Restaurateurs vendéens
Sur la A 83, entre Nantes et Niort, la sous-concession de la restauration de l'aire de la Vendée a été accordée en 1998 à un pool d'une trentaine de professionnels locaux qui porte bien son nom : Restaurateurs vendéens associés (RVA).
Qui l'eut cru ? Ils ont emporté le morceau face à Accor et McDonald's. C'est la victoire de David contre Goliath, des indépendants face aux multinationales, et des produits du terroir devant les standards du plateau-repas. La bataille fut rude et incertaine, mais la réussite est bel et bien acquise : les deux premiers bilans d'exploitation dépassent les espérances les plus optimistes. André Grellier et Alain Gréau sont respectivement p.-d.g. et directeur général de RVA. Pour assumer leur mission, ils jonglent avec leur emploi du temps. Chacun d'eux exploite un restaurant réputé à quelques kilomètres, Le Touchegray et Le Grand Turc, et plusieurs après-midi par semaine, ils viennent gérer et superviser l'affaire commune. De la coupe aux lèvres, presque quinze ans. Le désenclavement autoroutier de la Vendée, deuxième département d'accueil touristique de France, a été très lent. Incertain même, et c'est dans ce contexte de doutes et d'échéances reportées que les restaurateurs vendéens ont dû s'engager. On comprend que d'aucuns soient restés sceptiques quand les leaders fonçaient tête baissée dans un domaine inconnu. Tout n'est pas encore résolu. Pour l'A 83, il manque une poignée de kilomètres dans le sud de l'aire de la Vendée pour boucler le tronçon Nantes-Niort et assurer la connexion sur le réseau des Autoroutes du Sud de la France (ASF). Le chantier avance, la voie sera totalement dégagée en juin 2001. La Bourrine vendéenne et Le Bistro, c'est-à-dire la cafétéria et la sandwicherie exploitées par RVA sur l'aire-village de la Vendée, à Sainte-Hermine, devraient à partir de ce moment-là trouver leur rythme de croisière. Après un départ fulgurant... "Le premier bilan d'exploitation a été bouclé à 4 millions de francs. On a atteint très vite les 6 millions, et en 2000 on atteindra les 8 millions." André Grellier compte aussi sur l'échéance 2001 avec l'ouverture du tronçon Oulmes-Niort. "Selon ASF, le trafic est en moyenne de 9 000 véhicules/jour. Ils prévoient 10 % de trafic en plus. On espère faire, nous aussi, 10 % de plus."
L'union des indépendants face aux grands
Cette réussite est un cocktail d'audace, de patience, d'opiniâtreté. Il faut remonter
à 1986 pour trouver l'origine du dossier. On parle de désenclavement autoroutier, et la
Fédération hôtelière de Vendée, sous la présidence de Jean-Paul Blouard, pose une
idée forte comme un postulat : dans la perspective de création d'un hôtel ou d'un
restaurant sur un site privilégié, "seul un groupement de professionnels locaux
aurait des chances d'être retenu face aux grandes sociétés de restauration ou
d'hôtellerie". Et c'est exactement ce que l'histoire allait démontrer.
L'Association Vendée hôtel a ainsi été créée, et trois ans plus tard la Fédération
hôtelière de Vendée, désormais emmenée par Joël Giraudeau et Jean-Pierre Blanchard,
confirme : les hôteliers s'engagent à souscrire au capital de la société qui sera
constituée pour faire acte de candidature à la concession de l'aire-village de la
Vendée. Les professionnels locaux nourrissent un projet emprunt "de créativité
et d'une conception orginale". Ils prirent aussi conseil auprès de leurs voisins
de la région Poitou-Charentes qui avaient obtenu collectivement une concession comparable
sur l'A 10. "Ils ont apporté leur expérience du travail sur autoroute que nous
n'avions pas." On comptait encore beaucoup avec eux pour un apport substantiel
dans le montage financier, via leur société Poitou-Charentes-Restauration (PCR). La
chambre de commerce et d'industrie de la Vendée met également ses spécialistes sur le
sujet.
Entre ambition et scepticisme
Mais le savoir-faire et les conseils ne suffisent pas. Il faut du capital, beaucoup
d'argent. "Au départ, PCR devait être majoritaire." Mais cet
actionnaire revoit à la baisse sa participation. "Alors, on est allés voir des
agro-industriels, explique André Grellier, mais ils étaient trop exigeants."
Une trentaine de restaurateurs et d'hôteliers réunissent 1 100 000 F, et c'est parmi
eux aussi qu'on trouve les porteurs des parts des 300 000 F réunis par Vendée hôtel.
Les professionnels mettent donc collectivement 1,4 million sur la table, mais en réalité
il n'y en a qu'une dizaine qui se soit impliquée personnellement de façon aussi
conséquente que courageuse. André Grellier se souvient de la difficulté d'obtenir ici
et là 10 000 F de ses collègues pour boucler le tour de table. Des réticences qui
traduisaient bien le manque de conviction de beaucoup. Il est vrai que les banquiers ne se
battaient pas non plus pour les rejoindre ! C'est donc au culot que les pionniers
prétendent obtenir la sous-concession auprès d'ASF :"On montait le dossier sans
avoir les fonds nécessaires. Mais on est arrivé avec notre petite valise sous le bras et
une instruction bien ficelée. On a peut-être aussi bénéficié du fait qu' Accor était
alors en pleine restructuration." La négociation a duré un an, au rythme d'une
réunion de travail par mois, à Paris. Entre-temps, sur leur terre vendéenne, les
pionniers se démènent pour lever des fonds.
