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l Les petites chaînes hôtelières en France

Une politique de niche

Les grandes fusions et absorptions de chaînes hôtelières ne sont que la confirmation d'une tendance qui va s'accentuer de plus en plus dans les prochaines années. Face à ces grands groupes hôteliers, les micro-chaînes en surnombre, apparaissent avoir un avenir incertain.

Les hôteliers peuvent se sentir valorisés : l'hôtellerie, comme d'autres grands secteurs que certains voudraient voir plus nobles (les nouvelles technologies, les banques, la grande distribution ou encore le domaine pétrolier), n'échappe pas à cette tendance universelle des créations de grands trusts, toutes proportions gardées, qui secoue les économies. Aujourd'hui déjà, les 50 premiers groupes mondiaux fédèrent à eux seuls près de 28 % du parc hôtelier mondial. Et ce n'est pas fini. En France, depuis la reprise récente du groupe Hôtels & Compagnie par Envergure/Société du Louvre, et la toute fraîche absorption de Libertel/Demeure Hôtel et de Frantour par Accor, ces deux mastodontes contrôlent à présent 74 % des hôtels de chaînes intégrées de l'Hexagone. Autant dire qu'il y a un parfum d'hégémonie qui commence à marginaliser les autres chaînes nettement plus petites et à donner un peu plus de sueurs froides aux indépendants. Pourquoi cette inquiétude croissante ? Parce qu'outre le succès de leurs formules auprès du public, les grandes enseignes parviennent, volontairement ou non, à imposer au marché leurs politiques en matière de prix, de promotions, de concepts, de rémunération du personnel voire d'investissements. "Un hôtel d'une importante chaîne change presque toujours la nature puis la physionomie du marché lorsqu'il arrive dans une ville", remarque un consultant spécialisé. Du coup, le reste de l'hôtellerie devient fatalement suiveur et subit directement ou indirectement les conséquences des décisions des grands.

Beaucoup de micro-chaînes
Mettons à part les enseignes de Choice et de Holiday Inn qui n'ont respectivement qu'environ 100 et 70 hôtels en France, ce qui n'est déjà pas si mal, mais annoncent sur le plan mondial plus de 5 000 adresses pour Choice et 2 800 pour Bass. En dehors d'eux, il existe une sorte de nébuleuse faite d'une multitude de micro-réseaux qui régulièrement se font et se défont. En effet, il y a en France plus de 70 enseignes de chaînes intégrées selon l'étude annuelle de Coach Omnium réalisée pour La Revue. Mais seulement 14 chaînes comprennent plus de 40 hôtels, soit 20 % des marques. Cette situation est aujourd'hui sanctionnée clairement par le public, qui ne s'y retrouve plus et qui montre de furieux signes de perplexité. Car le malheur est qu'il n'y a qu'une poignée d'enseignes qui détiennent un bon ou un honorable score de notoriété. Or une chaîne connue attire la clientèle plus facilement qu'une chaîne inconnue. C'est une des raisons pour laquelle les grands réseaux parviennent à obtenir jusqu'à 12 points de taux d'occupation de mieux que les petites chaînes de même gamme. Mais en général, on se situe plus près de 5 à 7 points d'écart, sauf dans le superéconomique où la différence demeure moins importante. Par ailleurs, hormis la reconnaissance des enseignes, les clients d'hôtels comprennent franchement mal l'offre des chaînes : ils ne savent définir ou expliquer qu'un nombre limité des concepts/produits qui existent sur le marché. Cette situation ne parvient pas à rassurer le consommateur pour lui donner envie de fréquenter toutes les enseignes avec enthousiasme. C'est un paradoxe inattendu. Il y a en France, sans aucun doute, encore de la place pour les chaînes intégrées, qui aujourd'hui ne fédèrent que 14 % des hôtels classés, mais occupent plus de 45 % de parts de marché. La preuve est faite qu'elles répondent bien à la demande d'une partie des voyageurs. En revanche, il y a pour le public probablement trop de marques. "C'est la jungle ; j'ai vraiment du mal à savoir à qui j'ai affaire ; toutes ces petites chaînes qui poussent comme des champignons sur le bord des routes... Du coup quand je voyage, j'essaie en priorité de trouver un hôtel d'une grande chaîne très connue. Je sais que je n'aurai pas de mauvaise surprise, même si je sais que la monotonie me guette", explique Jean Prester, ingénieur-commercial dans la bureautique. Bref, on peut imaginer qu'il faudrait à terme moins de chaînes, mais qui soient plus implantées, pour plaire au public.
En France, ce ne sont pas les disparitions de chaînes qui ont manqué. Rien que sur ces dix dernières années, près d'une quarantaine d'enseignes sont tombées, la plupart du temps à l'issue d'une reprise par un groupe plus important. Qui ne se souvient de feu Arcade, Adagio, Fimotel, Altéa, Pullman, Liberté, Relais Bleus, Primevère, Aster, etc. Avant eux déjà avaient péri dans la tourmente Confortel et les autres Minimotte. Sans compter les coups d'essais, ensuite avortés, comme Urbis ou Campaville.

