Débat
C'est le cri du cur lancé par un professeur visiblement touché par les critiques formulées par certains professionnels à l'encontre du système scolaire. J.-P. Vichard, chef des travaux hôtellerie au LP Roberval à Clermont (Oise), prend la plume pour "rétablir quelques vérités". "Aucun professeur, alors qu'ils sont souvent mis en cause, ne témoigne jamais. Donnez-nous en l'occasion !", nous dit-il. Un témoignage qui ne manquera pas de susciter à son tour de nombreuses réactions."
Le supplément au n° 2587 du journal L'Hôtellerie relatif aux 35 heures a
retenu toute mon attention. Cela fait 20 ans que j'écoute les griefs de la profession à
l'égard de toute la société française (gouvernement, écoles hôtelières, jeunes qui
ne veulent pas travailler, etc.). Je ne suis pas indifférent et je comprends les
problèmes de la profession. Agé de 38 ans, dont 20 dans la profession et pas mal
d'expériences différentes, je constate aujourd'hui avec amertume qu'en termes de
conditions de travail, mes élèves vivent aujourd'hui les mêmes difficultés que celles
que j'ai connues."
Excepté celui de M. Izard à Cordes, les très nombreux témoignages m'ont étonné par
la teneur des propos et je voudrais rétablir quelques vérités sans vouloir polémiquer.
L'école hôtelière a pour vocation de former des jeunes avec le concours de la
profession puisque 8 à 12 semaines de stage sont réservées à l'entreprise. Le contenu
des diplômes est négocié au niveau national en commission paritaire (CAPA) où siègent
50 % de membres de la profession !
Au début, nos jeunes sont motivés et dès le retour du premier stage, les mentalités
changent. En fait, pour certains, 4 semaines du premier stage auront suffi pour réduire
à néant tous leurs espoirs. Former, c'est apporter l'espoir dans le cur des jeunes
! Que dire de la personne anonyme qui déclare, dans l'article p. 15, ne vouloir embaucher
des apprentis que pour les
épluchages ?
Nous indiquons à nos élèves qu'ils ne peuvent demander en fin de formation, et avant
leur première embauche, que le SMIC et rien d'autre ! Mais devons-nous leur dire qu'ils
travailleront 60 heures par semaine en dehors de toutes réglementations ? Combien de
temps journalier le tuteur ou le patron consacre-t-il au jeune pendant le stage ou
l'apprentissage ? Très peu d'entreprises à ma connaissance (j'en fréquente, de par mes
fonctions, une centaine environ) font visiter l'espace de travail aux élèves qui
arrivent en stage, encore moins le reste des locaux ! Très peu d'entreprises présentent
les élèves stagiaires aux membres du personnel. Les élèves sont mal considérés car
ils sont jeunes et incompétents ! Bien sûr qu'ils le sont sinon nous ne les formerions
pas ! Devez-vous vous vanter de travailler 70 heures par semaine ? Je ne le crois pas car
c'est la preuve d'un défaut d'organisation ou d'une réelle passion que l'on n'a pas le
droit d'exiger des autres. Non Messieurs ! L'école ne doit pas être considérée comme
un exutoire mais comme un véritable partenaire. Tout le monde y trouvera son compte, et
les entreprises en premier ! "La grandeur d'un métier, c'est d'unir les hommes"
(Saint-Exupéry).
La jeunesse vit dans un univers que les adultes construisent pour elle. Ce sont nos
enfants. Quelle société peut aujourd'hui tirer à boulets rouges sur sa jeunesse sinon
la même qui envoyait il y a 80 ans des hommes jeunes se faire tuer en sortant des
tranchées ? Que chacun médite cette phrase de Carlyle : "Si tu te plains de ton
époque, si tu la trouves mauvaise, demande-toi ce que tu as fait pour la rendre
meilleure."
J.-P. Vichard
Chef des travaux hôtellerie lycée professionnel Roberval à Clermont (Oise).
L'HÔTELLERIE n° 2592 Hebdo 17 Décembre 1998