Troisième génération à l'Auberge du Forgeron de Seclin (59) C'est une belle affaire que reprend progressivement Philippe Belot des mains de ses parents Raymond et Andrée. Il aurait pu faire carrière dans une grande entreprise, mais c'est le développement de l'auberge qui l'intéresse.
Le fils : "J'arrive
et je pars du principe que je ne sais rien faire, je ne dis rien, j'apprends. Pendant
quelques mois, je n'ai vraiment rien dit. Ce n'est pas évident." Le père :
"J'ai tout fait pour le dissuader, ce qui fait qu'aujourd'hui, il n'a pas le droit
de se plaindre. L'affaire est bonne. Mener un restaurant avec un hôtel est un avantage,
à condition d'être toujours dessus. J'étais sûr de trouver preneur à bon prix. A mon
grand regret, j'ai dû vendre à mon fils." Rude entrée en matière pour ce
passage de témoin entre Raymond Belot, chef propriétaire depuis 1963, et son fils
Philippe, 34 ans, entré dans l'affaire voici cinq ans. Quant à Andrée, maîtresse de
maison et sommelière, elle est "tout de même contente que notre fils prenne le
relais. C'est la 3e génération qui reprend l'affaire". C'est en 1961, à l'âge
de 21 ans, que Raymond Belot a rejoint dans leur affaire les parents de son épouse et a
repris l'établissement 2 ans plus tard. A l'époque c'était un hôtel-restaurant de 11
chambres sans eau chaude, mais avec un poêle à charbon. Aujourd'hui ce Logis de France 3
cheminées, et 3 étoiles NN compte 20 chambres, 45 places dans un restaurant au ticket
moyen proche de 300 F, et un restaurant bistrot de 40 places qui ne désemplit pas à 140
F le ticket. Il emploie huit personnes, dont deux apprentis. Discrète sur le chiffre
d'affaires, la famille veut seulement dire qu'il a augmenté de 17 % en 1999.
La transmission est faite. Les Belot étaient installés en indépendant. Ils ont d'abord
séparé l'immobilier du commerce, et créé une société d'exploitation à trois, père,
mère et fils. "A la date de ma retraite, explique Raymond Belot, Philippe
devient gérant majoritaire de la société d'exploitation ; il fait des économies et
peut reprendre la totalité de l'affaire après quelques années. Nous sommes toujours
propriétaires des murs, et nous louons le fonds." Est-ce la meilleure solution ?
Ce syndicaliste de longue date, toujours président des Logis du Nord, pèse ses mots :
"A chaque affaire sa solution propre. La nôtre est un choix réfléchi. Bien
sûr, il faut mesurer avec soin le loyer, qui doit être compatible avec le revenu
dégagé par l'exploitation. Et il faut un gérant sérieux. 1 an et 4 mois après la
transmission, je dirais que notre choix était correct. J'ai fait valoir mes droits à la
retraite. Le loyer et nos autres placements nous permettent de nous retirer tranquilles."
Ce qu'ils font très progressivement.
Ils ont des points de vue différents sur les investissements. Mais une profonde parenté
unit le père et le fils : Raymond Belot, fils de bouchers-charcutiers, a appris son
métier à la dure et sur le tas comme apprenti boucher. De ses 28 mois d'Algérie, il
préfère évoquer les bons plats confectionnés à la cantine de Constantine. Il a déjà
2 ans d'expérience à Paris quand il débute chez ses beaux-parents. "C'était
difficile, mais le marché permettait de démarrer fort et j'avais une pêche d'enfer",
détaille Raymond Belot. On peut dire qu'il fait partie de cette génération
d'indépendants qui sort du lot et tient tête à sa manière sans rien lâcher aux
chaînes intégrées triomphantes. Le fonds de commerce de l'Auberge du Forgeron est
solidement implanté dans Lille-Sud, entouré de zones d'activité parmi les plus
dynamiques de la région.