Trop de marques tue les marques
Ce furent autant d'enseignes que le public avait tenté d'assimiler et d'adopter, pour ensuite les voir disparaître. Parallèlement, le marché hôtelier a connu quelques créations ou instaurations de nouvelles marques en France. Il y a eu, bien sûr, tout le lancement des hôtels superéconomiques avec plus d'une douzaine de marques nouvelles. Puis Clarine vit le jour dans un registre plus haut de gamme ou encore Géo Hôtel, sans compter l'arrivée de Comfort, notamment. Le fait que les consommateurs commencent à rejeter un trop grand nombre de marques peut sembler contradictoire, car d'habitude on aime avoir le choix. Mais, ils n'ont pas le temps et n'ont plus la volonté d'apprendre à découvrir de nouvelles enseignes. Ils veulent plutôt que se réactualisent et s'enrichissent les chaînes qu'ils connaissent, pour peu qu'elles offrent une valeur ajoutée et qu'elles détiennent une bonne image. Le consommateur d'aujourd'hui ne veut plus prendre de risques. Il est moins aventurier qu'il veut bien le faire croire.

Besoin chronique de moyens
Pour un réseau, le ticket d'entrée est devenu si cher pour atteindre la moindre crédibilité auprès de la clientèle et des prescripteurs, que lancer une nouvelle enseigne s'avère quasiment impossible sur le marché européen actuel. La seule exception pour espérer un minimum d'impact est de démarrer directement avec au moins 150 à 200 établissements, issus par exemple d'une ou de plusieurs chaînes acquises. Alors que le seuil critique s'est élevé (voir encadré p. suivante), comment résistent les plus petits réseaux face aux grandes chaînes qui ont désormais pignon sur rue ? "Bien sûr, n'ayant pas la même notoriété, nous ne pouvons pas rivaliser avec les grandes chaînes. Mais, nous avons pour nous une grande souplesse et une image pour chaque hôtel, basée sur le marché local. Nos procédures ne sont pas les mêmes que celles des grandes chaînes, mais nous sommes très professionnels à l'échelle de notre type d'entreprise. C'est pourquoi nous réalisons de bonnes performances", commente Georges Antoun, qui préside à la destinée de la quinzaine de New Hôtel. Ainsi, si la maîtrise professionnelle ne leur manque pas, les micro-chaînes souffrent surtout d'un besoin chronique de moyens de promotion et de communication qu'elles n'arrivent pas à satisfaire. "Quand dans un workshop, notre stand se trouve à côté de l'équipe commerciale d'un grand groupe hôtelier, nous devons développer un surplus d'efforts pour appâter les visiteurs, qui sont naturellement attirés par les enseignes plus connues que la nôtre", observe Corinne Elgosi, responsable commerciale de Stars, aux 16 hôtels 1 et 2 étoiles. Mais pour une chaîne, ne pas atteindre le seuil critique en nombre d'hôtels interdit bien des moyens de promotion et ne permet pas non plus de réaliser de grandes économies d'échelle, ni d'amortir les frais de siège. Chez JJ France, par exemple, les 22 hôtels doivent pouvoir payer les salaires et frais de fonctionnement des 20 collaborateurs de la structure centrale.

Un problème de crédibilité
Se développer reste le problème majeur des petites chaînes. Les CDEC ont freiné considérablement les ambitions des plus dynamiques quand il s'agissait de croître par constructions. Même si une grande majorité de demandes de créations d'hôtels sont acceptées en commissions départementales ou nationales, cela fait perdre entre 6 mois à un an à chaque projet. Par ailleurs, les réseaux qui souhaitent fédérer des franchisés ou des contrats de gestion se voient concurrencés par les grands groupes, souvent plus crédibles, à tort ou à raison, aux yeux des investisseurs ou des hôteliers indépendants. Mais, ce n'est pas toujours le cas. "Nous avons des gros investisseurs qui préfèrent travailler avec nous parce qu'ils ne seront pas enfermés comme ils le seraient avec des groupes hôteliers plus importants", argumente Georges Antoun. C'est un peu la même chose pour le groupe parisien Astotel qui a été choisi par des fonds de pension américains pour gérer des hôtels dans lesquels ils ont investi. Mais le développement par l'acquisition d'hôtels existants n'est pas une stratégie dans laquelle se lance immanquablement chaque opérateur. "Comme nous avons peu de notoriété et pour l'instant peu d'hôtels, nous savons qu'il serait dangereux d'offrir à la clientèle des hôtels différents les uns des autres. C'est pourquoi nous nous attachons à proposer des hôtels très normatifs, ce qui a fait notre succès", explique Patrick Jacquier, directeur général de Villages Hôtel (une quarantaine d'établissements superéconomiques).

