Investissements
L'Hôtellerie :
Pourquoi les acteurs de l'hôtellerie s'engagent-ils de plus en plus vers
l'industrie du temps partagé ? Quel potentiel se cache derrière la notion de temps
partagé pour attirer tant de groupes hôteliers ?
Wilhelm Froon :
Cette conférence regroupe trois acteurs majeurs de l'industrie du temps partagé :
l'ARDA, Airtours et Park Plaza Hotels. Tout d'abord, nous avons tenu pour le début de
cette conférence à faire participer la présidente de l'ARDA, Cynthia Huheey (American
Resort Developer Association), dans la mesure où l'ARDA représente 4 000 résidences de
temps partagé dans le monde (avec une forte concentration aux Etats-Unis). Cette
association, qui regroupe les plus grands noms de l'industrie hôtelière, est aujourd'hui
un acteur important. En effet, depuis cinq ans, nous avons pu voir les grands groupes
hôteliers prendre le "contrôle du marché du temps partagé".
Au début des années 80, il y avait environ 100 000 multipropriétaires ou propriétaires
de "temps partagé". Aujourd'hui, ce sont plus de 4 millions de familles au
niveau international. Chaque année, 400 000 à 500 000 familles quittent le marché de
l'hôtellerie traditionnelle et du tour-opérating pour rejoindre le marché du temps
partagé. C'est un marché qui représente actuellement à peu près 6 milliards de
dollars par an, uniquement en nouvelles ventes. 4 millions de familles qui voyagent chaque
année, ce sont environ 20 millions de personnes en mouvement : cela prend donc une
importance considérable.
Il faut être très prudent lorsqu'on parle de chaînes hôtelières qui développent du
temps partagé. Il est vrai que le pionnier dans ce domaine était le groupe Marriott qui
développe aujourd'hui environ 37 résidences, dont la filiale la plus rentable est
Marriott Vacation Club International. Si je ne m'abuse, 3 % de nuitées en temps partagé
rapportent environ 17 % de marge nette avant impôts. Marriott a débuté en 1985 avant
d'être suivi en 1991 par Disney puis par Hyatt, Four Seasons et aujourd'hui quasiment
tous les grands groupes hôteliers réfléchissent à des resorts qui incluraient le temps
partagé. Le dernier arrivé étant le groupe Carlson qui pèse avant tout 20 milliards de
dollars de chiffre d'affaires et qui souhaite développer le temps partagé sous trois
marques : une marque grand luxe (Regent), une marque 4 étoiles (Radisson) et une marque 3
étoiles.
L'H. :
Dans quel contexte le temps partagé peut-il fonctionner ?
W. F. :
Surtout dans le cadre du "Resort Multi Produits". Ce ne sont pas des
chambres d'hôtel qui sont vendues en temps partagé. Quand on regarde les grandes
résidences qui fonctionnent le mieux ou les grands projets, ce sont des
"urbanisations touristiques" dans lesquelles on retrouve un thème très fort
comme le golf, ou des parcs à thème, ou une grande ville (une capitale) ; et on retrouve
à la fois de l'hôtellerie traditionnelle, de la parahôtellerie, de la copropriété et
du temps partagé. Et c'est ce mix de produits qui permet d'avoir aujourd'hui des
générations de clientèle différente et un taux de remplissage optimum (environ 85 % de
TO en temps partagé sur toute l'année pour l'ensemble des résidences affiliées à
Interval). Par conséquent, l'intérêt principal des chaînes hôtelières se porte bien
évidemment sur le cash-show. Le "temps partagé était avant tout 10 ans de loyers
payés d'avance" mais ce n'est pas seulement ça. Sur les statistiques dévoilées en
public par un grand promoteur hôtelier, l'intérêt du client qui achète la première
semaine ne représente seulement que 27 % de sa valeur réelle, c'est-à-dire que le
client rachète très souvent une deuxième semaine dans les trois à cinq ans à venir.
Ensuite, c'est un consommateur qui va payer en moyenne entre 1 500 et 2 000 F de charges
chaque année sur lesquelles on applique une marge d'environ 20 %. A partir du moment où
vous avez des millions de clients qui ont acheté une semaine (ou plus), ce sont les
clients qui au bout de quelques années ont amorti leur acquisition et qui ont donc plus
d'argent disponible pour tout ce qui est restauration, animation... C'est un client qui,
d'après l'ARDA, dépense deux fois plus qu'un client d'hôtel.