Le réseau des producteurs agricoles appelé en renfort
L'investissement est désormais chiffré et s'avère lourd : 7 MF, dont les 2 600 000 F du
capital social et le reste couvert par emprunt. Décidément "gonflés" ces
investisseurs indépendants ont brûlé les étapes : "On n'a obtenu nos prêts
que quatre jours avant l'ouverture." En avril 1998. La constitution du fonds de
capital social n'avait pas non plus suscité un enthousiasme d'union sacrée au départ. A
défaut d'avoir obtenu le concours des puissances agro-industrielles locales, les
restaurateurs se sont retournés vers les producteurs agricoles fortement structurés en
coopératives et vers le leader de l'agriculture vendéenne, Luc Guyau, par ailleurs
président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles). Le
centre de gestion des exploitants agricoles apporte donc 900 000 F et boucle le montage du
capital de RVA SA. "Le conseil général de la Vendée a encouragé le monde
agricole à nous rejoindre." RVA renvoie l'ascenseur : "Nous mettons en
avant les produits vendéens, nous faisons travailler les fournisseurs agricoles." Et
cela se traduit dans 85 % des denrées qui entrent dans la composition de la carte :
poulet de Challans bien sûr, haricots et jambon du terroir évidemment, mais aussi la
plus classique andouillette et les vins des fiefs vendéens. Et encore, dans le registre
produits de la mer, les moules qui viennent du proche bassin de production de
L'Aiguillon-sur-Mer. A ce propos, évoquant à la fois "les spécialités de la
province" et "le service souriant et efficace" remarqués à La
Bourrine, le Guide des Autoroutes du Sud de la France ne décerne que d'excellentes notes
à l'établissement et un satisfecit général : "Tout est de qualité." Cette
remarque est généralisable à toute l'aire de repos : le Département a ouvert sur place
quatre pavillons pour mettre en valeur les atouts touristiques de la Vendée, pavillons
qui toutes proportions gardées sont comparables à ceux qu'on fréquente dans une
exposition universelle. Enfin depuis l'an dernier est ouverte une Maison des produits
régionaux confiée à la CCI, la chambre de métiers et la chambre d'agriculture.
Une longue saison estivale
Treize salariés en hiver, une vingtaine l'été, le personnel est dirigé par Christelle
Piet. Vu l'amplitude des horaires d'ouverture, 6 h 30 - 23 h 30 en été avec juste une
heure de moins en hiver, et l'astreinte d'un fonctionnement de sept jours sur sept, ce
sont plutôt six à sept personnes qui travaillent simultanément. L'activité est très
marquée par la crête du début de week-end, et les flux liés aux vacances. On voit les
Bretons descendre dans les Pyrénées pour les sports d'hiver, les Anglais en direction
vers l'Espagne, des Espagnols remonter pour le travail, etc. Pendant les vacances de
Pâques, le nombre de plateaux-repas quotidiens passe de 200 à 400. Et c'est pendant la
saison estivale, mesurée ici de juin à mi-octobre, qu'on fait largement plus de la
moitié du chiffre d'affaires. Le rythme est alors de 500 à 600 plateaux.
Agrandissement au bout de huit mois
Ce rythme d'activité a été plus dense que ne l'imaginaient André Grellier et ses
associés. Ils ont été heureusement et brutalement surpris. De sorte qu'au bout de huit
mois d'exploitation, on poussait les murs, on agrandissait. Soit une nouvelle rallonge
d'investissements de 1,5 MF. Cafétéria, sandwicherie, cuisines et dépendances
représentent 800 m2, dont la moitié pour l'accueil du public. Les bâtiments sont
propriété de RVA avec la réserve, majeure, qu'on est ici sur le terrain des ASF, et que
la concession équivaut à un bail de 19 ans. Pour travailler sur l'autoroute, il a fallu
aussi verser un droit d'entrée de 1,4 million, et accepter toutes les règles du jeu :
une redevance de 4 % du chiffre d'affaires (5 % à partir de juin 2001 et le raccordement
à Niort), et la participation aux frais d'entretien de l'aire. Il faut aussi se plier aux
règles du cahier des charges dont beaucoup sont plus exigeantes que celles des
règlements ordinaires en vigueur dans un restaurant classique. Il faut aussi accepter les
limitations imposées, les termes de la concession valent pour 99 places assises. Enfin,
les contrôles sont fréquents et inopinés : il faut tenir à disposition un registre
pour les observations des clients, argumenter par rapport aux critiques, etc. Mais le jeu
en vaut la chandelle et rien n'assombrit le visage souriant d'André Grellier : "Malgré
toutes les contraintes, on est sur le 'tub'. On travaille bien dans le contexte général
des flux crescendo sur les autoroutes en général, sur celle-ci en particulier."
Les actionnaires de RVA SA pourraient prochainement être intéressés à une partie des
bénéfices. Des actionnaires qui prêtent une oreille attentive à un nouveau projet dans
les cartons d'ASF : la création d'un hôtel dans les 4 à 5 ans à venir. Evidemment, ils
postuleront. Et la boucle serait bouclée sur 20 ans : souvenez vous, en 1986 tout a
commencé avec l'Association Vendée hôtel.
H. Front
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Composition et origine du capital de RVA (2 600 000 F)Société Civile de Restauration Vendéenne (1 400 000 F) dont Vendée hôtel (300 000 F) et la Société Civile de Restauration Vendéenne (1 100 000 F détenus par 32 actionnaires vendéens, dont 31 restaurateurs), CGEA (Centre de gestion des exploitants agricoles, 900 000 F), PCR (Poitou-Charentes Restauration, 300 000 F). |
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L'HÔTELLERIE n° 2667 Hebdo 25 Mai 2000