Le choix de rester petit
Les petits réseaux ne sont donc pas tous des grandes chaînes qui auraient échoué ou tardé dans leur développement. On trouve parfois des entreprises familiales qui ne se sont pas forcément donné des stratégies de conquête de marché. "Pour développer Villages Hôtel, nous avons agi à petits pas. Après trois hôtels, nous nous sommes dits qu'il serait bien d'en avoir 10. Puis, après 10, d'en avoir 20. Et ainsi de suite... ", s'amuse à dire Patrick Jacquier. La cohabitation entre petites et grandes chaînes se fait le plus souvent en bonne intelligence, même si les uns et les autres semblent souvent vivre en autarcie. Localement, les hôtels des petits réseaux, comme pour les indépendants, se retrouvent un peu encerclés de plusieurs hôtels d'un même groupe, comme la caravane attaquée par les Indiens. Mais, ils savent parfois renverser leur handicap. "Quand les hôtels du groupe Accor augmentent leurs prix dans une ville, nous en profitons pour suivre", dit Georges Antoun. Une autre tactique de sillage existe aussi. "Nous essayons d'être systématiquement les moins cher localement pour nous démarquer des grandes enseignes", développe Corinne Elgosi.

Souplesse d'adaptation
Pour beaucoup, les petites chaînes sont condamnées, tôt ou tard, à disparaître. Ce point de vue se tient si on cherche absolument à les comparer au fonctionnement des grands réseaux. On doit aussi reconnaître la fragilité de nombreuses micro-chaînes. En ce moment même, on parle de quelques enseignes qui vont prochainement changer de main. Mais c'est sans compter les capacités d'adaptation, de souplesse et de débrouillardise des uns et des autres. Une petite enseigne peut très bien obtenir des scores de remplissage honorables et vouloir se protéger de tout syndrome expansionniste. Elle peut aussi se satisfaire de sa petitesse et attendre le grand jour. C'est du moins ce que pense Patrick Jacquier : "Nous n'avons de compte à rendre qu'à nous-même, ce qui ne serait pas le cas si nous étions beaucoup plus gros. Bien plus tard, lorsque notre entreprise se sera fortement développée, nous regarderons probablement de près toute opportunité de reprise qui se présentera à nous." Wait and see.
M. Watkins


"Nous avons des équipes que nous maîtrisons parfaitement et avons ainsi la capacité de réagir très vite", explique Georges Antoun entouré de ses collaborateurs.


"C'est parce que nous avons peu de notoriété que nous proposons des hôtels normatifs qui font notre succès", explique Patrick Jacquier.

La répartition des groupes hôteliers en France selon le nombre d'hôtels
Source Coach Omnium

Une chaîne coûte de plus en plus cher à exploiter

Il y a encore quelques années, on considérait qu'une chaîne intégrée devait aligner en moyenne 50 hôtels pour atteindre son seuil critique permettant "de s'en sortir". C'est aujourd'hui un minimum de 150 hôtels qu'il faut pouvoir proposer au public pour espérer un peu de notoriété, de moyens et de rentabilité. Par ailleurs, promouvoir et gérer une enseigne coûte de 3 à 6 fois plus cher qu'il y a une dizaine d'années. Certains parlent d'un minimum de 70 millions de francs de rentrées annuelles (redevances, royalties, commissions...)
pour commencer à pouvoir exister sur le marché. Le savoir-faire et l'investissement au niveau des hommes, dans les technologies (centrales de réservations, Internet avec réservations on-line, Intranet...) et dans la communication font qu'on ne peut plus se contenter d'éditer un simple guide. Une chaîne a pour contrainte de satisfaire ses affiliés, ses investisseurs, ses actionnaires, ses collaborateurs et ses clients, voire le banquier. C'est pour avoir oublié un de ces publics-là, le plus souvent les clients, que bien des réseaux ont périclité.


L'HÔTELLERIE n° 2635 Supplément Économie 14 Octobre 1999

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