Hélène Darroze
Le poids de sa lignée,
cuisiniers de père en fils depuis Henri son arrière-grand-père, aurait pu lui peser. Ce
serait mal la connaître ! Elle prévient : "Je ne supporte pas les comparaisons,
il faut respecter les différences." En reprenant l'illustre établissement de
ces ancêtres à Villeneuve-de-Marsan, elle a marqué son territoire, accrochant son nom
à la maison familiale. "Que ceux qui le veulent me suivent", a-t-elle
dit en substance à l'ancienne équipe de son père Francis. Tous sont partis ou presque,
remplacés aussitôt par des gens qui d'emblée ont adhéré à son désir de faire autre
chose : une cuisine de "bonne femme", une cuisine du terroir généreuse,
instinctive et innovante... Car Hélène sait ce qu'elle veut, faisant sienne la phrase de
Jean Cocteau : "La tradition, c'est ce qui, s'appuyant sur les certitudes du
passé, évolue en permanence."
Ce qu'elle sait, elle ne l'a pas appris dans une école hôtelière. Si le savoir se
transmet par les gènes et par la mémoire d'odeurs et de saveurs pimentant l'enfance,
Hélène possède un sacré bagage ! "Lorsque j'étais gamine, mon grand-père
Jean, qui avait à l'époque 2 étoiles au Michelin, ne concevait pas un week-end sans ses
douze petits-enfants autour de lui. Je garde des images de retours de battues où les
chasseurs apportaient leurs gibiers aussitôt préparés pour être mis en chambre froide.
Je me souviens encore de ces chariots de desserts préparés par mon oncle Claude Darroze",
autre étoilé installé à Langon.
Rigueur et fantaisie
Son enfance, très heureuse, partagée entre deux mondes - en semaine à Mont-de-Marsan
dans la pharmacie maternelle, et le week-end à Villeneuve où toute la famille retrouve
Francis le père qui travaille auprès de ses parents Louise et Jean Darroze - apporte à
Hélène rigueur et fantaisie. "En fait, je ne me destinais pas à reprendre le
flambeau familial", avoue la jeune femme néanmoins attirée par des métiers de
passion, chirurgienne, professeur de plongée sous-marine, comédienne... Finalement son
bac scientifique en poche, elle se tourne vers l'Ecole supérieure de commerce de
Bordeaux. Epoque des copains, des sorties et des voyages qu'elle adore. La restauration,
elle finit par y penser, mais plutôt du côté de la direction et de la gestion.
Cependant, le destin se montre malicieux. "Allo, je m'appelle Hélène Darroze, je
suis landaise comme vous, et je souhaiterais faire un stage..." L'appel tombe à
point nommé car, précisément, Alain Ducasse (le destinataire de l'appel) est en train
de se restructurer. Il vient d'obtenir ses trois étoiles au Michelin et cherche un bras
droit pour la gestion du Louis XV. Les quelques mois de stage se transforment en années
"trois ans pour être précis".
Prendre des risques
De Noël 1990 à décembre 1993, Hélène s'initie, certes, à la direction d'un
établissement de prestige mais met le pied aussi dans les cuisines. "Mon rôle se
limitait à laver les salades et à tourner le beurre, se souvient-elle en riant,
mais je regardais partout." D'ailleurs Alain Ducasse l'avertit dès le départ :
"Il faut tout pomper..." La bonne élève retient la leçon : s'effacer
devant la qualité d'un produit, privilégier les cuissons très lentes, savoir s'entourer
et accepter de déléguer.
Aussi, lorsqu'en 1995 et du jour au lendemain son père se retire et lui confie la maison,
elle est prête. Les clients, séduits, adoptent immédiatement ce jeune chef qui en
impose. A la fois chef d'entreprise de ce Relais et Châteaux de 14 chambres et de 60
couverts et chef en cuisine, Hélène travaille avec son second, Charles Pédrosa, pour
élaborer la carte changée tous les 8 à 10 mois. Elle cherche sans cesse de nouvelles
alliances, de nouvelles saveurs... Difficile de s'imposer en cuisine lorsque l'on est une
femme ? "Pas du tout, rétorque sans hésiter cette jeune passionnée.
D'ailleurs n'est-ce pas à elle que Régis Bulot, président des Relais et Châteaux, a
proposé de prendre la tête de la délégation régionale du Sud-Ouest de la plus belle
chaîne du monde." Ayant fait ses preuves, la jeune Landaise songe à présent à
créer sa propre maison, dans les Landes ou ailleurs, un établissement à son image,
plein de fantaisie et d'originalité. Prendre des risques, un vrai bonheur !
B. Ducasse
Hélène Darroze fait sienne la phrase de Jean Cocteau :
"La tradition, c'est ce qui, s'appuyant sur les certitudes du passé, évolue en
permanence."
Côté jardin avec son inséparable briard.
Dates clés d'Hélène Darroze23 février 1967 : Décembre 1990 à décembre 1993 : Janvier 1995 : Décembre 1995 : |
L'HÔTELLERIE n° 2613 Hebdo 13 Mai 1999