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A la loupe
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Jean-Luc Hatet

S'adapter aux contraintes de rentabilité

Jean-Luc Hatet, restaurants La Chancelière et Le Jeu de Cartes à Montbazon dans l'Indre-et-Loire, abandonne volontairement son macaron Michelin pour refuser les contraintes qui pèsent sur la grande cuisine. En mars prochain, les deux restaurants seront refondus en un seul, tout en gardant l'ensemble de l'équipe précédente. 

Au sud de Tours, à Montbazon, gros bourg longtemps synonyme de bouchons sur la RN 10, La Chancelière porte depuis de nombreuses années le flambeau de la grande cuisine et est toujours considérée comme l'une des meilleures tables de la région. En 1984 le patron, Jean-Luc Hatet, obtenait sa première étoile Michelin, suivie d'une seconde en 1988 et d'une Clef d'Or Gault et Millau. "Au début l'impact des deux macarons a été extraordinaire, se souvient Jean-Luc Hatet, cela m'a apporté une clientèle qui est restée fidèle." Mais en 1992, en pleine année de crise, Jean-Luc Hatet éclate son établissement : 20 couverts pour La Chancelière et 40 couverts pour le Jeu de Cartes avec une ambiance bistrot de qualité. "C'était osé, se rappelle-t-il, alors que nous avions une réputation haut de gamme à maintenir." En mars 1993, Michelin cite les deux enseignes mais retire un macaron dans son édition de 1994 : "C'était normal et logique, j'étais averti, je ne l'ai donc pas pris comme une sanction." Avec le même chef, les mêmes ingrédients et la même qualité, le Jeu de Cartes a quelque peu "vampirisé" La Chancelière en réalisant les deux tiers du chiffre d'affaires total (5 millions de francs) : "Les clients préfèrent venir manger deux fois au bistrot plutôt qu'une seule fois dans un grand restaurant." Jean-Luc Hatet va mener cette évolution à son terme. C'est pourquoi en mars prochain, il n'y aura plus qu'un seul restaurant qui abandonne son macaron Michelin : "J'ai prévenu M. Naegelen qui est venu déjeuner ici et qui a parfaitement compris notre démarche. Elle s'inscrit parfaitement dans la logique des Bibs gourmands de Michelin."

Manger mieux et moins cher
Jean-Luc Hatet ne cache pas son pessimisme pour l'avenir d'une certaine cuisine : "Les goûts des clients ont changé, ils veulent manger mieux mais moins cher alors que les charges ne cessent de peser de plus en plus. La nouvelle convention collective - que j'appelais de mes vœux -, et la loi Aubry vont évidemment avoir des conséquences lourdes sur ce genre de restauration. Je n'enterre pas la restauration haut de gamme mais il va y avoir des dégâts d'ici 2002." Pour autant Jean-Luc Hatet "ne veut pas cracher dans la soupe du Michelin". "Les étoiles m'ont aidé. Aujourd'hui j'ai une clientèle essentiellement locale, avec peu de touristes, je peux donc me passer de ce genre de reconnaissance. Je ne revendique plus qu'un Bib gourmand. J'ai la notoriété, la crédibilité, une clientèle qui fonctionne essentiellement sur le bouche à oreille." Il est donc conscient que son choix est un privilège que ne peuvent se permettre tous les étoilés même si "tous devront se repositionner et se restructurer".

Un nouveau restaurant
"La grande cuisine n'est pas rentable." C'est pour anticiper cette évolution qu'il juge inéluctable que le patron de La Chancelière arrête tout pour refonder son établissement. En février, l'établissement fermera ses portes durant trois semaines : 350 000 francs seront alors investis dans un nouveau restaurant qui gardera les deux enseignes et qui ouvrira ses portes en mars 2000. Le personnel (12 salariés) sera le même mais pour le reste tout sera nouveau : le mobilier, la décoration, les cartes avec une cuisine en grande partie de style bistrot et des menus à 130, 160 et 230 francs. Adieu les nappes et l'argenterie (qui a été revendue en partie à des clients), bonjour les tables de verre et l'inox. "Pour l'argenterie, explique Jean-Luc Hatet, il me fallait une demi-journée de travail et deux gars pour la nettoyer. Avec l'inox, c'est fini." Même raisonnement avec les nappes qui sont supprimées. Jean-Luc Hatet veut naturellement répondre à certaines attentes des clients mais aussi se positionner comme chef d'entreprise : "La haute cuisine n'est pas rentable, il vaut mieux vendre deux repas à 250 francs qu'un seul à 500 francs". Le Jeu de Cartes avec une dépense moyenne de 250 francs par client était donc bien plus rentable que la Chancelière. Dès mars 2000, la nouvelle Chancelière ouvrira ses portes. Tout sera nouveau sauf l'ambition : "Faire avec le même personnel aussi bien qu'hier, plus simple mais aussi bon." Même sans étoile, La Chancelière n'a donc pas fini de briller.
J.-J. Talpin


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L'HÔTELLERIE n° 2650 Hebdo 27 Janvier 2000

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