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Les cafés s'alarment face à une situation unique

Si le nouveau règlement européen interdisant le contrat de brasseur au-delà de certains seuils s'applique tel quel en Belgique, Interbrew sera le seul interdit de contrat. Le leader du marché réagit.

Au nom de la lutte pour la protection du consommateur face à la libre concurrence, la Commission européenne veut rendre applicable dès 2000 un règlement fixant des seuils de chiffre d'affaires ou de parts de marché national au-delà desquels les brasseurs ne pourront pas établir de contrat d'obligation de fourniture de biens ou services (et non seulement de bières) avec les cafetiers. Rappelons que les brasseurs et/ou négociants en bière ayant une part de marché sur un territoire national supérieure à 30 % se voient interdire le contrat avec obligation d'achat exclusive. Les brasseurs-négociants ayant une part de marché égale ou inférieure à 30 % peuvent encore pratiquer le contrat d'obligation, mais pour une durée de cinq ans maximum. Enfin, les brasseurs et négociants dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions d'euros (328 MF) peuvent pratiquer le contrat d'obligation mais dans un cadre limité, tant dans le temps que dans la nature des biens et services. Seul problème chez nos voisins belges : si le règlement s'applique, la position dominante d'Interbrew fera de ce brasseur le seul à être interdit de contrat d'obligation. Or Interbrew est aussi le seul brasseur belge à avoir mis en place un réseau de distribution en CHR largement intégré et aucun distributeur indépendant ne peut se passer de distribuer cette gamme, et en bonne place. Les concurrents existent : la filiale de Danone Kronenbourg Alken Maes, ainsi que les belgo-belges Haacht, Duvel Moortgat et Palm sont présents sur le marché mais ils arrivent loin derrière en volume, même s'ils sont actifs et disposent de niches ou de spécialités très enviables.

Contrat Interbrew
Aucun d'entre eux n'a tenté de lancer ou de contrôler un réseau de distribution. Avec un café pour 370 habitants, le royaume de Belgique détient le record mondial en la matière. Le secteur pèse plus de la moitié des ventes de bière du pays. Bien entendu, un très grand nombre de cafés se trouve actuellement sous contrat Interbrew, et 80 % du total des cafés vit ou survit sous contrat. Les faillites et la rotation des patrons sont énormes. A raison d'une moyenne de 200 litres de bière vendus en moyenne par semaine et par établissement (c'est peu en Belgique), qui pèsent souvent 80 % du chiffre d'affaires, on peut imaginer que nombre d'affaires ne sont pas viables. Les brasseurs réagissent déjà. Interbrew intensifie sa présence en distribution, et se montrera d'autant plus agressif sur le plan commercial que les contrats lui seront interdits. On peut imaginer que des pressions sur les distributeurs indépendants limiteront l'effet de la mesure européenne. Les relations avec les moyens et petits brasseurs se durciront. Quel distributeur indépendant osera passer des contrats de fourniture Haacht ou Duvel s'il risque de perdre la "confiance" d'Interbrew ? Heineken, dont on connaît la puissance en France comme producteur mais surtout comme distributeur, n'était jusqu'à présent jamais parvenu à s'imposer en Belgique. La rumeur d'une prise de contrôle de son partenaire en bières d'abbaye, à savoir Afflighem, circulait avec insistance début novembre. Ce pourrait être le début d'une attaque en règle.

Un couple infernal
Les fédérations syndicales Ho. Re. Ca. de Bruxelles Flandres et Wallonie tirent pour leur part la sonnette d'alarme. Sans dire très clairement que le nombre de cafés doit se réduire de manière drastique, les fédérations estiment que le contrat est "loin d'être un mariage heureux". Actuellement, il n'est pas rare de voir un cafetier acheter sa bière en Belgique deux fois plus cher auprès de son dépositaire obligé que dans la grande distribution. Les syndicats parlent de 85 francs belges (13,85 F) le litre de pils chez le brasseur pour un obligé, contre 43 FB au meilleur prix en grandes surfaces. La nouvelle réglementation, selon Ho. Re. Ca., ne fera qu'aggraver les choses, puisque les fournisseurs de cafetiers sous contrats pourront imposer un "assortiment obligatoire" de produits de plus en plus large : café, jeux, tout y passera, estime Luc De Bauw, directeur d'Ho. Re. Ca. Bruxelles et Flandres. Les cafés, entreprises faussement indépendantes, se verront donc exclus du jeu normal de l'offre et de la demande. En clair, le fournisseur s'efforce de maintenir un grand nombre de points de vente obligés, même si la plupart ne sont pas rentables. Après avoir financé ce que toute banque aurait refusé de prendre en considération, le fournisseur contribue ensuite fortement à empêcher le cafetier de sortir la tête hors de l'eau. Le phénomène est encore aggravé du fait de l'extrême concurrence qui règne en Belgique, particulièrement à Bruxelles. La bière au tirage y est la moins chère d'Europe, avec un prix moyen de la chope de 45 francs belges (7,33 F). Le consommateur s'y retrouve donc largement. C'est le cafetier qui est étranglé.

Laisser le marché jouer librement
La position de la profession est de repousser toute idée de réglementation, et de laisser le marché jouer librement, tout en conseillant aux exploitants de garder leur liberté, ou tout au moins de ne pas signer n'importe quoi, bref de se comporter en véritables indépendants. Tout comme en France, on va se plaindre auprès de son syndicat quand il est trop tard. Cette position est toutefois porteuse d'ambiguïté. Le syndicat sait que trois fois moins de cafés suffiraient à contenter le marché, la reprise des fonds déficitaires étant activée artificiellement par les brasseurs. Le syndicat sait aussi que même un entrepreneur plein de bonnes idées et de compétence a toutes les peines du monde à convaincre un banquier. Le financement des brasseurs peut-il disparaître ? Les fédérations Ho. Re. Ca. peuvent-elles conseiller à la moitié de leurs adhérents de disparaître ? Questions difficiles. En attendant, le marché belge va se retrouver en situation boiteuse, avec le maître du jeu contraint de jouer la partie en coulisse. Cela n'a rien de très sain. Dans toute réglementation, les effets de seuils sont porteurs de retours pervers.
A. Simoneau


Au Roy d'Espagne, Grand'Place à Bruxelles, une propriété d'Interbrew exploitée par une filiale de l'entreprise. Pas de problème de rentabilité mais la majorité des contrats sont des marchés de dupes.


L'HÔTELLERIE n° 2641 Hebdo 25 Novembre 1999

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