pas, et, à la différence des établissements plus parisiens, nous ignorent
volontairement."
Réussir dans son trou
Hors de ces images d'Epinal, rien n'a été simple pour Philippe Coutisson, employé d'un
grand établissement cannois, mais nostalgique de son Limousin natal. Arrivé le 1er
juillet 1987 sur ce site, berceau de son enfance, il a acheté une vieille bâtisse
fermière dans laquelle naguère il fut en partie élevé. Les investissements sont lourds
: 800 kF, hors matériel, pour transformer écuries et maison de maître en restaurant
capable de recevoir 80 couverts, en deux salles, dont l'une avec une grande table d'hôte
et un étage avec salons. Aux fourneaux, Patricia, autodidacte de la cuisine, qui met au
point quelques recettes basées sur la tradition creusoise et les produits locaux.
Côté promotion, aucune dépense n'a jamais été faite aux Mille Sources. Depuis 11 ans,
la clientèle s'est développée uniquement sur la réputation du lieu et la curiosité du
passage, le village de Saint-Marc-à-Loubaud étant implanté sur l'une des routes reliant
Limoges au Lac de Vassivière.
"Au début, nous avions des journées plutôt creuses, se souvient Philippe.
Mais, petit à petit, le succès est venu, avec une progression financière
régulière."
A raison de 200 à 300 kF de plus chaque année, le chiffre d'affaires parti de zéro est
actuellement à plus de 3 MF. Le restaurant emploie 8 personnes, dont 2 en contrat
d'apprentissage, et reçoit régulièrement des stagiaires issus des LEP de Bourganeuf
(23) et de Loudun, près de Poitiers (86). Les convives se bousculent certains dimanches,
attirés par la réputation montante d'une table qui affiche des prix raisonnables : 250 F
le ticket moyen, vins compris, et 135-195 F les menus fixes. On y déguste les plats
inventés par Patou, Feuilleté de foie gras mi-figue, mi-raisin, sauce bordeaux, la
Cannette de Chaland ficelle, le Pigeonneau farci au foie gras. Des denrées qui ont
intéressé différents guides, Routard, Hubert, Bottin, Get M. Campagnes, et qui
devraient faire faire un détour à d'autres.
L'avenir des Mille Sources s'oriente à présent vers l'hôtellerie. Dans ce mini-paradis
vert au cur du silence et à l'abri de la foule déchaînée, Philippe Coutisson
projette la construction de plusieurs chambres et suites luxueuses, avec piscine couverte,
jacuzzi, et autres aménagements. L'investissement de 2 MF sera en partie soutenu par le
conseil régional au titre du Tourisme (30 %) et devrait trouver sa concrétisation cette
année. De quoi donner envie à quelques personnalités du gotha de passer par là, le
seul danger pour Philippe étant d'être en son domaine, comme en restauration, dépassé
par le succès. Les Mille Sources sont ouvertes sept jours sur sept, et les hivers, aussi
rudes soient-ils, n'empêchent pas les gourmets de s'en approcher.
En Limousin, la phrase d'accueil, répétée en patois, est une tradition que le temps ou
la modernité n'ont jamais pu abolir. Sur le pas de la porte, que l'on soit bourgeois
limougeauds ou paysan corrézien, on reçoit toujours ses invités en leur disant Chabaz
d'entrar. Traduisez : Finissez d'entrer. Aux Mille Sources, une fois le seuil franchit, on
se sent chez soi. C'est peut-être là le secret de la réussite de Philippe et Patou
Coutisson.
J.-P. Gourvest
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L'HÔTELLERIE n° 2682 Hebdo 07 Septembre 2000