Un autodidacte déterminé
Philippe Belot a fait l'Institut supérieur de commerce (ISC) de Paris. Il a débuté 3
ans chez Auchan, au rayon poisson puis aux jouets, avant d'entrer dans une entreprise
américaine de jeux de société, loin de la restauration... Mais l'idée de revenir ne
l'avait jamais quitté. De ce parcours, il a gardé le goût des chiffres et de la
gestion, le management d'équipe, des méthodes commerciales rigoureuses, de la maturité
et une pratique du contact qui pallie un tempérament plutôt introverti. Quand sa mère
n'est pas là, il va volontiers prendre les commandes en salle, une manière de se faire
connaître des clients. "Je suis heureux d'avoir vécu d'autres vies avant
d'entrer dans l'entreprise", commente-t-il. Du métier, il avait tout de même
appris plus que des rudiments, le week-end, depuis son plus jeune âge. Son premier
professeur aura été son père, qui l'a envoyé faire ses classes chez de bons chefs
français de son réseau d'amis des Toques Blanches. Par exemple, chez Gérard Vié aux
Trois Marches de Versailles, "un endroit idéal pour apprendre". En
candidat libre, il a enlevé son brevet professionnel de cuisinier. Cinq ans après, le
ticket moyen s'est élevé de 100 francs. Il fallait garder la clientèle sans rien
compromettre, car "je fais de la très bonne cuisine", prévient le
père, mi-sérieux, mi-rigolard. Partant de cette solide cuisine traditionnelle et très
appréciée dans la région, Philippe veut faire des efforts notamment au niveau de la
décoration. "On n'a plus la patience à mon âge de 'tagger' (en guise de dcor)
les assiettes", remarque Raymond, réaliste. "J'ai voulu me spécialiser
encore plus avec une cuisine régionale et moderne", ajoute-t-il. En l'écoutant
parler, on croit voir des étoiles dans ses yeux. Mais le marché est exigeant, et cette
région paie difficilement plus de 400 francs un repas. Dans le même temps, Philippe est
décidé à développer le côté bistrot, à l'évidence bien dans le marché. L'avenir
immédiat, ce sont des investissements. Sujet de discussion avec les parents, mais le fils
emporte la décision. Les chambres seront dans le même espace, un peu moins nombreuses et
plus grandes et confortables. "L'enseigne Logis est pertinente, la clientèle
étrangère très présente", analyse Philippe Belot. L'acquisition de l'espace
voisin permet déjà de disposer d'un parking. L'idée est de le transformer en jardin et
terrasses, puis d'agrandir l'hôtel. Si tout va bien, dans quelques années, Raymond ne
reconnaîtra pas l'affaire de Philippe.
A. Simoneau
Préparer une retraite active Madame Andrée Belot y tient, elle passe son diplôme de maître sommelier. Une façon élégante de mettre un point d'orgue plutôt qu'un point final banal à une carrière de patronne. "C'est une partie passionnante du métier, et j'ai besoin de progresser", précise-t-elle. Quand on parle de retraite, tout est relatif. "Andrée s'est toujours occupé de la salle. Elle est toujours là. Sans elle, je n'aurais jamais fait le parcours que j'ai fait. Si une épouse n'est pas là pour le décor, le contact avec les clients, la participation à la gestion, c'est plus dur", témoigne Raymond Belot. "A présent, nous sommes trois, avec chacun nos clients." Quand elle débrayera vraiment, Andrée manquera à Philippe. |
En dates
1961
Raymond Belot rejoint dans leur hôtel-restaurant, l'Auberge du Forgeron, les parents de
son épouse Andrée.
1963
Il devient chef propriétaire de l'établissement.
1995
Philippe Belot, le fils de Raymond, entre dans l'affaire et deviendra gérant majoritaire
de la société d'exploitation après la retraite de son père.
Andrée, Philippe et Raymond Belot à l'Auberge du Forgeron. Une transmission
mûrement réfléchie
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L'HÔTELLERIE n° 2677 Hebdo 03 Août 2000