L'H. :
Le groupe Park Plaza Hotels International, propriété d'un Reits américain qui
dispose d'un capital important pour se développer, table sur la possession de 400 unités
pour l'an 2000. Ils ont eux aussi choisi d'orienter une partie de leur activité dans le
temps partagé.
W. F. :
Park Plaza vient de réaliser une opération hôtelière au Touquet. Il s'agit de
la reprise d'un établissement existant qui allait très mal, et qui a fait en janvier
1999 plus de 55 % de TO, ce qui est loin d'être négligeable compte tenu de la période.
Park Plaza s'intéresse au temps partagé à travers une formule qui va lier à la fois la
"remise en forme" et le temps partagé.
A l'avenir, le temps partagé va se développer surtout sur les thèmes du resort, autour
de parcs à thème, sur les thèmes urbains, sur les thèmes de l'écologie et aussi de
remise en forme.
L'H. :
Un groupe hôtelier peut-il financer une part de son programme immobilier en en
prévendant une partie sous forme de temps partagé ?
W. F. :
La première opération de Marriott en zone urbaine a été vendue avant même
qu'elle ne soit livrée. Mais tout le monde n'est pas Marriott et il s'agit aussi du
marché américain qui est doté d'une réglementation depuis 1984. L'Europe est
malheureusement très en retard par rapport à l'évolution de ce produit. Mais on peut
très bien prévendre un établissement à condition d'avoir les garanties de compte
séquestre pour le consommateur, et une excellente réputation.
L'H. :
Vous nous avez parlé à plusieurs reprises du resort multiproduit. Entendez-vous
par là qu'il s'agit de la poule aux ufs d'or et que l'avenir du temps partagé est
assuré ?
W. F. :
Le resort multiproduit est la clé de voûte du succès d'une opération
immobilière de loisirs. Aujourd'hui, on travaille beaucoup sur une nouvelle distribution
du temps partagé mais également sur la possibilité de vendre à la fois des semaines de
location et des semaines de temps partagé en temps réel à la clientèle, sur Internet
puis par les GDS et les tour-opérateurs.
D'ailleurs, l'application de la directive européenne pour le temps partagé en France
permettra dans un avenir assez proche la distribution du temps partagé à travers les
agences de voyages et les tour-opérateurs. Il y a une réflexion importante qui est
entretenue avec tous les groupes intégrant le tourisme de manière à développer à
terme une collaboration étroite, ceux-ci commençant juste à percevoir que nous ne
sommes pas en concurrence avec eux.
L'H. :
Que pourrait-on dire à un investisseur qui souhaiterait s'orienter vers
l'industrie du temps partagé ?
W. F. :
Ne pas prendre de risques, et surtout réfléchir à une politique multiproduit.
J'en parlais récemment à des ministres du Tourisme de pays d'Afrique du Nord : si
seulement le temps partagé pouvait remplir 30 % de leurs résidences ou de leurs hôtels,
et cela pendant 30 ans, je pense qu'ils auraient des négociations beaucoup plus serrées
avec les tour-opérateurs. Par conséquent, je crois qu'il y a un réel besoin. L'un de
nos anciens présidents disait un jour que le "temps partagé est un produit qui
surfe sur la parahôtellerie". Son essor est apparu alors que les groupes
hôteliers ont eu parfois la fâcheuse tendance d'oublier que les familles souhaitaient
des produits qui correspondaient à leurs besoins et que ces produits ne sont pas toujours
des chambres d'hôtel mais plutôt une résidence secondaire avec tous les avantages
qu'elle comporte, entre autres une capacité d'accueil de 4 à 6 personnes. Cela explique
le développement des aparthôtels et des résidences inns et leur laisse un bon avenir en
termes de potentiel de développement. Notre positionnement est clair, Interval
International est un haut de gamme, la proximité par rapport au client et la qualité
priment avant tout. Nos partenaires le prouvent : Radisson, Four Seasons, Ritz Carlton,
Marriott, Disney, Airtours...
Propos recueillis par Pascal Blondel, Horwath Consulting France
"Depuis cinq ans, nous avons pu voir les grands groupes hôteliers prendre
le contrôle du marché du temps partagé", explique Wilhelm Froon.
L'HÔTELLERIE n° 2604 Hebdo 11 Mars 1999